Les aventures musicales de deux potes

Les aventures musicales de deux potes

dimanche 19 novembre 2017

Madvillain - Madvillainy (2004)

Aujourd'hui nous abordons un monument du hip-hop américain avec Madvillainy, le premier album de Madvillain, fameux projet du duo MF Doom / Madlib.





     Madvillain, c'est avant tout l'histoire deux producteurs ayant fait leur armes durant le golden age du hip hop durant la fin des années 80 et durant les 90's. Ces enfants d'une nouvelle génération black ayant vécu le déclin de la ségrégation raciale, ne souffre pourtant pas moins de ce pays inégalitaire. Ces gars élevés à l'école old-school du sample et des MC ont enfilé les projets et les collaborations, dans un milieu hip-hop underground, loin des Afrika Bambaataa et Public Enemy. Ils se construisent ainsi une solide expérience, MF Doom en tant que producteur, mais aussi de parolier, de songwriter et de chanteur avec son projet KMD et son maintenant célèbre Peach Fuzz. Il s'inspira plus tard du personnage de Marvel Doctor Doom, dont il reprendra le masque, pour se créer sa propre identité visuel, le rendant ainsi reconnaissable parmi tous. Là où l'ancienne génération de musiciens black se rêvait Count (Basie), Duke (Ellington), (BB) King ou Prince, celle-ci se voit en héros, à la manière de Captain Sky, mais bravant l'injustice de cette société et venant à l'aide de cette communauté black. Ce n'est qu'au début des années 2000 et la sortie du film Gladiator, qu'il troquera le masque de Doctor Doom, pour celui de Maximus avec lequel on le connaît maintenant. D'un point de vu du son, il se distingue par une esthétique old-school et son utilisation de samples de vieux films ou émissions TV.




     Madlib, beaucoup plus spécialisé sur la production, évoluait lui aussi dans ce milieu hip-hop underground et collabora notamment avec Tha Alkaholiks dont il fut producteur sur leur premier album. Il se plaçait cependant dans une mouvance plus jazz avec son groupe Loot Pack et son très bon Soundpieces: Da Antidote.

     Il n'est donc pas étonnant que ces deux producteurs évoluant dans le même milieu musical finirent par se rencontrer et commencèrent ainsi à travailler ensemble dès 2002. Probablement un pic dans leur carrière respective, alors qu'ils avaient acquis assez de maturité musicale, sans avoir encore perdu en fraîcheur et en ambition. Ils sortirent ainsi le premier album de leur collaboration, Madvillainy, en 2004. Le succès est grand et immédiat, les propulsant sur les devants de la scène hip-hop avec leur musique indé et old-school. Pour le resituer dans le style de production très lissée et RnB alors en vogue, sortait la même année R&G (Rhythm & Gangsta): The Masterpiece de Snoop Dogg, avec le légendaire Drop It Like It's Hot en collaboration avec un Pharell Williams qui inondait déjà les charts avec ses productions. On peut aussi citer The College Dropout de Kanye West et son single Through the wire.

Madlib & MF DOOM

     Dès le début de l'album, cette production singulière saute aux oreilles, avec l'introductif The Illest Villains, qui utilise l'esthétique de vieux samples tirés du cinéma, propre à MF Doom, pour mettre en scène l'ambiance sombre et violente, tournant à la folie, qui va animer l'album. On notera la discrète contrebasse qui contribue à l'ambiance jazzy, probablement inspirée par Madlib, et donne corps à cette succession de samples. 

     Autre élément singulier, c'est la durée extrêmement courte des morceaux, entre 1 et 3 minutes maximum. Tel un ensemble d'échantillons, les producteurs nous proposent un assortiment de morceaux tournées autour d'un ou deux samples et d'idées simples, développées de façon très minimaliste et concentrée. Ce n'est pas sans rappeller cette manière intense de composer qu'utilisait le punk pour revenir à l'essence du rock et s'opposer au rock progressif en raccourcissant les chansons, tel un bon vieille album des Ramones guitare / basse / batterie / chant. Par analogie, Madvillain arrive ainsi à revenir à l'essence d'un hip-hop rough grâce à cette production qui se contente d'un beat, de samples mélodiques et du flow du rap alors mis en valeur, sans les fioritures d'une production trop riche. La simplicité n'est d'ailleurs pas que l'oeuvre de la production, elle est aussi dans les textes, indemnes de toute marque de voiture ou de "bitch". Elle est même revendiquée, comme sur Accordion "Keep your glory, gold and glitter. For half, half of his niggas'll take him out the picture. The other half is rich and it don't mean shit-ta". 

     Ces titres sont alors entre coupé de nombreuses transitions instrumentales ou de samples, un peu à la manière du récent l'album Orange de Frank Ocean et ses interludes radiophoniques. En ressort une ambiance cartoon, avec des histoires de méchants. MF Doom se pose même en braqueur sur le très bon Curls, contrastant avec le sample très chill de vibraphone. 



     Les paroles restent cependant sombres, comme sur Shadows of Tomorrow "Yesterday belongs to the dead Because the dead belongs to the past". Musicalement c'est un florilège de références à la soul, au jazz et au hip-hop, sur le flow entrainant et inimitable de MF DoomChaque titre y possède une âme propre, comme Accordion et son très éclectique sample de Experience de Daedelus. On remarquera qu'il est assez rare de sampler en morceau sorti si récemment, en 2002 en l'occcurence. 

     Meat Gringer montre lui une facette très jazzy grace à un sample de Sleeping in a jar de Frank Zappa. Raid, autre titre génial de l'album, mélange avec virtuose un sample de Bilan Evans, pour enchainer avec le génial sample du jazz tropical d'Osmar Milito et de son quartet. Je vous parlais aussi du très jazzy 60's Carls et de sa sublime réutilisation de Airport Love Them de Waldir Calmon, qui participe encore à élargir les frontières de cette album. Il faut se rendre compte à quel point ces sons au grain roots et de toutes origines, notamment jazz, sont novateurs et expérimentaux pour l'époque. Des sons que l'ont entendra 10 ans plus tard chez Kendrick Lamar, Flying Lotus ou Thundercat en plus rock. On touche même à des influences plus orientales sur l'inquiétant Shadows of Tomorrow et son sample de Hindu Hoon Main Na Musalman Hoon de Rahul Dev Burman ou sur la transition Do Not Fire! utilisant un thème de Street Fighter.

     Figaro est autre exemple de la sombre construction des morceaux, grâce à son sample de In the Begining de Dr Lonnie Smith, en faisant un des meilleurs single de l'album grâce à des paroles saisissantes et un flow extraterrestre, n'étant pas sans rappeller celui du regretté Notorious B.I.G.. Ne passez pas non plus à côté de Supervillain Them, digne des meilleurs génériques de Marvels et probablement le morceau de transition le plus réussi de toute l'histoire du rap. Il résulte pourtant de la simple accélaration en tempo de l'intro d'Adormeceu du groupe brésilien O Terço, mais transcende totalement l'original (allez à 0:15 vous comprendrez). Celui-ci introduisant à merveille le monument All Caps, chef d'oeuvre en ce temple, animé de ce merveilleux sample tirée d'une série TV américaine, Ironside. Sample très coriace à l'oreille de ces génies identificateurs de samples, puisqu'il n'a enfin été identifié que 10 ans après avoir été mis au monde par Madlib. Imaginez un peu la culture du mec! Il illustre à lui seul l'ambiance de l'album et le talent de ce duo hors-norme. 

On pourrait ainsi parler en détail de chacun des 22 titres, mais je préfère vous laisser (re)découvrir cette oeuvre d'anthologie.


A écouter sur Deezer ou Spotify. les galettes c'est par ici et les CD ici.


Merci pour votre lecture et à bientôt !



Etienne









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