Je m'attaque à gros aujourd'hui, peut être trop, mais je me lance. Voici une de plus mythiques et des plus sublimes B.O. de l'histoire du cinéma, celle "composée" par Miles Davis pour le film Ascenseur Pour l’Echafaud, premier long métrage du cinéaste français Louis Malle. Dont la B.O. est peut être encore plus connue que le film lui même, tellement l'oeuvre est novatrice et clef dans la vie du plus célèbre des trompettistes, comme dans l'histoire de la musique de film.
Une petite mise en contexte s'impose. Nous sommes fin 1957, Louis Malle, jeune cinéaste de 25 ans, cherche au plus vite une musique pour son premier long métrage qu'il doit soumettre au Prix Louis-Delluc, qu'il remportera d'ailleurs avec ce film. Son assistant Jean-Paul Rappeneau, futur réalisateur d'un Cyrano de Bergerac à la renommée mondiale, lui soumet alors l'idée de faire appel à Miles Davis, encore peu connu en France. Cette idée lui fut certainement inspiré par le récent Sait-on jamais de Roger Vadim qui pour la première fois dans l'histoire du cinéma choisit du jazz pour la B.O. d'un film, avec une composition de John Lewis interprétée par le Modern Jazz Quartet. Ascenseur Pour l'Echafaud servira donc d'amplificateur à cette mode qui sera suivie aux Etats Unis par de nombreuses B.O. jazz, comme celle de Duke Ellington pour le film Anatomy of a Murder d'Otto Preminger, couronnée en 1959 d'un Grammy Award de la meilleur bande originale de film, prouvant l'amplitude de ce mouvement.
Pour revenir à Miles Davis, après une année désastreuse marquée par la dissolution de son quintet ( John Coltrane au saxophone ténor, Red Garland au piano, Paul Chambers à la contrebasse et Philly Joe Jones à la batterie ). Il arrive en France fin novembre 57 pour la troisième fois de sa carrière, sous l'invitation de l'incontournable producteur de jazz de l'époque, Marcel Romano. Les membres de son ancien quintet n'étant pas disponible, il recrute alors Barney Wilen au saxophone ténor, René Urtreger au piano, Pierre Michelot à la contrebasse et Kenny Clark à la batterie, pour une tournée française constituée d'un concert à l'Olympia et de trois semaines au Club St Germain, puis de dates européennes. C'est alors que le jeune cinéaste français lui propose le projet qu'il acceptera très vite, suite à un visionnage privé du film, trois jours après son arrivée.
Ainsi, quinze jours plus tard, dans la nuit du 4 au 5 décembre 1957, le quintet prit place dans les studios du Poste Parisien, accueilli par Jeanne Moreau, vedette du film. C'est alors qu'en quatre heures, à partir de quelques séquences harmoniques esquissées sur un piano dans sa chambre d’hôtel et de beaucoup d'improvisation, Miles accoucha de ce titan.
Parlons quelque peu du film. C'est un polar, réalisé sur fond de Nouvelle Vague en France, racontant l'histoire de Florence Carala et de son amant Julien Tavernier, voulant se débarrasser de Simon Carala, patron de Julien et mari de Florence. Voulant faire disparaître la dernière preuve de son crime, Julien reste coincé dans l'ascenseur. Un jeune délinquant vole alors la voiture de Julien et commet un meurtre. Tout porte alors à accuser Julien, mais Florence arrive trop tard pour le disculper de ce crime.
Passons maintenant à la musique pure. Ce qui marque et qui fait toute la beauté de cette musique c'est la trompette. Cinglante, oppressante, elle ne colle pas vraiment avec ce qui se passe à l'écran, à en être presque dérangeante. C'est comme si la musique vivait dans l'environnement, n'avait pas de thème défini. Elle fait partie des bruitages et nous nous délectons de l'atmosphère sombre, moite, presque fatale, de son timbre feutré. L'ambiance est parfois cynique, parfois dynamique, parfois sordide, mais toujours introspective. Elle constitue l'environnement du film. C'est ce qui fait là toute la force de cette B.O. Plutôt que d'avoir pour fonction le renforcement de l'intrigue, de l'action, d'une scène ou d'émotions, elle est ici élément à part entière de ce sombre décor.
Miles Davis - Ascenseur pour l'échafaud ( Deezer )
Miles Davis - Ascenseur pour l'échafaud ( Spotify )
N'hésitez pas à partager ce que vous pensez du film et votre jugement sur son intérêt sans sa B.O.
Parlons quelque peu du film. C'est un polar, réalisé sur fond de Nouvelle Vague en France, racontant l'histoire de Florence Carala et de son amant Julien Tavernier, voulant se débarrasser de Simon Carala, patron de Julien et mari de Florence. Voulant faire disparaître la dernière preuve de son crime, Julien reste coincé dans l'ascenseur. Un jeune délinquant vole alors la voiture de Julien et commet un meurtre. Tout porte alors à accuser Julien, mais Florence arrive trop tard pour le disculper de ce crime.
Pour replacer cette composition dans l'oeuvre de Miles je vous propose une citation de Jean-Louis Comolli dans Jazz-Magazine :
"Sans la musique de Miles Davis, Ascenseur pour l'échafaud serait demeuré un film mineur [...]. Tout en participant au succès du film de Malle, Miles s'est lui-même élevé à un autre niveau et a pu prendre conscience de la dimension tragique de sa musique qui n'était jusque-là qu'esquissée. c'est en ce sens qu' Ascenseur pour l’Échafaud marque un tournant décisif dans l'oeuvre de Miles Davis" Passons maintenant à la musique pure. Ce qui marque et qui fait toute la beauté de cette musique c'est la trompette. Cinglante, oppressante, elle ne colle pas vraiment avec ce qui se passe à l'écran, à en être presque dérangeante. C'est comme si la musique vivait dans l'environnement, n'avait pas de thème défini. Elle fait partie des bruitages et nous nous délectons de l'atmosphère sombre, moite, presque fatale, de son timbre feutré. L'ambiance est parfois cynique, parfois dynamique, parfois sordide, mais toujours introspective. Elle constitue l'environnement du film. C'est ce qui fait là toute la force de cette B.O. Plutôt que d'avoir pour fonction le renforcement de l'intrigue, de l'action, d'une scène ou d'émotions, elle est ici élément à part entière de ce sombre décor.
Miles Davis - Ascenseur pour l'échafaud ( Deezer )
Miles Davis - Ascenseur pour l'échafaud ( Spotify )
N'hésitez pas à partager ce que vous pensez du film et votre jugement sur son intérêt sans sa B.O.
Etienne
Un article que j'ai lu avec une grande attention en passionné de Miles...
RépondreSupprimerCet album est effectivement plutôt unique dans le parcours de l'artiste, il y pose des jalons futurs et le dépouillement de son jeu va trouver là une véritable "nature".
Ici il met le langage du jazz sur une autre échelle - cet art cohabitant avec un autre art va effectivement permettre une forme d'émancipation, de nouvelle entrée...
Aujourd'hui c'est presque devenu cliché que d'associer polar et jazz.
Les formidables films que tu évoques sont des exemples qui ont été suivis.
Jazz/Polar et film noir et blanc au départ puis cette adéquation devenue commune...
Il suffit de revoir "Le Samourai" avec Delon - cette actrice musicienne juchée sur son orgue hammond qui pose une atmosphère là encore jazzy inséparable de l'ensemble du film...
Et tant d'autres exemples, sur cette touche frenchy jazz/polar comme A bout de souffle par Martial Solal...
Une brèche encore une fois ouverte par Miles que tout ça - génial défricheur...
Merci.
Oui le dépouillement est un élément très important à souligner, d'autant que l'on vient d'une période où jazz rimait avec Big Band. Il est possible que la guerre et ses conséquences économique est castré cette vague, accouchant d'un jazz très intellectuel dans les années 50.
SupprimerAprès je ne suis pas un expert en jazz, ni en Miles Davis, seulement un auditeur touché par cette grâce.
Il est vrai que jazz et polar c'est un cliché sacré. Réutiliser ce couple de nos jours serait presque une profanation présomptueuse. Mais en même temps le jazz sied si bien au polar, pourquoi s'en priver ?
Le samouraï je l'ai emprunté dans ma médiathèque, le dvd est resté vierge 3 semaines sur le canap', jusqu'à ce que je le rende. Mais j'ai indéniablement raté quelque chose.
Moi j'ai découvert la musique en même temps que le film, donc je les lie plus ensemble et les deux m'ont donc marqué.
RépondreSupprimerSuper l'histoire sur Miles, quoiqu'un peu sordide ! Mais j'adore la culture des anecdotes dans le jazz, et chacun apporte des détails différents, la preuve.
Merci pour l'after, je vais regarder ça.
Merci pour cet article complet. Je ne connais pas ce Miles-ci!
RépondreSupprimerJoli Etienne, en ce moment, je suis sur ses live 71 et 74 (live evil)..j'adore cette période post 69 (bitches brew) avec le psyché, le brûlure et tous les musicos qui l'entourrent. Je connais moins cette carrière plus "classique". Ceci dit j'ai souvent vu cette BO dans les bacs.
RépondreSupprimerJe me délecte de ton billet et je passe à l'acte ;D
Cet artiste est vraiment fascinant, il à a vécu et accompagné un paquet de révolutions musicales, d'où sa discographie passionnante. En tous cas ravi de servir d'entremetteur !
SupprimerAllez, un peu de lecture ?
Supprimerhttp://lifesensationsinmusic.blogspot.fr/2012/12/miles-davis-on-corner-1972-columbiasony.html
http://lifesensationsinmusic.blogspot.fr/2013/06/miles-davis-black-beauty.html
si vous avez du temps...
en tout cas, cet article m'a fait réécouter cet album et je viens de reprendre le film en médiathèque, comme quoi... les entremetteurs...
bien à vous
Merci pour tes messages Pascal ! Je vais essayer de trouver le temps de passer chez toi, j'ai loupé tes deux derniers articles, enfin j'ai juste lu les noms. Mais le rattrapage est prévu, et je vais essayer de finir la playlist dont je t'avais parlé... A +
SupprimerEt merci à tous les commentateurs :)
Comme Charlu, je suis resté bloqué sur la période Electric de Miles : Bitches Brew, Live/Evil, In a silent way.....quand Miles cotoya la fée électricité. Scandale, à l'image de Dylan Electric rock !
Supprimer"Ascenseur pour l'échafaud" est un superbe film, un magnifique polar atmosphérique transcendé par la musique de Miles. D'accord avec Pascal, "le samouraï" est un bijou, le chef d'oeuvre de Melville ???
Bravo pour cet article très sympa.
A +