Les aventures musicales de deux potes

Les aventures musicales de deux potes

dimanche 29 décembre 2019

Sudan Archives - Athena (2019)


  J'avais repéré Sudan Archives sur ses premiers morceaux et EP très intéressants. J'étais intrigué par ce que sa musique pourrait donner sur un album entier. Premier bon signe, la signature Stones Throw, un des labels les plus intéressants en termes de pop (au sens large, car souvent proche du rnb, d'un funk cosmique et psychédélique, de la nu-soul, du jazz, de l'électro...) à la fois accessible et inventive. Et à l'écoute, les promesses sont exaucées. La voix et le violon de Brittney Parks sont à l'honneur, soutenus par une prod entre hip-hop, électro-pop indé et nu-soul, quelque part entre James Blake, Solange Knowles, Björk et Erykah Badu.

Sudan Archives - Confessions (Clip, 2019)

  L'album commence par quelques notes de cordes pincées, un beat martelé et des paroles déchirantes, chantées avec émotion et retenue ("Did You Know") , puis enchaîne avec le lumineux single "Confessions", chef-d'oeuvre de pop baroque modernisée, au texte là encore doux-amer magnifiquement servi par la voix et les arrangements subtils. "Down On Me" donne à entendre une chanteuse à la voix assurée, tandis que la production grandiose et très visuelle évoque de grands espaces. Le rythme chaloupé et les refrains psyché de "Iceland Moss" enchantent, tout comme le (G?)funk tranquille, nocturne et californien à la Dâm-Funk de la belle "Green Eyes". Sur "Glorious" et sa prod bouclant des violons aux sonorités mi-orientales, mi-traditionnelles, on croirait du Beyoncé produit par Timbaland (on a d'ailleurs un couplet rappé de D-Eight au milieu de la track).

Sudan Archives - Green Eyes (2019)

  Même si les morceaux qui ressortent aux premières écoutes sont éblouissants, ne vous laissez pas avoir, les deep cuts sont également très bonnes, et révèlent leur qualité avec les réécoutes. Comme "Black Vivaldi Sonata", et son instrumentale sensuelle, pesante et moite aux influences vaguement trap et grime, soutenant un chant ultra lascif. Ou la captivante "Coming Up". Ou sur le néo trip-hop de l'interlude "Stuck" et de "Honey", le rnb tranquille et rassembleur de "Limitless", ou bien la nu-soul psychédélique de "Pelicans In The Summer".

Sudan Archives, D-Eight - Glorious (Clip, 2019)

  C'est un album absolument remarquable, une grosse claque : un chant assuré et délicat, des textes profonds, des arrangements divins, modernes et assez uniques avec une belle place donnée au violon, et des morceaux mémorables à la production impeccable. A écouter absolument.

Mes morceaux préférés : Did You Know, Confessions, Green Eyes, Down On Me, Pelicans In The Summer


Alex

vendredi 27 décembre 2019

JPEGMAFIA - All My Heroes Are Cornballs (2019)


  JPEGMAFIA m'avait soufflé l'an dernier avec Veteran (puis sur youtube, avec des concerts incendiaires). Sur cet album, le rappeur/producteur imposait un style unique et futuriste, entre agression et beauté, déconstruction et reconstruction. All My Heroes Are Cornballs en est le digne successeur. 

  Introduit par le single "Jesus Forgive Me, I am A Thot", probablement un des morceaux les plus espiègles, marquants, créatifs et inspirants sortis cette année, entre indus, noise, hip-hop, rnb, électronique et pop céleste aux accents parfois rock. Soufflant le chaud et le froid, il arrive à faire cohabiter des éléments parfois éloignés sur la même track. Comme sur "Kenan Vs. Kel" où une prod hip-hop un peu jazzy comme chez A Tribe Called Quest rencontre une guitare à la Black Sabbath. C'est parfois pur et beau au premier degré, à en chialer, comme l'interlude électronique "Post Verified Lifestyle" ou l'intro de "Beta Male Strategies", qui vire ensuite au rock psyché puis au post-dubstep, avant de faire tout ça en même temps. Autres moments de folie créatives, "All My Heroes Are Cornballs" sonne comme si Prince avait grandi sous l'influence de Death Grips.

JPEGMAFIA - Jesus Forgive Me, I Am A Thot (Clip, 2019)

  L'autotune, ici pas mal utilisée, introduit une part plus grande apportée au chant, induisant une proportion de chansons plus classiques (avec pas mal de guitare dedans) un peu plus grandes ("Grimy Waifu", "Free The Frail", "Rap Grow Old & Die x No Child Left Behind", "BasicBitchTearGas" qui cite le classique "No Scrubs"), même si les gros bangers sont toujours là ("PTSD") et les entre-deux réussis ("BBW", "Thot Tactics", "Dots Freestyle Remix", "Papi I Missed You").

  Le disque, bien que dense (pas mal de titres même si beaucoup sont courts) est une réussite, la suite logique et le prolongement de Veteran, et la preuve concrète que Peggy est là pour durer.

Mes morceaux préférés : Jesus Forgive Me I Am A Thot, Kenan Vs Kel, Beta Male Strategies, Grimy Waifu


Alex

mardi 24 décembre 2019

Oh Sees - Face Stabber (2019)


  J'ai perdu le compte, mais depuis que j'ai commencé à écouter les Oh Sees, il y a tout pile dix ans, j'ai bien écouté au moins 15 albums du groupe de John Dywer sous une forme ou une autre (Thee Oh Sees, OCS, Oh Sees, voire le projet parallèle Damaged Bug qui a pas mal changé le son du groupe au point d'avoir du mal à distinguer les deux maintenant). Et le truc incroyable, c'est que je n'ai jamais été déçu, et que parmi ces disques il y en a bien 7 ou 8 qui figurent parmi mes préférés de la décennie. Ces dernières années, le groupe s'étant déjà essayé à pas mal de styles et d'approches, on commence à être moins surpris, et à moins attendre les sorties du groupe. Mais alors que je m'attendais à écouter un album sympa mais sans surprise, j'ai été happé par ce dernier disque.

Oh Sees - The Daily Heavy (Clip, 2019)

  Vraie transe entre krautrock, funk cosmique, rock progressif, psyché, garage, il vous prend dès l'intro (la montée en pression de "The Daily Heavy" est un monument du genre, on se croirait sur Fun House des Stooges rejoué par Can) et ne vous lache plus jusqu'à la fin. Les batteries, sans répit, martèles, cognent, roulent, et portent des riffs rock irrésistibles ("Face Stabber"). Quelques autres morceaux de bravoure, tels "Scutum & Scorpius" de plus de 14min et "Henchlock" (plus de 21min au compteur), parsèment le disque, tandis qu'à l'inverse des morceaux ultra courts à l'esprit punk ("Heartworm", "Gholü") essaient de faire le plus de bruit, le plus vite possible. 

Oh Sees - Snickersnee (2019)

  Les morceaux plus chantés apportent un petit répit dans cette transe, en ajoutant une fantaisie prog ("Fu Xi"), funky ("Psy-Ops Dispatch") ou un côté plus pop psyché, plus posé ("The Experimenter" et la géniale "Snickersnee" qu'on croirait composée et interprétée par un supergroupe improbable constitué d'Ariel Pink, Keith Richards et Tony Allen). Le disque est assez varié stylistiquement : il y a un côté jazz dans le prog agressif, malicieux et funky de "Together Tomorrow", le glam vicieux de "Poisoned Stones", et l'OVNI "Captain Loosley" est un genre d'électronique ambient planante qui tranche magnifiquement avec le reste du disque.

  L'album est dense, ça fait beaucoup à ingérer en un coup, c'est tout de même un double album d'une heure vingt environ. Mais c'est un triomphe total, en termes de son, de groove (cette section rythmique IN-CROY-ABLE), de riffs, c'est un mastodonte. Le line-up n'a rien à envier aux combos légendaires du rock, tant leur alchimie fait de ces morceaux tirant sur la jam des léviathans de précision et d'efficacité. Une bien belle surprise.

Mes morceaux préférés : The Daily Heavy, Face Stabber, Snickersnee, Together Tomorrow, Poisoned Stones


Alex


dimanche 22 décembre 2019

Black Dresses - Thank You (2019)


  Black Dresses est un duo composé de Devi McCallion et Ada Rook, au style musical assez difficile à ranger dans une case. Après une année 2018 déjà bien remplie, elles ont sorti -entre autres projets- un album en 2019, Love And Affection For Stupid Little Bitches, qui m'avait déjà tapé dans l'oreille. Mais je crois que parmi leurs nombreux projets, ensemble ou en solo (je mentionne la sortie récente du dernier Rook & Nomie, dont je reparlerai peut-être), c'est ce Thank You, deuxième album de 2019, qui m'a le plus marqué.

  Il démarre sur une base entre rock indus façon Trent Reznor / Marilyn Manson sur "Thank U" (cf également l'incroyable "Look Away" plus loin), mêle à cela un côté emo et un esprit électro-punk plus moderne (grâce à quelques éléments électro ou hip-hop) sur la cathartique "Dog Shit", accentué sur la noisy "Water". On est carrément dans une rage façon punk hardcore voire métal sur les géniales "Death / Bad Girl" ou "There's Nothing Here Worth Dying For"

Black Dresses - Death / Bad Girl (2019)

  La science des synthés mis au service d'une ambiance lourde et plombée sur "Wheel of Fortune" évoque une version destroy de Depeche Mode et son refrain euphorisant une version trash des Pet Shop Boys revus par Throbbing Gristle et Death GripsSur des morceaux comme ce dernier ou "Harmless" je ressens la même ambition sans limite que chez Kevin Barnes à l'époque où le Paralytic Stalks d'Of Montreal était incroyablement sous-estimé alors qu'il mêlait pop, rock, contemporain et noise avec maestria (cf ici l'expérimentale "Wasteisolation"). Autre morceau très accrocheur dans la même veine barnesienne, "Thru The Void" déstructure et reconstruit synthpop et rock néo-glam en un tout jouissif. 

Black Dresses - Wheel Of Fortune (2019)

  L'album se finit cependant sur une synthpop douce comme une ballade et sautillante comme un tube radio, avec "Baby Steps", direction aussi inattendue qu'appréciée. 

  Vous aurez compris à ce stade que je n'ai aucune réserve concernant ce disque, c'est une succession de bangers ayant chacun un son unique et une énergie folle, et dans l'ensemble c'est un disque très personnel, surprenant souvent son auditeur (ce qui nécessite un talent fou après les décennies de pop ingurgitées par la plupart d'entre nous), et qui réussit chacune des choses qu'il entreprend, dans l'accrocheur comme dans l'expérimental. Un grand disque de cette année, et de cette décennie.


Alex


mercredi 11 décembre 2019

Charli XCX - Charli (2019)


  Charli XCX est entrée dans le paysage musical au début de la décennie avec d'implacables tubes d'électro-pop à l'irrésistible énergie adolescente et aux influences variées (pop mainstream 80's, nu-rave, rock des années 90-2000). Elle a probablement trouvé sa voie en 2016 avec l'EP Vroom Vroom, sur lequel la collaboration avec l'esthétique issue des artistes du label/collectif PC Music (AG Cook, SOPHIE...) a fait des étincelles. Cet exploit initial a été réitéré sur les deux excellentes mixtapes N1 Angel et Pop2, et perfectionné sur Charli, sorti cette année. Ici, c'est AG Cook qu'on retrouve sur la plupart des prods, avec quelques collaborations avec -entre autres- le duo Stargate et Dylan Brady de 100gecs, le groupe qui est probablement le plus proche de Charli en termes de son et d'impact culturel cette année.

  Dure à définir, l'électro-pop qui forme la base musicale de ce disque, parfois appelée hyperpop (terme que je trouve sympa) est un mélange de gros synthés issus de la pop la plus commerciale qui existe, de beats énormes, de distorsions venus du dubstep et d'idées explorées par le hip-hop (cadences rap, autotune à gogo...). C'est un mélange entre distanciation ironique et hommage au premier degré (c'est déjà ce que Charli faisait dès 2013, ici poussé à l'extrême) à tout ce que la pop et l'électronique des années 1990 à maintenant ont pu produire de plus outrancièrement commercial (Madonna, l'eurodance, la pop de boys band / popstars des années 2000 comme Britney Spears, les excès de l'EDM et du dubstep du début des années 2010....). C'est un peu la même démarche que pour la vaporwave, le détournement des codes de la musique commerciale/mainstream, mais en sens inverse ; plutôt que de ralentir de la pop de supermarché pour en faire une musique nostalgique et brumeuse, ici on accélère le tempo, on pousse tous les réglages à fond et on crache des paillettes. Comme une version futuriste de la rétrowave/synthwave, avec moins de nostalgie et plus de recul conceptuel. Mais dans les deux cas, c'est le son du capitalisme qui s'effondre sur lui-même, dans une course au "toujours plus" ici audible de façon brute. Et c'est brillant sur tous les plans. 

Charli XCX & Troye Sivan - 1999 (Clip, 2019)

  L'album commence très fort dans cette direction avec "Next Level Charli", sur laquelle la voix surmodifiée de Charli chante/rappe à toute vitesse sur un riff de synthé énorme porté par un beat bien lourd. "Gone" avec Christine & The Queens, prend tout ce qui a fait l'efficacité de l'électrofunk 80's, du rnb des 30 dernières années et du hip-hop de DJ Mustard, pousse ces éléments à leur extrême et en fait un hymne total, transcendé par une outro géniale. Autre éééénorme tube, "1999" (avec Troye Sivan) et son texte nostalgique propulse musicalement eurodance, électro-pop 80's façon Pet Shop Boys et house à piano dans le futur (avec une petite réf à Britney au passage). Celui-là va vous rester en tête, promis. Le single le plus radiophonique est probablement "Blame It On Your Love", avec Lizzo, sorte de remixe d'un des meilleurs morceaux de Pop2 façon gros tube radio. Et là encore, ça marche, parce que le pré-refrain est beau comme du Niki & The Dove et que le gros drop à la Skrillex fait penser aux productions pop  les plus réussies de ce dernier (comme avec Ty Dolla Sign).

Charli XCX, Haim - Warm (2019)

  On a aussi quelques ballades mélancolico-tristes, comme "Cross You Out" avec Sky Ferreira, son synthé basse façon Kavinsky et sa grosse caisse de Phil Collins sous stéroïdes. "Thoughts" exagère le style vocal de Sia/Rihanna voire Céline Dion et gagne nos coeurs en passage par sa sincérité émotionnelle. Dans le même style vocal, sur une rétrowave dystopique, "2099" avec Troye Sivan, fait le job. 
  "Warm", avec Haim, est une belle chanson d'amour sous autotune. "White Mercedes" pourrait passer à la radio, avec ses couplets façon Julia Michaels et son refrain qui rappelle un hook de "Bad Romance" de Lady Gaga, et qui touche également par son mix parfait entre fragilité et force. Slow mélancolique, "I Don't Wanna Know" est un très beau morceau, et "Official" une des plus belles déclarations d'amour musicales que vous entendrez cette année, tant dans le texte que dans le tapis rnb/pop psychédélique.

Charli XCX - Official (2019)

  Parfois, on part dans l'expérimentation, comme sur "Click" avec Kim Petras et Tommy Cash, qui s'amuse à distordre la pop la plus putassière et à la pervertir avec une énergie trap, l'agrémentant au passage de clics de souris, de références à de morceaux de pop culture vides de sens (vous avez la réf au "watch me nae nae" ?). C'est, là encore, brillant et extrêmement fun. Un peu moins marquante, la pop euphorique de "February 2017" avec Clairo et Yaeji, est tout de même réussie. "Silver Cross" est en revanche un gros bout de pop délicieusement sali façon PC Music par des grosses dissonances à l'énergie punk. Mais mon gros coup de coeur dans ce style c'est l'incroyable "Shake It", basé sur un irrésistible mantra vocal vocoderisé, modifié et tordu dans tous les sens, servant de base à un morceau ultra déconstruit, alternant hip-hop dysopique à la El-P et gros beat post-MIA qu'on imagine bien joué dans le club le plus sale d'Amérique centrale. Le tout servant de base à un posse cut d'anthologie voyant se succéder Big Freedia, Cupcakke, Brooke Candy et Pabllo Vittar). Un sommet qui étire le temps et retourne la tête.

Charli XCX, Big Freedia, Cupcakke, Brooke Candy, Pabllo Vittar - Shake It (2019)

   En bref, vous l'aurez compris, j'ai peu de réserve sur les immenses qualité de ce disque. C'est ça, la pop qu'on devrait entendre à la radio : immensément accrocheuse, exploratrice voire futuriste, fun, intelligente, émouvante et salace. Charli XCX clôt en beauté cette décennie qui l'aura vu prendre une envergure que personne n'aurait pu anticiper, et récompense ses paris artistiques osés par une consécration publique et critique amplement méritée.

Mes morceaux préférés : les 13 premiers

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Alex




lundi 9 décembre 2019

Vald - Ce Monde Est Cruel (2019)



  J'ai pas capté Vald tout de suite, j'ai toujours suivi de loin sans vraiment connaître, en appréciant un son sans écouter un projet entier. Et puis Xeu est sorti, et cette fois je l'ai écouté, en entier, plusieurs fois. Là encore j'ai mis quelques écoutes à l'apprécier, à rentrer dedans, mais au fil des replays j'ai compris le délire, et une chose est devenue limpide : ce disque est très important pour moi, c'est un petit classique personnel, qui fait regarder le rap et les musiques populaires en général sous un autre angle, et qui m'a beaucoup influencé musicalement, à titre personnel.

  Tout ça pour dire que j'attendais pas mal ce nouvel album, d'autant plus que depuis le précédent et la grosse tournée qui a suivi, Vald a gagné en stature, en popularité. Ça se ressent ici, l'album est très, très gros. La prod, majoritairement signée Seezy comme d'habitude, est massive, colossale, et les vocaux implacables. 

  Côté textes, je ne vais pas rentrer dans le détail, pour ça il y a Genius. Cependant sachez que le disque est un quasi concept album dans le sens où Vald a décidé de partir du thème de la cruauté du monde pour écrire chacune des chansons qui compose le disque, c'est souvent assez sombre, mais parfois optimiste, toujours très, très bien écrit (j'ai des réserves sur deux morceaux qui m'ont dérangé dans le message, "Pensionman" et "Pourquoi" mais sur le fond du discours, pas sur la forme de l'écriture). N'hésitez pas à regarder la vidéo de l'excellente chaîne Le Règlement sur l'album pour une plongée dans les concepts abordés sur ce disque :

Le Règlement - Vald contre la Pyramide (Analyse Ce Monde Est Cruel, 2019)

  La précision de l'écriture et l'agilité des flows de Vald sont particulièrement mises en valeur sur "Poches Pleines", grand morceau qui ouvre le disque. Autre modèle d'écriture, "Journal Perso II" est plus classique sur la forme (hip-hop à l'ancienne avec une petite mélo de piano, comme le bon lo-fi de "No Friends"), mais se révèle indispensable aux réécoutes. Jouissif et cathartique, "NQNTMQMQMB" avec Suikon Blaz AD, déborde d'une énergie rap-rock rageuse et contagieuse qui donne envie de sauter partout dans la fosse de son prochain concert. 

Vald - Journal Perso II (Clip, 2019)

  Musicalement assez pop, ce disque accouche d'un tube trap-pop au sous-texte bien sombre, "Ce Monde et Cruel", et quelques autres pépites euphorisantes ("Keskivonfer", "J'pourrai", "Rappel" morceau très fun qui est un peu le "Deviens Génial" de ce disque). Ce style mainstream est parfois un peu moins maîtrisé et donne quelques morceaux peu marquants mais bien faits ("Ma Star", "Royal Bacon"). Heureusement, quelques gros bangers bien lourds viennent relever le niveau ("Ignorant", le diptyque "Halloween"/"Dernier Retrait" avec SCH, "ASB" avec Maes, qui remplit un peu le rôle de "Dragon", c'est à dire gros tube trap uuultra dark, obsédant et répétitif).

Vald - Ce Monde Est Cruel (Clip, 2019)

  C'est donc un très bon album, un peu moins homogène niveau qualité que Xeu, mais très bien produit et écrit, interprété avec assurance et style. Le difficile défi du disque post-succès mainstream énorme est relevé haut la main et j'attends avec impatience d'écouter la suite de ce que Vald, désormais incontournable et respecté à la juste valeur de ses qualités artistiques, va pouvoir nous offrir sur son label Echelon nouvellement créé. 

Vald - Ignorant (Clip, 2019)

Mes morceaux préférés : Poches Pleines, Journal Perso II, NQNTMQMQMB, Ce Monde Est Cruel, Rappel, Ignorant

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Alex

vendredi 6 décembre 2019

Iggy Pop - Free (2019)


   Après un superbe retour orchestré par Josh Homme avec Post Pop Depression (2016), très marqué par Bowie musicalement, Iggy Pop écrit avec ce Free un très beau nouveau chapitre de sa discographie passionnante. Marqué musicalement par le free jazz et l'ambient électronique, recourant parfois à des passages parlés voire narrés ("Free", "Sonali", "Page", "We Are The People", "Do Not Gentle Into That Good Night", "The Dawn"), il contient également une chanson pop-rock parfaite, "Loves Missing", au son tranchant venu du post-punk, et transcendée par l'interprétation caverneuse et désespérée de l'Iguane. Ce côté sombre, coldwave quasi gothique, est également bien mis en valeur sur "Glow In The Dark".

Iggy Pop - Loves Missing (Clip, 2019)

  Le disque n'est cependant pas dénué d'humour et de fun, en témoigne le rock bondissant à l'humour british façon Baxter Dury de "James Bond". Et il est très vivant dans son interprétation, tant musicalement où la forme est très libre, dénuée de toute notion de genre musical, que dans l'interprétation vibrante d'Iggy ("Dirty Sanchez"). 

Iggy Pop - Sonali (Clip, 2019)

  C'est un album intense, noir, souvent contemplatif, obsédé par la mort. Mais c'est aussi l'oeuvre d'un musicien qui a encore beaucoup à dire, à faire, qui a l'oreille acérée, la voix pleine de rage et l'esprit plein de malice. C'est un superbe disque.

Mes morceaux préférés : Love's Missing, Sonali, Glow In The Dark, The Dawn

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Alex


mercredi 4 décembre 2019

Chromatics - Closer To Grey (2019)


  Le truc étrange avec Chromatics, lorsqu'on connaît le groupe, c'est que tout le monde attend leur supposé prochain album Dear Tommy depuis presque 10 ans (en exagérant un peu). Du coup, chaque année il est sur la liste des disques les plus attendus, chaque année il ne sort toujours pas. En attendant, quelques reprises, quelques morceaux, quelques BO aussi. Mais toujours pas d'album. Jusqu'à cet été et ce fameux Closer To Grey, sensé nous faire patienter et contenant lui-même des morceaux publiés il y a déjà quelques années. Vous comprenez donc l'ironie délicieuse de démarre l'album par une reprise de The Sound Of Silence de Simon & Garfunkel. Magnifique, au passage. Une reprise hantée, incarnée, douloureuse, belle. Tout comme cet album, qui se révèle être un vrai petit miracle.

Chromatics - Closer To Grey (2019, Full Album)
(Italians Do It Better)

  Parce qu'après cette jolie reprise initiale, on a direct une perfection synth-pop : "You're No Good", entre pop song classique, italo-disco et rock synthétique 80's (Blondie, Kate Bush...). Une merveille de composition, de mise en son, d'ambiances, d'interprétation. Un truc assez absolu, parfait dans son genre. Et là, on enchaîne directement sur le mix de new wave électronique et de post-punk/shoegaze gothique de "Closer To Grey", presque aussi belle, et sur l'envoûtante électropop acide et presque house ou dance de "Twist The Knife", qui est elle aussi tout à fait parfaite dans son genre. Autre sommet, "Touch Red" est délicate, telle un tapis de velours feutré tout d'un coup déchiré par un solo tranchant qui vous prend aux tripes. 

Chromatics - You're No Good (Clip, 2019)

  Les morceaux moins spectaculaires dans leur exécution sont également très réussis. Vaporeuse, marquée par le trip-hop et à l'ambiance cinématographique, "Light As A Feather" est une petite merveille, tandis que "Move A Mountain" est une fragile ballade dont les claviers et les cordes sembles aussi s'être échappées d'une pellicule (en parlant de cinéma, l'idée est encore davantage assumée par "Love Theme From Closer To Grey", ne serait-ce que dans son titre). La pulsation indus de "Whispers In The Hall" et sa mélodie en arpèges aigus, insistants et menaçants, évoque à la fois une musique de trailer hollywoodien, une déflagration post-punk, ou un banger trap. "Throught The Looking Glass" est un bel instrumental prog/kraut/ambient /coldwave planant, et sur "On The Wall" des choix radicaux de production viennent admirablement mettre en valeur la composition velvetienne. Il y a un petit quelque chose de français, de Tellier ou de Gainsbourg/Birkin, voire de Charlotte Gainsbourg, dans "Wishing Well", très élégant morceau.

  Peu importe quand sortira le prochain projet du groupe, car si c'est aussi réussi que ce Closer To Grey, l'attente vaudra la chandelle. Rien à rajouter là-dessus, sinon que vous devriez y jeter une oreille rapidement si ça n'est pas déjà fait.

Mes morceaux préférés : You're No Good, Closer To Grey, Twist the Knife, Touch Red

A écouter sur Deezer ou Spotify ou Youtube

Alex


dimanche 1 décembre 2019

Philippe Katerine - Confessions (2019)


  Ça fait plusieurs fois avec Katerine que j'ai peur de l'album de trop. Et comme d'habitude, à la réécoute, il balaie tous mes doutes avec un nouveau disque aussi unique et différent dans ses sons et ses thèmes que profond, fun et tendre. Celui-ci parle de pas mal de choses, il y a beaucoup de sous-texte politique, tout en y mêlant l'intime et notamment la sexualité. 

  Accompagné de Renaud Létang à la production (déjà présent sur Robots Après Tout), Katerine puise dans la pop électronique et le hip-hop de quoi régénérer son son, de façon assez différente du minimalisme percutant et dansant de Robots... ou de la French Touch discoïde de Magnum. Entre la reconnaissance de son talent d'acteur (le César du Grand Bain notamment) et sa récente stature de figure du rap français, suite à quelques collaborations aussi improbables que géniales, Katerine a gagné des publics nouveaux, et sa maison de disque a a priori lâché pas mal de sous, et ça s'entend. Les morceaux sont costauds, produits avec soin, les sonorités léchées et le mix dense et subtil. 

  Un autre facteur venu du hip-hop et donnant à cet album une force de frappe supplémentaire : le travail collaboratif. Le nombre de feats est important sur ce disque, et Katerine utilise les voix et/ou les mots de ses invités avec un soin tout particulier, comme certaines de ses influences rap (Kanye West, Tyler The Creator...). Certaines voix reviennent d'ailleurs plusieurs fois (Gérard Depardieu, Angèle, Léa Seydoux, Oxmo Puccino...).

Philippe Katerine - 88% / Blond / Bonhommes (Clip, 2019)

  Côté sous-texte politique, on a sur "BB Panda" des références au couple Macron (elle qui s'approprie un bébé panda, situation absurde bien mise en perspective par Katerine, et lui qui est samplé en flagrant délit de mépris de classe bien hautain comme il faut), le tout sur des guitares façon rumba congolaise. "Blond" est un banger antiraciste assez imparable et fun musicalement et malin dans le texte. "88%" est son équivalent anti-homophobie, en feat avec Lomepal, que je trouve par ailleurs irritant mais dont l'intervention ici est bien utilisée. On retrouve aussi une critique de la folie émanant de la politique actuelle, de son traitement par les chaînes d'info en continu et leur boucle infinie, et des absurdités de la société qui s'abrutit sur des paradis artificiels sur "Bof Génération" avec un Dominique A autotuné, entre une flûte fausse et une référence à Françoise Hardy.

Philippe Katerine - Aimez-Moi (2019)

Philippe Katerine - La converse avec vous (2019)

  Côté intime, l'enfance est sublimée par la synth-pop angélique de "La converse avec vous", et l'électro-pop mélancolique et euphorique de "Bonhommes". La paternité, la mort et le souvenir qu'on a des morts traversent la magnifique ballade trap-pop dépressive "Aimez-Moi". Dans ces morceaux, la voix de Katerine harmonise souvent avec elle-même, telle qu'elle ou plus ou moins légèrement modifiée/autotunée/etc..., procédé venu du hip-hop et beaucoup usité par Kanye West, grande idole musicale de Katerine, et c'est très beau. "Stone Avec Toi" est un beau morceau de trap-pop printanier et rêveur, parlant d'amour, de drogue et d'écologie, et c'est un parfait premier single qui s'avère addictif. Plus sombre, "Raphaël 1965-1989" parle d'art et de suicide sur un fond électro-rock presque punk.

Philippe Katerine - Stone avec Toi (Clip, 2019)

  Côté sexuel, il y a d'abord "KesKesséKçetruc ?", en 2 parties, avec Camille, fait partie (avec "BB Panda") des morceaux les plus inclassables du disque, puisque faits de collages, par définition assez peu linéaires et moins immédiats, mais du coup très intéressants. Dans ce morceau, Katerine commence à déconstruire les modèles trop rigides, hétéronormés et binaires qu'on nous impose, notamment en ce qui concerne la sexualité. Idées creusées par "Une Journée Sans" avec Clair, douce-amère et très riche d'influences musicales variées (jazz, rock, électronique, trap, funk, pop...), et "Malaise", proche de Robots Après Tout musicalement. 

  "Duo", également en 2 parties, avec Chilly Gonzales et Angèle, explore cette idée de façon plus métaphorique (l'image du duo est très intelligemment utilisée, c'est magnifique), le tout sur une synth-pop teintée de funk et de rock 80's pas si éloignée de Random Access Memories des Daft Punk. L'étonnant et percutant "Rêve Affreux" décrit un rêve façon porno hardcore sur un beat trap bien sale.

Philippe Katerine, Angèle, Chilly Gonzales - Duo (2019)

  Enfin, "Point Noir Sur Une Feuille Blanche" démarre comme un collage bordélique avant de finir en électro-jazz funky façon Flying Lotus ou Thundercat puis une intervention d'Oxmo Puccino sur fond d'orgue d'église, le tout se poursuivant sur la mémorable "La clef", électro-funk mélodique géniale, comme du George Benson remixé par SebastiAn, le tout avec un texte vantant les mérites d'une sexualité fluide, heureuse et détachée des hontes et préjugés des religions judéo-chrétiennes. "Madame De" finit l'album sur une touche tout aussi funky et liquide, traversée par un saxo sensuel et mystérieux.

Philippe Katerine, Oxmo Puccino - La clef (2019)

  En résumé, ce disque est une totale réussite, et malgré les digressions et le nombre de morceaux et de collaborations, il serait difficile de couper dedans tant la qualité est homogène. C'est en tous cas un disque qui se découvre et s'apprécie au fil des réécoutes, et montre un Katerine en grande forme, qui arrive désormais à associer un niveau de notoriété certain, une forme de pop assez accrocheuse et accessible, avec sa folie douce naturelle et ses obsessions personnelles, donnant à écouter une version de lui plus assurée, renouvelée voire rajeunie par sa période rap, sans pour autant s'être trahie au passage. Une belle réussite.

Mes morceaux préférés : Stone Avec Toi, Blond, La Converse avec Vous, Bonhommes, Aimez-Moi, La clef, Duo

A écouter sur Spotify ou Deezer

Alex


dimanche 27 octobre 2019

Kanye West - Jesus Is King (2019)


  Avec un peu de retard, et après une période tumultueuse, faite de déclarations fracassantes, contradictoires et loin d'être toujours défendables et matérialisée par 5 mini albums (dont deux, Kids See Ghosts et ye, parlaient de façon très personnelle de santé mentale et de la bipolarité de son auteur, alors dans une phase manifestement noire) ; voilà que Kanye  West a semble-t-il trouvé une paix intérieure relative, grâce à la religion, et le fruit musical de cette rédemption est un album fortement influence par le gospel, nommé Jesus Is King. Ce disque aura eu une gestation tout aussi tumultueuse, devant au départ se nommer Yandhi, et être la face B et pacifiste de Yeezus, l'album sombre, abrasif, gonflé à l'ego de 2013. Yandhi a largement fuité sur internet a un stade assez avancé de sa composition, et possédait des influences assez psychédéliques dont Jesus Is King a en partie hérité (quelques morceaux en ont même été sauvés dans une version remaniée). Néanmoins, cet album a semble-t-il été jeté aux oubliettes, ne correspondant plus à l'orientation davantage gospel de la musique, dans la continuité du Sunday Service organisés par Kanye (sorte de série de messes musicales hebdomadaires), et à sa rigueur religieuse nouvelle (aucun juron n'a été proféré sur JIK).

  Le disque commence d'ailleurs par un morceau interprété par le Sunday Service Choir, la chorale rassemblée autour de Mr West. Nommé "Every Hour", c'est un pur morceau de gospel choral, porté par des voix et un piano. Dieu sait que ce genre musical peut être cliché et mal utilisé (bon, comme tout genre musical, une pensée pour le gros rock qui tache), et c'est en particulier vrai pour les crossover rap/gospel, pour lesquels Kanye, en grand esthète de la Great Black Music en général, a été un précurseur, de "Jesus Walks" à "Wouldn't Leave" en passant par "Ultralight Beam". On se souviendra (ou pas) des tentatives mignonnettes mais parfois oubliables, gênantes voire irritantes de Chance The Rapper de worship music version hip-hop. Tout ça pour dire qu'ici, ce n'est pas le cas. C'est affaire de subjectivité, d'oreille, mais la musicalité de West lui permet à mon sens de faire du gospel avec goût, et cette intro est parfaite pour démarrer l'album avec une musique qui sonne vivante, énergique, et ample. 

Kanye West - Selah (2019)

  Ce morceau débouche sur l'orgue grandiose qui ouvre "Selah", grand morceau de rap au flow aiguisé, affûté par une utilisation bien pensée de la saturation sur la voix, qui avait déjà fait des merveilles par le passé (cf "Two Words", "Gorgeous"...). A l'écriture, quelques habitués dont CyHi The Prynce, fidèle auteur du label GOOD Music, le duo Clipse dont on reparlera, le maître es gospel Ant Clemons, et à la prod l'artisan sonore des délires les plus ambitieux de West, Mike Dean. Une oeuvre hautement collaborative, peu étonnant pour ceux qui ont suivi la carrière de Kanye et ses méthodes de travail, et connaissent sa capacité à laisser d'autres briller sur ses propres disques. Ce morceau, puissant, utilise des percussions hollywoodiennes d'ailleurs un poil exagérées, et dégage une certaine urgence, la prod ample et saturée participant à ce côté brut, chaud. 

  De même que "Follow God", qui grésille et donne un grain vintage au flow à l'ancienne de Kanye, sur une prod rappelant ses débuts, mais avec un parfum intemporel qui traversait également certaines des impeccables instrus de ses Wyoming Tapes, de Kids See Ghosts à Nasir. Sur ce titre, il mêle des réflexions sur la spiritualité et ses contradictions, la culture afro-américaine et le combat pour les droits de cette communauté, déjà amorcées sur "Father Stretch My Hands" (2016), auquel ce nouveau morceau fait référence. L'instru sample "Can You Lose By Following God" (1974), magnifique titre soul de Whole Truth.

Kanye West - On God (2019)

  Ce morceau s'enchaîne magnifiquement avec "Close On Sunday", à la production intrigante, mystérieuse et angélique, qui ajoute à la prod soul/gospel saturée et grésillante des guitares, quelques éclairs d'autotune et un synthé-sirène la liant parfaitement avec la rétro-futuriste "On God", produite par le génial Pi'erre Bourne. Les instrus, les thèmes de rédemption, de spritualité, et les flows de cette première partie d'album s'enchaînant naturellement, ils apparaissent former une suite de morceaux courts liés entre eux musicalement, à la manière de ce que Brian Wilson a essayé de faire avec le tourmenté Smile des Beach Boys.

  La 2e partie de l'album est entamée par "Everything We Need", et tout en restant gospel, elle marque sa différence avec quelques éléments musicaux plus récents (beat trap, autotune, le choeur angélique de voix, dont celle, précieuse, de Ty Dolla Sign). Ce morceau continue dans la direction intemporelle, mêlant modernité et traditions musicales dans un creuset minimaliste, des meilleurs moments de ye. "Water" s'enchaîne parfaitement, ses influences venues de la pop psychédélique (Animal Collective, Beach Boys), du funk, de la house, et  du rnb la rendent assez inclassable, proche des travaux récents de Frank Ocean dans l'épure et le travail à la fois expérimental et accessible sur la forme. 

Kanye West - Water (2019)

  L'instru de "God Is" fait dans le grandiloquent un peu pathos, et la voix bizarrement enraillée (effet accentué par des effets de modification vocales) rend ce morceau un peu étrange, moins percutant que le reste malgré ses qualités. Là où certains morceaux semblaient avoir un aspect volontairement lo-fi dans la prod, celui-ci  ne semble pas forcément fini. A dessein, certes, on peut voir ce que Kanye a essayé de faire ici avec cette interprétation à nu, mais le rendu est un peu paradoxal. Par exemple sur "Hands On", ça sature, ça grésille, on entend des souffles de micro, mais ça fait vivre la musique et le tout est très vivant. Des nappes de synthé irréelles, une basse obsédante, des flashes de choeurs processés et retravaillés à l'extrême comme chez Bon Iver ou Francis & The Lights, y forment un magnifique canevas au sein duquel la voix claire de Kanye qui y rappe avec conviction.

Kanye West - Hands On (2019)

  Ces choeurs de voix surmodifiées font également le sel de "Use This Gospel", également ponctuée par un synthé-sirène, pour un ensemble un peu déjà entendu chez Kanye mais tout de même puissant, diversifié par une alternance rap/chant autotuné, ainsi que par les couplets des frères Pusha-T et No Malice, du duo Clipse, réuni sur disque par Kanye après des années de brouille, et par un solo minimaliste de saxo final du roi du smooth jazz 80's Kenny G. On notera d'ailleurs les contributions importantes de Clipse, tout comme Mike DeanTimbaland ou Ant Clemons, dans la conception de cet album (ce dernier ayant été un artisan crucial du mort-né Yandhi, dont Jesus Is King a récupéré quelques morceaux). Un très bon titre, en tous cas. Le disque s'achève ensuite sur "Jesus Is Lord", trop courte outro sympathique mais qui n'a pas le temps de gagner en intérêt avant sa fin prématurée, ayant tout de même le mérite de fermer le disque avec quelques belles décharges de cuivres soul/gospel.

  Que penser de ce disque ? Est-ce un des meilleurs albums de Kanye ? Peut-être pourrions nous plutôt nous demander si cette question, cette comparaison, immédiatement posée à chaque sortie de l'artiste par la presse musicale, sur lequel elle fait reposer des attentes inatteignables et déraisonnables à chaque fois, est intéressante. Si vous voulez la réponse, non, cet album n'est certainement même pas dans le top5 de l'artiste. C'est, en revanche et à mon humble avis, un bon album, un disque assez unique, et une évolution logique et bienvenue dans la discographie d'un artiste important et fascinant. Mais ça, c'est à vous de juger.
  En attendant d'en savoir plus, grâce au documentaire sur cet album et sur le virage chrétien de Kanye du même nom, et en gardant en tête que les morceaux de cet album sont susceptibles d'être modifiés en temps réel par l'artiste au fil des prochains jours/mois, je vous invite à vous faire votre propre avis en l'écoutant, et pourquoi pas à le donner en commentaires.

  En attendant son éventuelle suite, prévue par Kanye pour Décembre, mais qui pourrait mettre quelques années à sortir elle aussi, je vous souhaite une bonne écoute.

A écouter sur Deezer et Spotify

Alex


  

jeudi 5 septembre 2019

Le Bilan du Mois : Août 2019 (& rattrapages)


BILAN ALBUMS :


Bon Iver - i,i
USA
Pop, Folk, Rock, Electronique, Gospel
  Pour cet album, Vernon a décidé de s'entourer de collaborateurs, et de réaliser un énorme bilan musical, une belle synthèse, de toute sa discographie. J'avais un peu peur que ce soit le disque de l'autosuffisance, le disque qui commencerait à tourner en rond. Mais la fluidité et l'évidence avec laquelle Vernon et ses collaborateurs mélangent les différents styles et sons au service de ses chansons. On a affaire à une oeuvre qui est davantage que la somme de ses parties, un vrai album. 
  Il y a mille choses à entendre : du folk, de la pop, du rock indé, du soft-rock, de l'électronique expérimentale, de l'autotune, du jazz, des voix triturées, découpées, hachurées, du classique contemporain parfois très abstrait, du gospel... Et même s'il manque probablement un peu de la tension qui animait les précédents pour en faire un de mes Bon Iver préférés, il est très bon. 
Mes morceaux préférés : Holyfields,, Hey Ma, U (Man Like), Naeem, Jelmore, Sh'Diah
Ecouter sur DeezerSpotify ou Youtube



Kitty - Rose Gold
Pop, Electro-Pop, Electro-Rock, Psyché
Lien vers la chronique
  Entre électronique façon club ou IDM, pop accrocheuse, rnb sensuel, pop-rock indé et psychédélisme aquatique, cet album est un fantastique condensé de bonheur pur. Ca sonne cliché, mais ce disque est un voyage. Installez-vous bien, écoutez-le sans rien faire d'autre, dans le noir, avec un bon son, et vous me remercierez. Cet album est riche, fourmille de détails, et se révèle au fur et à mesure des écoutes. Et à mon humble avis, c'est une des meilleures choses qui soient arrivées à la pop cette année, voire cette décennie.Ecouter sur DeezerSpotify, ou Bandcamp

Purple Mountains - Purple Mountains
USA
Pop, Rock Indé, Folk, Americana, Country
Lien vers la chronique
  Je ne suis pas un grand connaisseur de David Berman, poète et musicien américain, unique membre permanent des mythiques Silver Jews, groupe culte de rock indé, que j'apprécie beaucoup mais dont je suis loin de maîtriser toute la discographie. Toujours est il que ce talentueux écrivain, grand sensible, apparemment charmant dans la vie, rongé par une dépression tenace depuis des décennies, s'est donné la mort cette année, ce qui est tragique. Juste avant cela, il avait livré cet album avec un nouveau groupe monté autour de lui, les Purple Mountains. Et ce disque, putain quel beau disque. La musique est un sublime mélange de rock indé et americana, impeccablement produite, dynamique, mélodique, elle sublime les superbes textes désabusés, plein d'humour, d'esprit, de sensibilité et de mélancolie de Berman. Ce disque est une beauté. Triste, pleine d'injustice, il a le goût amer d'un énorme gâchis. Mais aussi de magnifique chef-d'oeuvre final.
Mes morceaux préférés : All My Happiness Is Gone, Margaritas At The Mall, Darkness and Cold
A écouter sur Deezer ou Spotify

Young Thug - So Much Fun

USA
Trap, Pop, Hip-Hop, Rnb, Electro-Pop
Lien vers la chronique
 Malgré quelques coups de folie à la marge, So Much Fun, est l'album de l’atterrissage, du retour sur terre, du bilan, de la maîtrise de son art acquise avec le temps et l'expérience. Rien ne dépasse ou n'a le tranchant de ses expérimentations les plus folles, mais l'ensemble se tient plus que bien et convainc rapidement. Est-ce que cela est dû au rôle de producteur exécutif du bon mais tout sauf excentrique J Cole ? Les morceaux réussis ne manquent  pourtant pas, tant en solo qu'au cours des nombreuses collaborations qui parsèment le disque. Et si les sorties de route et coups de génies habituels manquent un peu, et que So Much Fun sonne presque comme un disque de trap "normal", on ne peut en revanche nier sa qualité, et son homogénéité. D'autant que beaucoup de ces morceaux sont davantage appréciés après plusieurs réécoutes, donnant à l'album une longévité potentielle très intéressante. En tous cas, j'ai hâte d'entendre Punk, 2e album de Young Thug prévu pour cette année, qui s'annonce -vu son titre- plus sauvage, et qui saura -on l'espère- peut-être conjuguer le savoir-faire pop-trap du Thugger cuvée 2019 avec une énergie plus débridée.
Mes morceaux préférés : The London, Light It Up, Jumped Out the Window, Cartier Gucci Scarf, Ecstasy, Just How It Is, Boy Back, Hot, What's the Move, I Bought Her, Circle Of Bosses
Ecouter sur Deezer ou Spotify

The Flaming Lips - King's Mouth
USA
Pop, Psychédélisme, Electro-Pop, Electro-Rock
Lien vers la chronique
  King's Mouth est un concept album narratif, narré par Mick Jones des Clash. Sur cet album, le groupe a plutôt tendance à piocher dans la période Soft Bulletin / Yoshimi / At War With the Mystics du groupe, une électro-pop entre guitares acoustiques et bulles de synthé, même si quelques audaces proches des expérimentations d'albums plus récents pimentent le tout. Les meilleurs morceaux font ainsi le trait d'union entre nostalgie pop et incursions électroniques aventureuses, entre mélodies et textures, entre émotion et ambition musicale. Ce disque n'est pas le meilleur des Lips, mais c'est un putain de bon album, gavé de titres mémorables et d'idées géniales. Et même si la surprise n'est pas au rendez vous, la qualité habituelle des Lips est là. Les grandes chansons aussi. Et c'est tout ce qui compte.
Mes morceaux préférés : Giant Baby, How Many Times, The Sparrow, Mother Universe, Electric Fire, Feedaloodum Beetle Dot
A écouter sur Deezer ou Spotify

Burna Boy - African Giant
Nigéria
Afro-Fusion, Afrobeats, Pop, Rnb, Hip-Hop, Funk, Dancehall
Lien vers la chronique
  Burna Boy est nigérian, c'est une star, et la tête de proue de ce qu'il appelle l'afro-fusion, genre à la croisée de presque tous les genres de musiques africaines et issues de la diaspora africaine, et moderne de par l'utilisation de techniques, de sons et d'idées venus des musiques électroniques, du hip-hop et du rnbAfrican Giant est impeccablement produit, réalisé avec beaucoup de maturité et une direction artistique unique et de caractère. Funky, sensuelle, mélodique, sa musique est très accessible, et même si quelques morceaux sont un peu en dessous et que le disque est long, c'est un bon album, contenant quelques classiques immédiats, un son unique et personnel, très travaillé, et c'est déjà beaucoup.
Mes morceaux préférés : African Giant, Anybody, Wetin Man Go Do, Dangote
Ecouter sur Deezer ou Spotify




Alex