La Dizaine Des Blogueurs est un jeu co-organisée par Last Stop? This Blog et La Pop D'Alexandre Et Etienne. Le principe est simple : il s'agit de nommer une chanson/track sur six thématiques différentes, chaque mercredi, vendredi et dimanche du 27 Février au 10 Mars.
Au delà d'illustrer parfaitement cette période charnière qu'est l'adolescence, Sébastien Tellier, cet album et ce titre ont fait parti de ma discothèque rapporchée à cette période où je me familiarisais à la musique électronique via la "French Touch" qui avait pour moi un goût d'émancipation, tout en restant dans un format très orthodoxe. En cette même année 2008, explosa MGMT avec leur magistral et jouissif Oracular Spectacular qui fut aussi pour moi un album initiatique vers une musique plus indépendante.
Kyle Thomas alias King Tuff, aux nombreux projets, dont le plus récent était la participation aux Muggers de Ty Segall, vient de sortir chez Sub Pop ce disque beau et singulier. Ébranlé par le suicide d'un ami proche, il a appelé ses ex-collègues Ty Segall, Mikal Cronin et Charlie Moothart à la rescousse pour l'aider à enregistrer cet album cathartique, produit par Shawn Everett (The Voidz, The War On Drugs). Cette peine est particulièrement audible dans la magnifique et infiniment triste "The Other", entre désespoir façon Big Star de Third/Sister Lovers (1978), folk psychédélique et pop mise à nue comme chez John Lennon. Un vrai chef-d'oeuvre.
King Tuff - The Other (Clip, 2018)
Mais il n'a pas oublié que son personnage foutraque et flamboyant était avant tout une bête de scène glam, et noie ainsi ce chagrin dans d'éblouissantes jam proches du travail de Roy Wood ("Raindrop Blue"), ou Marc Bolan ("Thru the Cracks"), empruntant même parfois des rythmiques funky ("Psycho Star"). Des claviers quasi P-Funk colorent même le psyché "Neverending Sunshine".
King Tuff - Psycho Star (Clip, 2018)
Le folk-rock un peu fou qui compose son album sur des titres comme "Infinite Mile" évoquera davantage Beck, avec de petits accents glam pas si loin de la période roots d'of Montreal, tandis que "Birds Of Paradise", "Ultraviolet" ou la très Segall "Circuits in the Sand" ont un côté british assez marqué. On retrouve cette intensité rock sur le final "No Man's Land".
Un bon album, avec quelques très grandes réussites et sans trop de baisses de régime même si tout n'est pas aussi inspiré que "The Other". A écouter si vous êtes client de cette scène californienne constituée autour des Oh Sees et de Ty Segall, ou si vous aimez simplement le rock.
Vous le savez probablement pour les habitués, Ty Segall est un habitué de nos colonnes, ainsi que de nos tops de fin d'année. Il ne déçoit jamais et, du moins en solo, est sur une lancée de classiques absolument colossale depuis le début des années 2010, avec au moins un indispensable par an, souvent davantage, et tous différents. Pour le meilleur des plus récents, réécoutez Slaughterhouse (2012), Twins (2012), Sleeper (2013), Manipulator (2014), Emotional Mugger (2015) et Ty Segall (2017). Et vous pouvez y ajouter ce Freedom's Goblin, sorti en ce glorieux mois de Janvier 2018.
Ce dernier, contrairement à nombre de ses prédécesseurs, ne se définit pas par un son ou un thème unificateur mais plutôt par la liberté totale que Segall et ses comparses du Freedom Band (Mikal Cronin à la basse, Charles Moothart à la batterie, Emmett Kelly à la guitare et Ben Boye au piano, échangeant souvent les instruments) s'accordent sur chaque titre, donnant un côté davantage centré sur les chansons que sur l'album dans son ensemble, l'unité de base, le cadre et le centre de l'attention étant donc la chanson en elle-même, à la manière de Gumboot Soup (2017) des King Gizzard & The Lizzard Wizzard. Cette liberté est aussi présente dans la longueur des titres (de 1'06 à 12'02) ainsi que dans celle de l'album (19 titres pour 1h15). Cependant, on peut y trouver certaines constantes : un son résolument 70's avec de grosses influences glam rock (le rapprochant de Manipulator), et un peu de jazz en plus de ce qui fait le style de Segall, ce mélange de grunge, punk, garage, hard, classic rock, pop, psyché et folk inimitable.
Ty Segall & The Freedom Band - "Fanny Dog", Live at KCRW 2018
Le côté glam, on l'entend dès les cuivres décadents de l'excellente "Fanny Dog", très Bowie période Diamond Dogs, avec ces guitares saturées quasi grunge, mais également très shock rock, et une écriture marquée par la country-folk, qui, associée à ce déluge sonique, donne un côté Jack White à l'ensemble. Le Bowie funk, cette fois ci celui sous coke et influence berlinoise de Station To Station, est convoqué sur "Despoiler of Cadaver" au traitement du son quasi dub absolument génial, digne du Brian Eno 70's, et à la fantaisie proche des contemporains Ariel Pink ou Soft Hair(LA Priest & Connan Mockasin).
Cette dernière, ainsi que des morceaux comme "Meaning", à la première partie géniale avec notamment un groove kraut ultra réminiscent de Can et aux dissonances malicieuses, augurent d'une direction très intéressante pour Ty. En revanche, la dernière partie de la chanson, pseudo punk hardcore, me convainc moins, même si la transition WTF à laFrank Zappa va bien avec le style de l'album. Ce côté déglingué est d'ailleurs très bien réussi sur l'interlude "Prison", sur "Talkin 3" entre Sex Pistols,White Stripes et free jazz, ou sur "The Last Waltz", chanson de pub psychédélique, entre les Mothers Of Inventions,Traffic, Captain Beefheart et les Beatles psyché à leur plus j'en foutiste.
Ty Segall & The Freedom Band - "Despoiler Of Cadaver", Live at KCRW 2018
Du côté de la pop classique, on entend un peu la grosse influence revendiquée de John Lennon dans toute sa douceur, sa fragilité mais aussi sa furie sur "Rain", titre à la fois délicat et rageusement glam sur le refrain dissonant façon Lou Reedet encore une fois Bowie. Ce songwriting mélodique quasi country est retrouvé sur l'également très bonne "My Lady's On Fire", réminiscente du meilleur de Harry Nilsson et contenant également des cuivres à tomber, et sur la très Beatles"Cry Cry Cry", absolument géniale. "I'm Free" continue ce côté folk, mais cette fois-ci entendu à travers les oreilles des Who circa Tommy (d'où son titre ?).
Tout comme "You Say All The Nice Things", rapprochant de façons inimaginable pour moi Ty Segall et la période glam/folk/rock de Of Montreal(2013-2016), à la fois musicalement et surtout vocalement. D'ailleurs, l'influence également assumée de T Rex, commune à Kevin Barnes d'of Montreal et à Segall, contribue à les rapprocher et ça s'entend sur la génialissime "The Main Pretender", glam saturé au groove funk liquide et sexy et épicé d'un petit côté free jazz tranchant. Un des sommet de l'album.
On entend davantage le rock des années 2000 (White Stripes, Black Keys, The Kills...), sur le début de "Shoot You Up" avant une deuxième moitié façon Beatles décadents (période White Album). Ce rock moderne, autant influencé par Prince que par le post-punk 70's, revient sur "Every 1's A Winner", qui sonne ample et clair comme les Black Keys de Brothers, mais avec ce côté funk et vicieux en plus, largement amené par des percussions incroyablement bonnes. La rythmique est également le point fort de la scie punk-grunge "When Mommy Kills You", un peu plus attendue et prolongeant le style de Segall sur son album Twins, tout comme "Alta" un peu plus loin, sur laquelle Ty a le mérite d'enrichir le morceau d'un pont très riche et absolument délicieux. Tout comme il enluminait son style de trouvailles fantastiques sur Ty Segall, sorti l'an dernier. On sent que niveau compo et arrangement, de manière générale, l'heure est au perfectionnement extrême.
Ty Segall & The Freedom Band - "Alta", Live at KCRW 2018
Dans le registre hard, quasi métal 80's, on a "She", avec guitares shred, grosse guitare rythmique bien grasse, plutôt bon morceau dans un genre qui a pourtant en général du mal à m'emporter. Et puis "5 Ft Tall" est une très honorable tentative de retrouver la folie furieuse de Slaughterhouse, malheureusement malgré ses petits apports jazz dans les arrangements elle manque un peu de personnalité.
Et puis il y a le morceau de bravoure de plus de 12 minutes "And, Goodnight", entre prog rock saturé, Beatles, Jack White encore une fois, et soul-funk au début, qui part vite dans une suite de soli virtuoses et kiffante (les deux ne vont pas toujours de pair), avant de retomber sur ses pattes blues façon Albert King.
Vous l'aurez compris, c'est un disque dense, parfois un peu trop avec quelques titres un peu plus faibles. Un disque très référencé également, mais même si les influences sont un peu plus audibles qu'avant (ce qui est sans doute dû aux compos assez spontanées les faisant ressortir), elle ne font à aucun moment sortir du disque, et contribuent à au côté bric-à-brac assez charmant et amusant de ce disque. Qui malgré la diversité des styles abordés et des instrumentations arrive à rester relativement cohérent, ce qui n'est pas rien, et à ne jamais lasser malgré la durée, ce qui est carrément un exploit.
En résumé, ceci n'est pas le meilleur album de Ty Segall mais c'est un très, très bon album, bien produit, solide, généreux, riche, avec des sommets très hauts (parmi les meilleures chansons qu'il ait jamais écrites), et une intégrité totale. Et rien que pour ça c'est déjà un incontournable de 2018.
J'ai truffé l'article de nombreuses références, et pour que ce soit plus pratique pour vous d'entendre où je veux en venir, j'ai glissé les liens vers des chansons (sur youtube) illustrant mes propos, n'hésitez pas à les utiliser !