Les aventures musicales de deux potes

Les aventures musicales de deux potes
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vendredi 24 avril 2020

Jazz, Funk & Hip-Hop 2020 : Shabaka, Thundercat, Witch Prophet, Ali Shaheed Muhammad & Adrian Younge & RJD2


  Jazz, Funk et Hip-hop. Ces 3 là ont toujours fait bon ménage, et au fond partent des mêmes racines et empruntent parfois des routes sinueuses finissant par se croiser, et il est bon de rappeler que ce ne sont là que des étiquettes bien pratiques pour se repérer dans le temps et l'espace mais qui n'ont pas beaucoup d'intérêt en elles-même si ce n'est stimuler la curiosité de l'auditeur pour une oeuvre, ses influences et ses successeurs. 

  Depuis les influences funky de Miles Davis et Herbie Hancock jusqu'au jazz-rap de Kendrick Lamar soutenu par Kamasi Wahsington, Flying Lotus et Thundercat, en passant par la nu-soul d'Erykah Badu et du collectif Soulquarian (The Roots, D'Angelo, J Dilla) ou par les samples jazzy et groovy des rappeurs d'A Tribe Called Quest, les ponts n'ont jamais manqué, et je voulais louer avec ce papier la qualité de quelques albums ayant poussé entre ces eaux fertiles ces dernières semaines. 

Thundercat 
It Is What It Is

  Alternativement -ou plutôt, en même temps- émouvant, hilarant, virtuose, fun, dansant, cet album est le digne successeur du chef d'oeuvre Drunk (2017). Mélange hyper personnel de jazz, de soul-funk, de (soft) rock, de musique de jeux vidéos, d'influences hip-hop et rnb, et de psychédélisme, en en oubliant quelques-uns au passage, la musique du bassiste de génie est toujours aussi prenante.


Thundercat - Dragonball Durag (Clip, 2020)

  Les interventions extérieures sont géniales, notamment -mais pas seulement- Steve Lacy et Steve Arrington (de Slave) sur "Black Qualls" et le saxo décisif de Kamasi Washington.
  Si vous vous étiez toujours demandé ce qu'un amateur de Jaco Pastorius et Herbie Hancock biberonné aux manga et à Adult Swim pouvait donner musicalement, vous avez votre réponse : une série d'albums aussi uniques que réussis. 

Mes morceaux préférés : Innerstellar Love, I Love Louis Cole, Black Qualls, How Sway, Funny Thing, Dragonball Durag
Ecouter sur Spotify ou Deezer



Shabaka & The Ancestors 
We Are Sent Here By History

  Plus frontalement jazz, le dernier album du groupe de Shabaka Hutchings (que vous devez commencer à connaître si vous nous lisez souvent) n'en oublie pas pour autant une intensité psychédélique électrique, et un sens du groove qui n'a rien à envier au funk, tout en gardant cette intransigeance et cette énergie indomptée venue du free jazz. 


Shabaka & The Ancestors - They Who Must Die (2020)

  Un disque puissant, violent, sombre, abrasif, profond et nécessaire, une vraie leçon de jazz, et de musique.

Mes morceaux préférés : They Who Must Die, You've Been Called, The Coming Of The Strange Ones
Spotify / Deezer


Adrian Younge & Ali Shaheed Muhammad
Jazz Is Dead 001

  Le producteur hip-hop Adrian Younge, multi-instrumentiste surdoué également passé par la BO, et la soul/funk, et le rappeur-producteur rap-jazz Ali Shaheed Muhammad d'A Tribe Called Quest ont déjà quelques collaborations ensemble sous le bras, se sont lancés dans un nouveau projet au nom provocateur : Jazz Is Dead. En invitant quelques uns de leurs héros musicaux, des légendes du genres, à venir jammer avec eux, et en tirant de ces sessions des morceaux frais et vigoureux, comme pour conjurer le titre.


Adrian Younge, Ali Shaheed Muhammad, Roy Ayers
Hey Lover (2020)

  Sur ce premier volume, ce sont Roy Ayers, Marcos Valle et quelques autres qui viennent embellir notre bibliothèque Spotify de quelques perles soul-jazz. Une très belle sortie !

Mes morceaux préférés : Hey Lover, Conexão, Apocaliptico
Deezer / Spotify


RJD2
The Fun Ones

  Le producteur américain RJD2, venu du hip-hop, a ici réalisé cet album comme une mixtape narrative de funk, dont le but est de vous forcer à imaginer un film duquel elle serait la BO. Et comme le titre l'indique, il a trié dans ces longues sessions les morceaux les plus fun, et les a sélectionnés pour ce très bon projet. 


RJD2, Jordan Brown - All I'm After (2020)

  Funk à l'ancienne, avec un son rutilant, des grooves vintage et quelques hommages bien vus à Stax et aux BO de Curtis Mayfield en début d'album, à Marvin Gaye ("All I'm After" avec Jordan Brown). Mais également quelques détours psychédéliques et hip-hop avec Homeboy Sandman, ou rap old school avec Aceyalone, avec même un peu de scratching sur le final : tout est à prendre.
Un superbe projet, de bout en bout.

Mes morceaux préférés : les quatre premiers, All I'm After
Bandcamp, Deezer, Spotify



Witch Prophet
DNA Activation

  La canadienne d'origine éthiopienne Witch Prophet met en valeur son héritage linguistique venue d'Ethiopie et d'Erythrée (Amharic, Tigrinya, Anglais), familial (les noms des morceaux sont les prénoms de membres de sa famille) et culturel (jazz éthiopien, nu-soul trempée dans le jazz et le hip-hop à la Erykah Badu, ou Lauryn Hill avec quelques influences caribbéennes...). On pense également à Kadhja Bonet lorsque les orchestrations se font amples et psychédéliques et la voix surnaturelle, et à Amy Winehouse pour la puissance rétro-moderne de la synergie entre le grain de sa voix et le pouvoir évocateur des instrumentaux.


Witch Prophet - Elsabet (2020)

  Ces incroyables pépites, pile entre jazz, hip-hop et soul, sont cosignées par la productrice SUN SUN de Toronto. C'est en tous cas une des oeuvres les plus prenantes de ce premier trimetre de l'année et je vous encourage vivement à l'écouter.

Mes morceaux préférés : Musa, Roman, Elsabet, Makda, Darshan
Spotify / Deezer / Bandcamp



Alex



jeudi 8 février 2018

Ghostface Killah - 12 Reasons To Die (2013, avec Adrian Younge) & The Brown Tape (2013, avec Apollo Brown)

Ghostface Killah & Adrian Younge - 12 Reasons To Die (2013)

  12 Reasons To Die (2013) est un album concept de Ghostface Killah, racontant une histoire, d'ailleurs des comics accompagnaient la sortie de l'album. Dont tous les beats ont été produits par le génial Adrian Younge, avec comme producteur exécutif le collègue du Wu-Tang Clan, RZA. Il est à juste titre considéré comme un classique du hip-hop, réunissant des prestations impeccables de Ghostface et quelques unes des plus belles prod du hip-hop grâce à Younge. 

  Celles-ci empruntent à la pop, à la soul et au rock des années 60 et 70 des samples chauds et cinématographiques, comme sur la merveilleuse "Beware Of The Stare", entre basse ronde, chœurs tragiques, piano impérial. Et que dire des cordes, de la guitare fuzz psychédélique (faisant également le sel d'"Enemies All Around", façon Ennio Morricone) et du clavecin acide débarquant en fin de morceau ? Pour tout mélomane, c'est un vrai régal. Cette musicalité débouche sur ces mélodies qu'on n'oublie pas, comme ce  dialogue guitare - piano entêtant sur "Rise Of The Black Suits", habilement soutenus par l'orgue 70's. Il y a un amour du matériau d'origine, des morceaux samplés, qui transpire autant sur "Murder Spree" que sur le classique du sampling Endtroducing de DJ Shadow.

  Le prog, la pop psyché et la soul orchestrale forment également le coeur de "I Declare War", tandis que c'est un beat à la James Brown qui structure l'édifice de "Blood On The Cobblestones". Outre la richesses des instrumentations, certains choix artistiques distinguent largement ces prods, comme le beat lent et discret de "The Center Of Attraction", servant avec beaucoup de justesse son ton dramatique et grave. D'ailleurs, ce morceau me permet de souligner la belle alchimie entre Ghostface et ses invités vocaux, ici Cappadonna, plus loin Masta Killa, Killa Sin, U-God, Inspectah Deck (énorme ping-pong vocal sur "An Unexpected Call (The Set up)"), William Hart ou mark luv. Et puis, un morceau comme "Rise Of The Ghostface Killah" sonne davantage comme un titre rock de la fin des années 60, et "Revenge Is Sweet" comme un morceau de soul psychédélique, que comme des titres de rap classiques, ajoutant à l'originalité du projet. Les prods de Younge sont tellement importantes pour l'album qu'il a droit à un quasi-instrumental, l'excellent "générique" du concept : "12 Reasons To Die", et à la présence de tous ses instrus en bonus de l'album.

  Et puis, encore une fois, Ghostface porte le projet avec une maestria rare, vocalement il est vraiment impressionnant, vous n'avez qu'à réécouter son tour de force sur "The Sure Shot" pour vous en convaincre. Bref, ce disque est un classique de la musique populaire moderne. 

  Et j'ai une bonne nouvelle pour vous, il a été sujet à une réécriture rééditée cette année, dont nous allons parler à présent.




Ghostface Killah & Apollo Brown - The Brown Tape (2013)

  En effet, c'est Apollo Brown, un de mes producteurs préférés, qui réinvente 12 Reasons To Die, en refaisant toutes les prods du chef-d'oeuvre sous le nom The Brown Tape. Ses beats célestes, ultra cinématographiques, font mouche dès le duo introductif "Beware Of The Stare"/"Rise Of The Black Suits", entre cordes irréelles, choeurs divins, craquements de vinyle, samples de films et gimmicks obsédants de guitare et de claviers. Le côté visuel de sa musique se retrouve bien sur la délicate et très classe "The Center Of Attraction".

  L'aspect vieilli, dégradé des samples et ces fameux craquements de vinyle va bien avec le côté classique intemporel de l'album, comme sur "I Declare War" où les cuivres autrefois grandiloquents et puissants semblent aujourd'hui fatigués mais gardent une trace de leur éclat d'antan. Très belle utilisation du sampling, et bel exemple de l'intelligence de Brown. C'est d'ailleurs amusant de se dire que "Rise Of The Ghostface Killah" ressemble ici presque à une version vieillie de "Still DRE" de Dr Dre

  Et même si la basse est moins présente que chez Younge (excepté sur "Enemies All Around Me"), on a presque envie de danser sur "Blood On The Cobblestones", grâce à un piano syncopé appuyé par un breakbeat efficace. La moins grande présence de basses, le plus grand recours aux samples vocaux ("Revenge Is Sweet", "Murder Spree") et à un sampling plus audible, imitant moins les orchestrations pop-rock classiques, et puisant davantage dans la musique de films ("The Sure Shot"), marquent aussi une différence significative avec l'original. Et pour revenir à l'aspect entraînant de la musique, "An Unexpected Call" est également bien funky comme il faut, on ne peut qu'osciller de la tête (au minimum) en écoutant cette tuerie. 

  En résumé, cette relecture est une réussite totale, un Everest quasiment inatteignable et qui pourtant l'a été. Un petit miracle, en somme. Impossible de dire quelle version des deux est la meilleure tant elles sont, chacune dans leur genre, absolument parfaites. Il aurait fallu également rentrer dans le détail des samples utilisés, hélas ça mériterait un article à part entière tant le sujet est vaste. Peut être une autre fois. En tous les cas, foncez écouter ces deux versions de cette oeuvre imposante et géniale.
Bonne (double) écoute !


Alex