Les aventures musicales de deux potes

Les aventures musicales de deux potes
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samedi 16 février 2019

Le Bilan du Mois : Janvier 2019


  On démarre l'année 2019 avec un premier bilan, celui du mois de Janvier, qui s'est révélé assez riche et passionnant dans la diversité de ses sorties, mais je vous laisse en juger par vous-mêmes.
Bonne écoute

L'ALBUM DU MOIS


Sneaks - Highway Hypnosis
USA
Post-Punk/Punk, Hip-Hop/Trap, Electro-Pop/Synthpop, Electrofunk
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  Highway Hypnosis arrive après deux albums (chroniqués ici et iciqu'on a adorés ici, plutôt dans un genre post-punk qui tendait à s'ouvrir vers une électro-pop tout en gardant un côté minimaliste et une brutalité punk. Autant dire qu'une certaine attente s'est installée de mon côté, une certaine hâte de découvrir ce que Sneaks pouvait offrir d'encore plus pop, sur une durée plus longue que d'habitude. Et c'est cette fois-ci du côté du hip-hop, et notamment de la trap, ainsi que dans l'électro apatride de MIA (entre autres) qu'elle est allée chercher des inspirations supplémentaires. Et avec la somme de tous ces styles venant d'époques et de lieux différents, parfaitement rendus à travers un prisme mi-pop, mi-punk, avec une énergie hip-hop, la musique de Sneaks a encore pris en amplitude avec cette sortie tout en continuant à ne pas gâcher une seule seconde, et ça c'est précieux. Un grand disque que je vous recommande très chaudement.
Mes Morceaux Préférés : The Way It Goes, Ecstasy, Money Don't Grow On Trees, Cinnamon, Beliefs, And We're Off, A Lil Close
A découvrir sur Spotify ou Deezer


L'EP DU MOIS 



Distant Stars - Robots Do It Better
Autralie, France
Post-Punk, Pop, Electro-Pop/Synthpop, Indus
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  Distant Stars est un duo franco-australien, nommé à partir de paroles d'Ultravox, et ils viennent de sortir un premier EP génial chez Detonic Recordings dans le cadre de leur série "Minimum Viable Products"Et ça commence très fort, entre synthés cosmiques, froideur post-punk, syncope presque hip-hop et chant mystérieux "Robots Do It Better" met la barre très, très haut, d'affirmant déjà comme une des chansons les plus marquantes de ce début d'année. L'EP continue sur une lancée de post-punk déconstruit et kiffant, qui se termine sur un morceau de bravoure ("Je dis rien") qu'on espère sans fin tant il hypnotise l'auditeur et se révèle très satisfaisant.
  C'est donc un très bon EP, dont je vous recommande absolument l'écoute si vous avez une certaine affinité pour les synthés, le post-punk ou la pop la plus aventureuse.
Mes morceaux préférés : Robots (Do It Better), Je Dis Rien
Ecouter sur Bandcampsur Spotify ou sur Deezer


LA CHANSON DU MOIS


Lizzo - Juice
USA
Electro-Funk, Disco, Nu-Disco, Soul/Funk, Hip-Hop/Rnb/Trap, Pop, New Wave
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  La meilleure chanson de ce début d'année, sans aucune contestation, et pourtant il y a eu du lourd ce mois-ci (cf le nombre de coups de coeurs ci-dessous). Entre Bowie produit par Nile Rodgers période Let's Dance, triplet flow à la Migos, nu-disco plus tubesque que du Madonna d'époque et voix soul puissante, c'est un festival, comme si 4 tubes avaient été fondus en un seul, un véritable tourbillon pop absolument parfait. 





BILAN ALBUMS

***On a adoré :


James Blake - Assume Form
COUP DE COEUR
Royaume-Uni
Pop, Soul, Electronique, Rnb, Hip-Hop
  Heureux à la ville, James Blake a éclairci sa musique sur ce disque introspectif, qui parle beaucoup d'amour et de couple. Les moments forts de cet album parfois trop apaisé viennent quand Blake associe la douce langueur de ses comptines nocturnes et la violence qui a fait la grandeur de son premier album solo : déconstructions imprévisibles, voix robotiques ou synthés acides. Malgré le fait que ce soit un album un peu en demi-teinte qui ne me convainque vraiment que sur une grosse moitié, on peut quand même parler d'un bon disque tant les hauts sont hauts et les bas davantage ternes que réellement mauvais. Et puis, une demi-douzaine de chansons de ce calibre, avec un tel niveau d'écriture et de travail sur la forme et notamment le son, c'est assez rare pour être célébré. Je sors donc un poil déçu et moins enthousiaste que la majorité de la presse musicale, mais content quand même de l'écoute de ce disque. 
Mes morceau préférés : Tell Them, Mile High, Are You In Love?, In The Red



Deerhunter - Why Hasn't Everything Already Disappeared ?
COUP DE COEUR
USA
Rock, Pop, Folk, Psyché
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  Ce nouvel album, sorti chez 4AD, est très apaisé musicalement, et ce malgré son titre ambigu, est une vraie bonne surprise. Ses horizons larges, entre baroque pop, rock psychédélique, folk, glam, britpop, rock indé, new wave...  De facture "classique" mais solide, c'est une pop prenante, dense et accrocheuse que le groupe a à offrir. S'ils sortent un truc de cette qualité à chaque fois, qu'ils prennent leur temps, ça vaut le coup !
A écouter sur Spotify ou Deezer



**On a beaucoup aimé :


William Tyler - Goest West
USA
Folk, Rock, Pop
  Entièrement instrumental, ce disque tout en guitare s'écoute particulièrement bien d'une traite et transporte immédiatement l'auditeur dans les grands espaces américains, pour un voyage apaisant et beau. C'est une petite prouesse que d'arriver à captiver avec une guitare sur une si longue durée en 2019, et ça mérite d'être souligné et écouté.
Ecouter sur Spotify ou Deezer

The Gentlemen Losers - Make We Here Our Camp Of Winter
Finlande
Post-Rock, Ambient, Electronique, Pop
  Sorti chez Sound of Silence, ce disque magnifique, émouvant et apaisé, est hors du temps et des modes. Entre claviers, guitares, basses, électronique et même quelques touches de steel guitar, le duo finlandais arrive à rendre un genre qui m'ennuie souvent -le post-rock- prenant comme une grande BO de film. Je recommande chaudement !


TOY - Happy In The Hollow
Royaume-Uni
Pop, Rock, Post-Punk, Psyché, Krautrock, Shoegaze, Electro-Pop
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  Le groupe TOY, lancé au tout début par ses premières parties de The Horrors, évolue sur ce disque dans le même univers artistique que ses aînés. Tout au long de cet album à la beauté tranquille, on entend ce mélange de rythmiques motorik et d'électro planante façon krautrock, de post-punk, et de shoegaze qui fait le charme de ces deux groupes. Globalement, c'est un bon disque, assez solide malgré quelques ralentissements, très beau et bien produit, à découvrir que vous soyez connaisseurs du groupe ou non.
Mes morceaux préférés : Sequence One, Mistake A Stranger, Last Warmth Of The Day, The Willo
A écouter sur Spotify ou Deezer


*On a apprécié :






Toro Y Moi - Outer Peace
USA
Pop, Electro-Pop, Synthpop, Chillwave, Nu-Disco, Rnb
  Alors même que j'ai été très amateur de chillwave dès la 2e moitié des années 2000, je n'ai jamais accroché totalement à Toro Y Moi. J'ai toujours trouvé que sa musique très propre et lisse, même si je lui reconnais volontiers certaines qualités, manquait d'un petit je-ne-sais quoi. Et c'est encore le cas ici. On commence à se dire "tiens, ce morceau est sympa" et puis 20 secondes passent et on se fait chier, malgré -à cause de?- la construction impeccable de ces morceaux très bien produits. Il en sort quelques petites perles quand même, et si tout l'album avait été aussi vivant qu'"Ordinary Pleasure", véritable réussite incontestable, je l'aurais applaudi des 2 mains. Je vais me contenter de dire que ce disque est bien foutu, propre et agréable, mais un peu poseur et loin d'être mémorable dans son ensemble. 
Ecouter sur Spotify ou Deezer

Mike Krol - Power Chords
Rock, Garage Rock, Power Pop
  Un projet fun, sans autre ambition que de faire beaucoup de bruit en enchaînant les accords les plus mémorables possible. Ca me rappelle le fun des vieux albums de Ty Segall et Mikal Cronin ou des Soft Pack. Très recommandé aux amateurs du genre.

Que vola ? - Que Vola ?
Jazz, Latin Jazz, Free Jazz, Experimental
  Une rafraîchissante plongée latino-caribéenne dans un jazz aussi joyeux qu'expérimental. 

Angelo de Augustine - Tomb
Pop
  Sur cet album, on entend une pop délicate, presque chuchotée, très aérée dans son instrumentation, à rapprocher de la twee pop de la fin des années 2000. Comme une petite douceur. 

Future - The WIZRD
USA - Rap, Trap 
  Un disque un peu convenu pour Future. Tout y est bien fait, on a même quelques bons morceaux là-dedans, et le côté rétrospective des différents styles abordés au long de sa carrière est sympa, mais le côté décousu et réchauffé du projet enlève de sa saveur.

Wifisfuneral & RobbBank$ - Conn3ct3d

USA - Rap, Trap, Mumble Rap

  Efficace et sans prétention, cette succession de bangers pop-trap s'écoute comme on s'enchaîne comme des friandises. Mais mine de rien, il y a de la qualité dans ce projet, les instrus sont originales, variées et prenantes et les flows agiles et mélodiques.
Ecouter sur Spotify

Prince Waly - BO Y Z
France - Rap Français, Boom Bap, Jazz, Soul/funk
  L'album démarre un peu en dents de scie, mais à partir de la très réussie "Ma Chaussure", presque tout est de très bon calibre. C'est un bon petit disque de rap FR, entre tradition et modernité, imparfait mais il vaut vraiment le coup d'y picorer deux trois titres.
Mon morceau préféré : Ma Chaussure
Ecouter sur Spotify

Ultramarine - Signals Into Space
Electro-Pop, Electronique, IDM
  Intriguant projet d'électro-pop post-Air, ce disque se révèle très agréable et immersif, avec un gros travail de recherche dans le sound design le rapprochant presque de l'IDM de chez Warp ou des travaux de Radiohead.
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BILAN EPs
**On a beaucoup aimé :


Buttechno - Minimal Cuts 
Russie
Electronique, Techno, House, Electrofunk
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  L'EP du producteur russe porte bien son nom. A l'ancienne, entre funk électronique, house binaire, énergie techno, et avec un petit détour par l'acid très réussi, il va droit au but et fait dans la concision. Avec 2 morceaux excellents et un très bon sur 4, le ratio de cet EP s'avère excellent, et c'est donc une sortie que je recommande fortement aux amateurs d'électronique qui traînent sur ce blog !
Mes morceaux préférés : Orient Acd, Rz Bass
A écouter sur Spotify ou Deezer



*On a apprécié :


Alfred Banks - Mere-Exposure Effect EP
USA - Rap/Hip-Hop/Trap, Rnb, Electronique/Electro-Pop, Pop
  Un très cool petit EP de l'artiste de la Nouvelle-Orléans, assez pop et mélodique dans son approche.
Ecouter sur Spotify

Image Garden - Sky Maps
Electronique
  Une électronique abstraite mais très visuelle : les beats sont tracés comme des traits sur une toile vierge, et les éclats mélodiques des programmations sont comme des coups de pinceau ou des éclaboussures sonores, en particulier sur la très réussie "Birdworld" (les deux autres sont un poil trop déconstruites et abstraites pour moi).
Ecouter sur Spotify




BILAN CHANSONS



King Gizzard & The Lizard Wizzard - Cyboogie
Australie - Pop, Rock, Boogie, Electro-Pop, Psyché
  Si Lizzo n'avait pas sorti cette petite bombe, ce morceau aurait été chanson du mois haut la main. Sorte de boogie électro-pop, on dirait une pépite échappée d'une compile de l'époque bénie où des groupes comme Space mêlaient funk, électronique, pop, prog et rock sans trop de souci des conventions, avec une esthétique SF bricolée assez fun. J'adore. 

Avey Tare - Saturdays (Again)
USA - Pop, Folk, Rock, Psyché
  Un très bon premier single pour le prochain solo d'Avey Tare qui risque de pas mal tourner chez moi si tout est aussi bon que la pop-folk rêveuse de cette chanson mélancolique impeccable.

Nic Clay - For Another One
Pop, Electro-Pop
  Beau comme le dernier Mac DeMarco, ce morceau d'électro-pop éthérée est une pure merveille, à écouter de préférence tard le soir au casque, avec une luminosité minimale. 

Frenetics - I Feel A Man
Pop, Synth-Pop, Electro-Pop, New-Wave

  J'ai pas tout compris à qui fait quoi, mais ce vrai-faux groupe des années 80 est structuré autour de youtuber Maxenss, chanteur-producteur, avec dans ce clip des caméos d'autres gens très célèbres que je ne connais cependant pas (on ne peut pas être bon partout). Toujours est-il que si toutes les parodies et les pastiches étaient aussi bien foutus que ce titre et bien je ne sais pas comment finir cette phrase mais vous m'avez compris. C'est un truc tubesque de fou, entre new wave façon Human League ou plutôt Dead Or Alive et italo-disco  ultra accrocheuse de l'époque. Improbable, mais génial !


Lacrim - Jon Snow
France - Hip-Hop, Rap Français
  Parfois, c'est la prod qui fait un morceau de rap. Parfois même, c'est un petit détail sonore original qui fait la grandeur d'un morceau. Ici, ce sont les petites percussions mélodiques qui me rendent dingue et donnent à cette track un pouvoir hypnotisant. Et au-delà de ça, la production est classe, le flow puissant et incarné, le texte prenant. Même le clip et son esthétique GoT est réussi. Que demander de plus ? Cette qualité sur tout un album ? (spoiler : Lacrim a sorti un double et à l'écoute rapide de la première moitié y'a rien qui arrive à la cheville de ce titre, dommage...)

Booba - PGP
France (Allemagne) - Rap Français, Trap, Hip-Hop
  Produit par le duo allemand Cubeatz, la prod de ce morceau est absolument magnifique, avec ses sons de vents planants. Rien que l'instrumental aurait mérité une place ici, mais elle est transcendée par Booba qui prouve après un "BB" assez faible qu'il n'a pas perdu sa plume "J'veux les funérailles de MLK / Pas Johnny Hallyday", et que son flow à l'ancienne, sans autotune, est toujours aussi acéré.  



Vampire Weekend - Harmony Hall / 2021
USA - Pop, Rock Indé, Electro-Pop
  Ces deux premiers extraits du prochain album sont plutôt cool, et ma préférence va à "2021", qui malgré sa courte durée a le mérite d'être plus créative que la très, très clean "Harmony Hall", un poil trop américaine et frustrante (recyclage de paroles et de mélodies vocales du dernier album). De toutes façons, ils ont annoncé un double album, tout ne sera probablement pas génialissime dans la masse, mais ça s'annonce plutôt pas mal quand même, soyons optimistes. 



Pond - Daisy
Australie - Pop, Rock, Glam, Psyché
  On espère le meilleur pour le prochain Pond avec ce premier single très théâtral façon Bowie période glam. Et la prod de Kevin Parker de Tame Impala, toute en basse, donne un côté hyper percutant et pop canalisant l'énergie du groupe avec brio.

Disq - Parallel
Pop, Rock, Power Pop, Electro-Pop, Psyché
  Me rappellant fortement Family Of The Year, avec un son plus sale et rock en début de morceau et plus synthpop en fin de morceau, ce titre de Disq intrigue, et j'ai hâte d'en entendre plus, d'autant plus que l'autre chanson sortie en même temps, "Communications", est pas mal du tout.



Mais aussi...

Delicate Steve - Selfie Of A Man







Alex



jeudi 31 janvier 2019

James Blake - Assume Form (2019)


  Petit point de contexte rapide sans tomber dans le people : James Blake est un artiste anglais oscillant entre le soulman délicat et l'électronicien fou de studio, et sa musique assez sombre s'est éclaircie sur ce disque parce que dans la "vraie" vie, il file depuis quelque temps le parfait amour avec celle qui semble être, selon lui, la femme de sa vie. Et ça se ressent sur cet album, qui parle beaucoup d'amour, de la façon dont on construit et maintient une relation, et fait également pas mal d'introspection. 

James Blake - Mile High (ft Metro Boomin, Travis Scott, 2019)

  Le disque commence par un très beau morceau-titre, "Assume Form", très Radiohead dans tous ses éléments (rythmique IDM, modification vocale, chant plaintif, boucle de piano, cordes...), qui trouve une belle conclusion dans un mantra chanté par des voix pitchées paraissant enfantines bientôt rejoint par le chant de Blake dans sa mélodie entêtante. Ce morceau a une présence spectrale, il sonne comme hanté, impalpable. Ce sentiment perdure, mais si l'album est ramené sur terre sur "Mile High" (paradoxal) par la collaboration avec le producteur Metro Boomin (et  ses rythmiques puissantes) et par l'intervention vocale de Travis Scott. Les deux hommes susurrent autant qu'ils chantent, superposant lascivement leurs mélodies vocales pures au milieu de boucles obsédantes. Un morceau parfait, qui se révèle vraiment avec les écoutes répétées, au casque, dans le noir et le soir si possible. 

James Blake - Tell Them (ft. Metro Boomin & Moses Sumney, 2019)

  Autre exemple de collaboration réussie, "Tell Them" fait la part belle à la voix du très bon Moses Sumney, dont on avait beaucoup aimé le précédent album (ainsi qu'à la prod de Metro Boomin, une seconde fois). Là encore, la superposition de ces voix d'anges sur un beat mélodique et accrocheur fait mouche. Les autres moments forts du disque viennent quand Blake associe la douce langueur de comptines nocturnes qui fait cet album et la violence qui a fait la grandeur de son premier album solo : déconstructions imprévisibles ("Don"t Miss It"), voix robotiques ("Into The Red"),  ou synthés acides comme sur ma préférée ("Are You In Love" qui réussit cette synthèse électro-soul que j'aime tant chez Blake : on dirait du Stevie Wonder 70's joué par Autechre)

  Lorsqu'il ne reste que la douceur, ça reste beau, mais pour ma part, je m'ennuie un peu même si c'est beau, comme sur la ballade "Lullaby For My Insomniac" ou sur l'étonnante relecture de variété US des années 40 d'"I'll Come Too" ou "Power On"Dans le genre, "Can't Believe The Way We Flow" est un peu entre deux eaux, ses superpositions vocales magnifiques (un peu doo-wop ?) sauvant un titre qui aurait pu tomber dans le pathos mais se retrouve au final parmi les réussites du disque.  

  Et cet ennui relatif arrive même en présence d'invités comme Rosalia ("Barefoot In The Park") qui commence pourtant très joliment, ou sur "Where's The Catch" dont le beat basique n'est pas à la hauteur d'une intervention d'André 3000, qui a pourtant tendance à transcender tout ce qu'il touche. 

James Blake - Don't Miss It (2018)

  Malgré le fait que ce soit un album un peu en demi-teinte qui ne me convainque vraiment que sur une grosse moitié, on peut quand même parler d'un bon disque tant les hauts sont hauts et les bas davantage ternes que réellement mauvais. Et puis, une demi-douzaine de chansons de ce calibre, avec un tel niveau d'écriture et de travail sur la forme et notamment le son, c'est assez rare pour être célébré. Je sors donc un poil déçu et moins enthousiaste que la majorité de la presse musicale, mais content quand même de l'écoute de ce disque. Convaincu aussi que Blake a sous le capot de quoi nous sortir un truc transcendant de bout en bout, chose qui n'est pas arrivée à mon humble opinion depuis son premier album solo, malgré des fulgurances régulières sur chacune de ses sorties depuis.
A suivre, donc !

Mes morceau préférés : Tell Them, Mile High, Are You In Love?, In The Red



vendredi 4 janvier 2019

Travis Scott - Astroworld (2018)


  Il aura fallu du temps, 3 albums et quelques mixtapes, pour que la presse généraliste commence à prendre Travis Scott réellement au sérieux. Sa signature chez Kanye West, duquel son esthétique découle largement (cf Yeezus (2013)), ainsi que sa collaboration étroite avec Mike Dean, génie de l'ombre qui est pour beaucoup dans le succès artistique des albums de West, tout ça pointait vers un poster boy poussé par une solide équipe d'ingés. En plus, ses textes sont assez banals, et sa voix est passée par de nombreux filtres. Il était donc facile d'écrire quelque chose dans le genre. Pourtant, dès Rodeo (2015), voire même avant, quelque chose se dégageait : derrière les morceaux à tiroirs hyper ambitieux, les mélodies accrocheuses, la voix robotique et caverneuse, il y avait un auteur. Impression vite accentuée par le fait de savoir que Scott était producteur dans l'équipe de Kanye et qu'il a un vrai talent de beatmaking, affinant son oreille musicale.

Travis Scott & Drake - SICKO MODE (Clip, 2018)

  Ce que certains n'ont pas entendu derrière la flopée d'invités prestigieux sur chaque sortie successive, c'est qu'à la différence de beaucoup, Scott les utilise comme des instruments à part entière plutôt que des cache-misère, et qu'ils servent souvent à souligner son esthétique plutôt qu'à la diluer pour du cash. En cela, il suit la méthode de West à la lettre, réunissant une armée de gens hyper talentueux pour faire émerger des idées et fructifier une vision très personnelle avec une direction artistique indéniable.

  Ce troisième album, Astroworld, énorme succès commercial et critique, est un hommage à un ancien parc d'attraction texan, qui a fermé lorsque Scott était petit, et à travers ça un hommage au rap du Sud et en particulier de Houston, qui l'a bercé et formé. Le meilleur morceau du disque, "RIP Screw" rend d'ailleurs un hommage direct à DJ Screw, pionnier d'un hip-hop psychédélique, avec une distance très respectueuse et vis-à-vis de son modèle qu'il honore par des audaces de production bluffantes. Un morceau d'anthologie à écouter absolument au casque.

Travis Scott - Stop Trying To Be God (Clip, 2018)

  Les tubes absolus se succèdent : "Stargazing", "Sicko Mode" (montagne russe composée de trois beats collés ensemble et propulsés par Drake et Scott). Les collaborations sont fructueuses : exceptionnel "Carousel" avec Frank Ocean, magnifique "Stop Trying To Be God", désarmant de beauté grâce en partie aux choeurs de Kid Cudi, à l'harmonica de Stevie Wonder et au chant de James Blake. Avec ce morceau, il arrive à un magnifique crossover pop/rap, lui qui a une esthétique assez rock - ce qui se traduit par des concerts d'anthologie. La merveilleuse "Skeletons" composé avec Kevin Parker de Tame Impala, les guitares de "Wake Up" et "Coffe Bean" vont également dans ce sens. 

  A l'image de ces derniers titres, une ambiance psychédélique se dégage régulièrement de la musique de Scott, sur "Astrothunder", co-produite par Thundercat, Frank Dukes, John Mayer et Vegyn dans un style que ne renierait par Pi'erre Bourne. Mais aussi sur "Butterfly Effect" et "Yosemite" avec Gunna, qui emploie une guitare sèche et de petits synthés qu'on jurerait sortis d'un vieux Zelda

Travis Scott - YOSEMITE (Clip, 2018)

  Même les bangers trap ("No Bystanders", "NC-17", "Can't Say", "Who? What!", "Houstonfornication") sont gavés de bonnes idées de production. Et quelques autres morceaux sortent du lot, comme la dramatique "5% Tint", avec son piano sombre et son ambiance dub et gothique. 

  Pour faire court, cet album est une petite bombe, enchaînant les tubes et les audaces créatives de manière effrénée, malgré un dernier tiers un peu en dessous. C'est un des disques les plus épatants de l'année, et derrière son esthétique marrante (cf les clips qui ne se prennent pas au sérieux) de fête foraine, il offre son lot de sensations fortes musicalement parlant. Ce kaléidoscope d'influences propulsées par une volonté de faire bien et neuf donne, à l'aide d'une équipe de collaborateurs de qualité, un grand album qui ne se contente pas de saisir le son de l'époque mais qui l'impose. On attend du très, très grand dans la suite des aventures discographiques du jeune Travis Scott et de Mike Dean.

Travis Scott - BUTTERFLY EFFECT (Clip, 2018)

Mes morceaux préférés : Stargazing, Astrothunder, 5%Tint, Sicko Mode, RIP Screw, Stop Trying To Be God, Yosemite, Carousel, Skeletons

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Alex


  

vendredi 2 novembre 2018

Connan Mockasin - Jassbusters (2018)



  Quelques années après un Caramel complètement fou, entre soul sexy façon Barry White et psychédélisme déglingué, et quelques projets parallèles dont un album génial avec LA Priest sous le nom de Soft Hair, Connan Mockasin revient avec un album au contenu musical plus sobre et posé, même si il illustre un film (BOSTYN 'N DOBSYN)que nous n'avons pas vu mais qui a l'air assez barré (si j'ai bien compris une histoire d'amour entre un prof et son élève ?). 

Connan Mockasin - Charlotte's Thong (2018)

  Dès le single "Charlotte's Thong", en hommage à Charlotte Gainsbourg avec qui il a bossé, l'ambiance est posée. Guitare tour à tour folk, soul et surtout blues, basse lente mais funky, on n'est pas très loin du jeu virtuose mais pas démonstratif de génies de la mélodie comme Albert King ou David Gilmour. L'album a été enregistré en très peu de temps, et ça s'entend, dans la qualité de l'enregistrement notamment : on entend un peu de bruit en background, ce qui paradoxalement renforce les chansons, leur donnant une intimité supplémentaire, une authenticité et une proximité difficiles à feindre, un petit côté fait maison comme les premiers McCartney ou même une fenêtre dans l'esprit à nu de l'auteur de ces morceaux, un peu comme sur un disque de Syd Barrett. Le morceau s'étend, s'allonge, mais sans les interminables digressions psyché gavées d'effets sonores qu'on a l'habitude d'entendre chez Connan. Ici, tout est plus simple, et plus sobre. Et ça marche à merveille. La seule petite digression est une interlude avec quelques lignes de dialogue, "You Can Do Anything", et elle passe plutôt bien. 

    Mockasin invite James Blake pour la soul/gospel de film d'horreur dépouillée et folky de "Momo's", qui doit beaucoup à Radiohead (on imagine d'ailleurs très bien Thom Yorke la chanter). Là encore, le morceau est d'une simplicité désarmante, mais la charge émotionnelle contenue dans ces quelques notes et ce chant limpide passionne et prend à la gorge pendant tout le morceau. Encore plus laid-back, mélancolique et posé, "Last Night" rappelle nombre de classiques blues et soul, avec de petites touches de folies évoquant alternativement le rnb de Blood Orange, le funk fou de Prince ou le Bowie période plastic soul. Un autre excellent morceau. 

Connan Mockasin - Con Conn Was Impatient (Clip, 2018)

  Autre grand morceau, "Con Conn Was Impatient", lui aussi sorti en single (si ça veut encore dire quelque chose), puise de son côté dans le blues, la soul et le rnb, mais là encore arrive à imposer une ambiance nocturne, mélancolique et intimiste magnifique, et réussit à groover tout en posant une mélodie inoubliable, sur un tempo plutôt lent en plus. Ce groove mi-folk mi-funky, joué avec beaucoup de chorus, fait d'ailleurs pas mal penser à une autre figure ultra influente du rock indé : Mac DeMarco. C'est particulièrement flagrant sur des morceaux plus rythmés comme le second interlude du disque : "B'nd"

  Tout le génie de ce disque est de proposer des tempos ralentis, des morceaux très épurés et relativement répétitifs, tout en réussissant à tenir en haleine l'auditeur grâce à une interprétation géniale. Des morceaux comme "Sexy Man" ou "Les Be Honest" auraient pu être très chiants sans ce 6e sens de Mockasin pour accrocher l'oreille. 

  Cet album est une anomalie salutaire. Un disque lent, minimaliste, bluesy, soul et un peu folk, reposant tout entier sur le talent d'interprète et l'oreille de mélodiste d'un Connan Mockasin qui s'impose une fois de plus comme un génie de la pop, à contre courant et pourtant ultra influent. Un grand disque, concis, impeccable, et de superbes chansons qui sont autant de pauses salutaires, de bouffées d'air frais dans une époque où la musique est souvent sur-compressée, surproduite, ultra-rapide et sans reliefs.

A écouter sur Spotify ou Deezer


Alex



lundi 4 décembre 2017

Mount Kimbie - Love What Survives (2017)


  Aujourd'hui, on va s'écouter le dernier album des britanniques Mount Kimbie, Love What Survives, sorti cette année (en 2017 donc).

Mount Kimbie - Four Years And One Day (Clip, 2017)

  Le disque commence comme du post-punk électronique biberonné au kraut, avec "Four Years And One Day" avec néanmoins une production moderne qu'on pourrait approcher de celle de Jamie xx pour sa clarté, avant un final plus Joy Division et un poil bruitiste. Le paysage urbain post-industriel est mis en place avec brio, et sa prod épurée à la ligne rythmique entêtante, entre électro 90's quasi trip-hop, new wave gothique et jazz, permet au flow évocateur du crooner punk et prolo british King Krule d'emporter "Blue Train Lines" vers des sommets d'intensité et d'émotion. Le morceau est tellement évocateur, urgent et tellement dans son époque qu'il pourrait être un véritable hymne générationnel dans un monde parfait où les 12-35 écouteraient tous King Krule. 

Mount Kimbie & King Krule - Blue Train Lines (Clip, 2017)

  Puis la merveilleuse "Audition" prolonge l'esprit de l'album avec ses synthés baveux, acides et rêches, sa rythmique martiale mais avec un esprit jazz, sa chaloupe funk et son esprit punk. Et clôt admirablement la première partie de cet album très bien séquencé puisqu'elle fait également le lien avec la suite.

Mount Kimbie & Micachu - Marilyn (Clip, 2017)

  En effet, "Marilyn", avec Micachu, ouvre les horizons du disque avec de douces influences africaines contrastant avec la rythmique sèche du morceau et se permet même de petits arrangements jazz. Cette ouverture d'esprit, mêlant presque de l'afrobeat, du traditionnel, du jazz et de la pop 80's, montre bien un aspect intéressant de la musique d'aujourd'hui qui fait sa richesse : sa culture bien moins restreinte qu'elle ne l'était au temps de l'âge d'or d'un rock qui malgré ses qualités était  souvent auto-référencé et tournait en rond à partir des années 80-90 pour son versant mainstream. Cette beauté métissée se poursuit sur "SP12 Beat" et "You Look Certain (I'm Not So Sure)" qui mêle une pop post-punk (le chant de Andrea Balency), des synthés glacés et un rock post-Eno.

  Cette fois-ci c'est le quasi solo de claviers "Poison" qui va servir de transition pour annoncer la suite de ce disque séquencé comme un très bon mix. Avec "We Go Home Together", c'est un autre compatriote british des Mount Kimbie qui dévoile une pop-soul post-dubstep : James Blake. Qui est d'ailleurs un poil plus nasillard et malicieux qu'à son habitude, ce qui est plutôt une bonne surprise car il commence à tourner en rond en solo. Avec, là encore, un superbe clip à la clé.

Mount Kimbie & James Blake - We Go Home Together (Clip, 2017)

  Le rythme repart avec un "Delta" absolument fabuleux dans son genre, un parfait single qui a vraiment aiguisé ma curiosité pour ce disque.

Mount Kimbie - Delta (Clip, 2017)

   L'album se clôt par "T.A.M.E.D" qui sonne comme entre un Gorillaz psychédélique reprenant Baxter Dury et produit par SBTRKT au sommet de la période Wonder Where We Land, puis par la deuxième collaboration du disque avec James Blake, "How We Got By", conclusion sombre et jazzy comme il faut.

  Pour faire court, ce disque est très bon, très très bon même. Il prolonge toute l'histoire du rock et de l'électronique british en y ajoutant une page passionnante. Prenant, ce disque vous happe comme pouvait le faire Burial, et fait vraiment avancer l'art avec une démarche globale tant en termes de visuels que de collaborations pertinentes. A écouter absolument par ici par exemple.

Et si vous voulez les voir en live je vous propose d'écouter ça ci-dessous :



Alex



samedi 7 octobre 2017

Rap Updates 2017 : Vince Staples, JAY-Z, Young Thug

Vince Staples

  Le rap est un univers compétitif, tout le monde le sait. Et pour durer, il faut changer. D'autant plus que le genre commence à sérieusement dater, et qu'on assiste par conséquent à certaines révolutions : des mentalités et du discours d'abord (envers l'expression d'émotions ou des sujets aussi divers que l'orientation sexuelle, le féminisme ou la dépression) ainsi que de l'esthétique globale (ouverture musicale toujours plus grande, éclosion de virtuoses). Révolutions auxquelles il faut s'adapter pour saisir son époque, rester pertinent, percutant et artistiquement intéressant, et ce que l'on soit un artiste vétéran, un jeune premier ou quelque part entre ces deux extrêmes, et c'est ce que nous allons voir avec ces trois exemples : Vince Staples, Young Thug et Jay-Z.



Vince Staples - Big Fish Theory (2017)

  Vince Staples est unique. Après un premier album aux sonorités post-punk et psychédéliques à l'allure de chef-d'oeuvre, il a pondu le très bon EP complètement barré Prima Donna, il était sur le meilleur morceau du dernier Gorillaz, et il est revenu cette année avec ce disque qu'il qualifie lui-même d'afro-futuriste. Très électroniques, les prods sont à la fois référencées (on y entend successivement toute l'histoire de l'électro et en particulier son héritage chicagoan) mais également très modernes, à l'image du très cadré et presque pop (grâce au chant de Kilo Kish"Crabs In The Bucket" qui ouvre le disque. Cet aspect électro-pop, mi-expérimental mi charmeur, parcourra tout le disque, de "Alyssa Interlude" évoquant l'ouverture musicale totale et le spleen de Damon Albarn sur un sample des Temptations et une interview d'Amy Winehouse. Albarn qui pointe le bout de son nez lors du morceau suivant, le magnifique gospel technoïde "Love Can Be..." dans lequel sa voix est réduite à l'état de sample, Staples maîtrisant son disque d'une main de fer.

Vince Staples - Bagbak (2017)

  Parfois, on sa retrouve avec de gros bangers électro comme la puissante techno de "Homage", "Party People" (avec un je ne sais quoi jamaïcain), "SAMO" ou "Yeah Right" qui détonnent complètement, à part chez Kanye West, Danny Brown et Pusha-T, difficile d'entendre des beats aussi étranges chez un artiste de ce calibre. D'ailleurs, c'est le king Kendrick Lamar qui sublime ce dernier morceau d'un couplet d'anthologie d'une puissance crasse à même de ramener tous les jeunes bidouilleurs de distorsion du soundcloud rap à leurs chères études. D'ailleurs, ce n'est pas pour rien que le single "BagBak", qui claque bien, ait été envoyé en éclaireur. Sa maestria rythmique rend la track produite par Ray Brady absolument irrésistible.

Vince Staples - Big Fish (2017)

  Malgré le côté inédit du projet, les références à ses pairs ne sont pas absentes. Avec un feat de Juicy J, et sur une prod de Christian Rich, le morceau "Big Fish" évoque le travail de rénovation du G-Funk de DJ Mustard et YG. Approche doublée sur un "745" qui mêle le hip-hop funky californien et la trap d'Atlanta grâce à un liant électronique.


  Mais le clou du disque c'est ce "Rain Come Down" dont j'ai déjà parlé précédemment, dans lequel on a tout : le côté dub, la house, la techno, le rap virtuose, le gospel/rnb grâce au surdoué et sous-estimé Ty Dolla $ign, et l'électro-pop néo-80's belle à pleurer mêlée à un lead G-Funk surréel sur la conclusion angélique du morceau. 

Vince Staples - Rain Come Down (2017)

  En réalité, ce qui tient ce disque, outre la constante qualité des productions et leur homogénéité esthétique, c'est le flow inimitable de Staples, désabusé, fier, arrogant, intelligent, implacable, agile et minimaliste à la fois. Et comme toujours, il a su s'entourer pour proposer une oeuvre totale aboutie et impressionnante (la pochette et les clips valent le détour).

  Un grand disque, de bout en bout, que je vous encourage à écouter par exemple par ici. Et un bel exemple de réinvention musicale, très tôt dans une jeune oeuvre prometteuse et déjà bien remplie.






JAY-Z - 4:44 (2017)

  Tout part de "Glory". Sorti en 2012, ce morceau, produit par les Neptunes (Pharrell Williams & Chad Hugo), évoque la naissance de Blue Ivy Carter, le premier enfant de Jay-Z, d'une façon assez inédite chez le rappeur puisqu'il y est d'une vulnérabilité totale. La fierté et les peurs de la paternité, la relation avec sa femme, la douleur d'une précédente fausse couche et l'angoisse qu'elle a entraîné, l'amour d'un père pour sa fille... Tout est abordé, sur un beat simple, beau et plein de soul samplant le battement de coeur de sa fille et ses premiers cris. Un très bon morceau.


Jay Z - Glory (2012)

  Mais l'année d'après, on a affaire à un Magna Carta Holy Grail (2013) un peu lourdingue et pataud souffrant de l'énormité de ses beats (sur)produits par une armée entière selon les normes du moment (en partie définies par son travail avec Kanye West en 2011 sur Watch The Throne), ainsi que d'une baisse d'inspiration de la part du rappeur, malgré de bons moments. Après ce disque surviendra une longue ellipse, dans laquelle Sean Carter s'effacera au profit de sa femme Beyoncé, et gérera ses affaires dans l'ombre. Malheureusement, même loin du micro, il est resté sous les projecteurs pour de mauvaises raisons, un adultère qu'il aurait commit, révélé par le comportement de sa belle-soeur Solange dans une vidéo de surveillance devenue ultra-connue, et confirmée par l'album multi-acclamé "de la revanche" de sa femme, Lemonade, en 2015. Le couple ayant apparemment réglé ses comptes en privé (ce qui ne nous intéresse guère d'ailleurs), Jay-Z se devait apparemment de répondre musicalement, et peut-être que ces petits coups de piques égratignant son image publique devenue éminemment respectable sous Obama ont réveillé le taureau, allez savoir.

JAY-Z

  Toujours est-il que pour ce nouvel album, Jay est revenu à ses premières amours, les beats soul (tous magnifiquement produits à l'ancienne par un seul producteur, No I.D., magistral ici), et à l'authenticité émotionnelle de "Glory".  Cette simplicité se retrouve jusque sur la pochette, sans mention de Jay mais avec un peu d'ego quand même, avec ce malicieux rappel sur le statut du rappeur (c'est quand même son 13e album !). Et ce disque, suite à cette impulsion, a démarré une nuit agitée, à 4h44 du matin, lorsque Jay s'est mis à écrire furieusement "4:44", donnant son nom à l'album (et durant 4 minutes et 44 secondes tout pile). Le titre, considéré comme le plus puissant par le rappeur, est construit autour d'un sample de "Late Nights & Heartbreak" interprétée par Hannah Williams & The Affirmations, composée par Kanan Keenay et magnifiquement trituré par No I.D., qui affirme avoir voulu tirer le meilleur d'influences comme What's Going On de Marvin Gaye (1971), Illmatic de Nas (1994), The Blueprint de Jay-Z (2001), Confessions de Usher (2004), ou My Beautiful Dark Twisted Fantasy de Kanye West (2010).

Hannah Williams & The Affirmations - Late Nights & Heartbeak (2016)

  Le titre du rappeur, comme le morceau dont est issu le sample, parle d'infidélité, et constitue une vraie lettre ouverte d'excuses à sa femme. Tout le génie de No I.D. est d'avoir conçu ce beat en sachant que Jay-Z voulait écrire un morceau de ce type, dans le but précis de le forcer à raconter cette histoire en toute vulnérabilité. La réponse de Jay en entendant le beat ? "Ok, je rentre à la maison". Et c'est cette fameuse nuit qu'il se réveillera pour écrire le texte. Qui est riche, brassant les questions du couple, de la paternité, de ce que ça signifie que d'être un homme. Ces questions sont remises dans le contexte d'une célébration de la culture populaire, en particulier black, dans le clip fait de collages de vidéos virales chopées sur internet.


JAY-Z - 4:44 (2017)

  A partir de ce morceau déclencheur, c'est un grand album qui peut se dérouler devant nos oreilles ébahies. On va tout de suite traiter du cas du 1er morceau du disque, également le 1er enregistré, "Kill Jay Z" dans lequel le rappeur parle de tuer son propre ego (symbolisé par le passage officiel du nom Jay Z en JAY-Z pour ce LP), après avoir récapitulé une liste de ses errances passées et des erreurs qu'il a commises dans sa façon de les gérer. Le morceau est construit autour d'un sample de "Don't Let It Show" par le Alan Parsons Project (1977), et est magnifiquement mis en image dans un clip prenant, allégorie de la fuite en avant du rappeur.

JAY-Z - Kill Jay Z (2017)


  Mais c'est bien "The Story Of OJ" mon morceau préféré de ce disque. Musicalement impeccable, il repose sur le merveilleux "Kool Is Back" de Funk Inc. (1971), et surtout le poignant "Four Women" (1966) de Nina Simone, le genre de samples hors de prix que seuls Jay et Kanye peuvent se payer (ou presque). Magnifique par sa musique et son interprétation vocale, il évoque avec brio un thème sous-jacent aux précédents morceaux, et qui a peut-être aussi poussé Jay-Z à sortir de son silence : la condition des afro-américains aux USA en 2017. Je n'ai rien à dire de plus, si ce n'est qu'il faut l'écouter et regarder son clip, sans doute un des meilleurs de l'année, inspiré du livre The Story Of Little Black Sambo (traduit en "Sambo, le petit Noir" en français) de Helen Bannerman (1950), livre controversé truffé de clichés racistes. On y suit Jaybo, l'avatar de JAY-Z, déambulant dans un univers proche des premiers Disney en noir et blanc, version raciste. Très puissant, visuellement et conceptuellement.

JAY-Z - The Story Of OJ (2017)

  Autre sample hors de prix pour une prod excellente : "Love's In Need Of Love" (1976) de Stevie Wonder, sur "Smile" dans lequel on entend un Jay optimiste, parlant de transformer les erreurs du passé en leçons pour un futur meilleur, et permet à sa mère de faire un coming out en direct devant le monde entier sur l'outro décidemment inclusive de la chanson. Et cette mentalité n'est pas la seule trace de modernité de la track, on y entend également les premières concessions à la modernité : un beat et un flow influencés par la trap. 

  Mêmes les morceaux plus légers valent le détour. Le reggae samplant une fois de plus Nina Simone de "Caught Their Eyes" est sublimé par Frank Ocean. L'autre morceau influencé par la Jamaïque, "Bam", avec Damian Marley utilise le même morceau de Sister Nancy comme source de sample que le "Famous" de Kanye. Il lasse un peu à force de répétitions, mais a le mérite d'être accrocheur. 

      
JAY-Z & Damian Marley - Bam (2017)

  Dans le même esprit, en plus sombre et plus intéressant, "Moonlight" intrigue. Son clip, détournement afro-américain de Friends, vaut le détour également. Tout comme le superbe morceau "Family Feud", samplant Beyoncé et les Clark Sisters, et le classique "Marcy Me" et son refrain rnb, qui utilise l'autotune, les effets dub et le côté soul-rap façon J.Cole avec subtilité. Retour au classicisme également avec "Legacy", comme un décalque fatigué et usé par le temps de son pétaradant, fier et classique Black Album (2003).


JAY-Z - Moonlight (2017)

  Les bonus produits par James Blake valent également le détour : le triste "Adnis" nommé d'après son père et le minimaliste "ManyFacedGod". D'un autre côté, le freestyle de sa fille sur "Blue's Freestyle / We Family" fait sourire, mais n'est pas aussi intéressant, même s'il a le mérite de valider mon argument sur "Glory" comme source d'inspiration de ce disque.

  Bref, le retour de JAY-Z est étonnamment monumental et indispensable, et c'est un vétéran du rap plus pertinent que jamais qui revient avec un album on ne peut plus personnel, gavé de prods brillantes, que demander de plus ?

JAY-Z - ADNIS (2017)

JAY-Z - ManyFacedGod (2017)












Young Thug - Beautiful Thugger Girls (2017)

  Le dernier exemple de réinvention rap réussie n'est pas une énorme surprise, puisqu'elle nous vient d'un caméléon. Young Thug se paie en effet le luxe depuis des années de se réinventer presque à chaque sortie, ouvert à toutes les influences et les collaborations hors du rap (Jamie xx, Calvin Harris...) comme son idole Lil Wayne, tout en gardant son ADN trap tout droit issu des premiers singles de Gucci Mane.

  Ainsi, à l'image de cette pochette "photoshoppée à l'arrache" façon collage, le premier titre de l'album, "Family Don't Matter", donne le ton : guitares tour à tour rnb sucré façon 90's et country-folk, le beat est définitivement d'Atlanta dans l'esprit, le flow riche oscille entre rap alien post-Wayne, country ("yee-ha !", le refrain), trap, pop et inflexions jamaïcaines. Et Millie Go Lightly fait une excellente partenaire de chant, pour des choeurs aussi étonnants que magnifiques comme pour des soli rnb-pop éblouissants. D'ailleurs, son autre collaboration avec Thugger sur ce disque, "She Wanna Party" est une autre réussite totale, dans un genre de trap néo-dancehall inauguré précédemment par Young Thug avec son acolyte Travis Scott sur "Pick Up The Phone" (2016) il y a quelques mois. Ce tube absolu est une vraie party song hédoniste, de la pop post-moderne, post-trap. 

Young Thug


  Et ces deux morceaux résument bien l'esprit conquérant de ce singing album, co-produit par Drake : réaliser un crossover trap, pop, country-folk, dancehall et électronique. Pour cela, il a su s'entourer de producteurs compétents comme Rex Kudo, London On Da Tracks, Wheezy ou le producteur "folk-trap" Charlie Handsome, ainsi que de personnalités éclectiques comme le guitariste, metalhead et rappeur Post Malone par exemple. 
  Ainsi que son fidèle ingénieur Alex Tumay, seul à être habilité à entendre Thugger en studio et à mixer sa voix.

  On peut s'amuser à énumérer les influences oxymoriques de ces morceaux. La triste et chargée "Tomorrow Til Infinity" s'inspire de la noirceur des prods de Travis Scott, de la façon de traiter un sample post-punk dans du rap de Kanye West sur la tout aussi déchirante "FML" (2016), d'un je ne sais quoi de la sciences de l'espace qui caractérise les meilleures prods du rockeur-rappeur Post Malone, et du gospel autotuné plein de soul et hypermoderne du golden boy Ty Dolla $ign.

  "Daddy's Birthday" est également pleine de soul dans le chant, ainsi que dans la musique traitée comme un sample de muzak par un producteur de vaporwave, avec une nonchalance post-"Hotline Bling" de première fraîcheur. Quiet Is The New Loud... 

Young Thug & Future - Relationship (2017)

  Comme je l'ai dit, ce disque est un disque de crossover, notamment pop. Et il est donc gavé de tubes. Comme "Do U Love Me", irrésistible trap-pop post-dancehall. Ou "Relationship", hyper putassier, avec Future, entre construction presque EDM et esthétique bling bling 80's-90's (cf le clip ci-dessus). Crossover rnb aussi, avec ces guitares sirupeuses un poil latino sur "You Said", qui auraient pu figurer sur un disque du mitan des 90's et encadrent un chant affecté hésitant entre la mise à nu émotionnelle et le second degré à force d'exagérations. Avec Quavo dans le rôle de la chanteuse rnb (c'est aussi à ça que sert l'autotune). 

  Puisqu'on parle de sirop et donc d'amour, c'est une bonne occasion d'aborder les textes. Pas géniaux sur le fond malgré quelques fulgurances, ils sonnent en revanche divinement bien à l'oreille (c'est normal, c'est de la pop !), et parlent presque tous de l'amour de Thugger pour sa copine (avec force détails explicites, c'est normal c'est du rap, ne pas s'effaroucher pour si peu on est en 2017, la poésie est crue).

Drake & Young Thug

  La fin de l'album est un peu en deça par contre. "On Fire" est sympathique mais moins captivante que les autres ersatz dancehall présents ici, malgré un parti pris dark original pour le genre. "Get High" est également appréciable, mais pas transcendante malgré un intéressant côté G-Funk 4.0 assisté par Snoop Dogg en personne. "Me Or Us" est également bien cool dans le registre country-folk sans crever le plafond. Tandis que "Feel It" et "Oh Yeah" sont des exercices trap-pop interchangeables, que "For Y'all" lasse malgré ses cuivres latino, et que "Take Care" fait dans la surenchère électronique un peu douloureuse. 

  J'aurais personnellement préféré que ces morceaux soient considérés comme des bonus tracks, ou fournissent un EP à part, plutôt que de ternir et rallonger inutilement ce disque. D'autant plus que question dépouillement émotionnel, Thugger avait fait beaucoup mieux avec "Safe", que j'aurais préféré entendre ici et ne mérite pas son statut de single isolé (le clip, présent ci-dessous, est cool aussi). Dans une moindre mesure, la trap tropicale de "All The Time", elle aussi absente du disque, valait davantage le détour que ces derniers titres.

Young Thug - Safe (2017)


  Bref, malgré une fin d'album comme qui se dégonfle un peu au fur et à mesure, ce disque fait quand même partie des LP marquants de l'année pour moi, et reste un superbe exemple de réinvention artistique réussie.

Merci pour votre lecture et vos commentaires, et à bientôt !


 Alex