Les aventures musicales de deux potes

Les aventures musicales de deux potes

dimanche 13 mars 2016

Kendrick Lamar - To Pimp A Butterfly & Untilted Unmastered. ( 2015 & 2016 )

LA CHRONIQUE D'ETIENNE

  En 2015, le jeune génie du rap américain, Kendrick Lamar, sortait le plus ambitieux et le plus réussi des albums du genre depuis bien longtemps : To Pimp A Butterfly. Tronnant en première place du top 2015 de pitchfork ( et du top 2015 d'Alexandre ! ), rafflant 5 récomponses aux 58èmes grammy awards, y fournissant une performance scénique remarquée et remarquable, ce disque sonne la consécration de l'artiste.



To Pimp A Butterfly ( 2015 )
     Cette réussite tient surement à la richesse des influences de cet album, honorant ses aînés sur des collaborations avec Georges Clinton ou Snoop Dog, utilisant une interview de Tupac sur Mortal Man, embrassant les deux générations de rappeurs qui le précède. Mais ces références sont bien plus vastes que le rap et s'étendent au jazz ( sur le magnifique Alright notamment ), au RnB, en passant par la soul. C'est ainsi un véritable hommage musical à la black musique et un manifeste pour la cause afro-américaine.

     L'autre cause de sa réussite, c'est l'ambition et l'exigence artistique avec lesquelles l'album a été traité, donnant à écouter une production très travaillée, mettant en valeur le chant et le message de Kendrick Lamar. L'accent est alors donné sur les ambiances et rythmes rap, jazz ; sans négliger pour autant une certaine forme de mélodicité inspirée de la soul et du RnB ( on notera le très sympathique choeur sur For Sale? - Interlude ). 
     Techniquement nous somme très loin d'un rap root. Ici l'usage du sampling, ne fait pas défaut, piochant chez James Brown ( The Payback sur King Kunta ), Sufjan Stevens ( All For My Self Sur Hood Politics ) ou Fela Kuti ( I No Get Eye For Back sur Mortal Man ). Mais il se fait très discret, ne laissant pas apparaître de cuts, rythmant souvent le rap old scool. Le résultat est alors très classe, rappelant l'esthétique sonore des majors, coupant ainsi avec une certaine forme de gansta rap s'insinuant jusqu'à la production très abrasive.


Untilted Unmastered. ( 2016 )

     De ce processus de création en résulte des "chutes" de studio, dont on a déjà pu entendre certaines en live. Sous la pression du public, le rappeur décide alors d'en sortir un album, sobrement nommé Untilted Unmastered., sorti ce 4 mars 2016, constituant une extension à ce chef d'oeuvre que constitue To Pimp A Butterfly. Un album courageux en soi, quand on regarde le passé parfois catastrophique de de concept ( notamment très utilisé de manière posthume ). Ici il n'en est rien, la qualité en est extraordinaire ! 
     La production y est naturellement plus sobre, plus directe, plus spontanée en soit. Pour former une ambiance plus intimiste. Dénué de sa surproduction on y découvre alors le substrat du travail de Kendrick Lamar sur ce projet formé par ces deux albums : le jazz et plus spécialement le free-jazz ! On y comprend mieux le génie de cet artiste qui réussi à relier avec une aisance innée ces différentes générations de la black music. Ce Untilted Unmastered. n'est alors ni plus ni moins qu'un prolongement de ce projet, permettant de mieux comprendre ce travail. C'est aussi un "alter ego", un "yang". Là où l'un est ambitieusement produit, l'autre est humblement composé ; là où l'un se fait classique, l'autre se fait old-school. Ces deux albums forment un tout, trouvant leur équilibre dans ce dyptique harmonieux. Un chef d'oeuvre que l'on ne saurait individualiser.


LA CHRONIQUE D'ALEXANDRE

To Pimp A Butterfly ( 2015 )
  Une des plus grosses claques musicales de ces dernières années. Aucun autre moyen de parler de ce To Pimp A Butterfly incroyable. Malgré l'immense qualité de son précédent album, rien ne pouvait nous faire attendre une réussite aussi majeure de Kendrick Lamar. Qui d'autre peut réunir des jazzmen comme Kamasi Washington, Thundercat des funkateers comme George Clinton, des producteurs émérites comme Dre ou Flying Lotus, des énormes stars du hip-hop, de la rnb et de la soul comme Snoop Dogg, Cee-Lo Green, et même le défunt Tupac Shakur ?! 
  
  Cet album est un album fou, qui synthétise toute la black music depuis les negro spirituals au hip-hop des années 2010 en passant par le free jazz et le P Funk. Du hip hop west-coast sous influence clintonienne cotoie du hiphop plutôt westcoast sous influence jazz, on entend du scat, des choeurs... Et au milieu de tout cela, le maître de cérémonie déploie son flow agile, polymorphe, virtuose et léger, spontané et réfléchi, cérébral et sensuel, mélodique et rythmique. 
  La progression sur ce point est phénoménale. La technique et la sensibilité de l'interprétation de Lama donnent d'ailleurs une bonne raison à la fois au jazzmen et aux mecs du funk de le rejoindre, et à Lamar de se frotter à eux : il est au même niveau de musicalité, de technique et de sensibilité. 

  D'ailleurs, l'ambition folle de cet album de synthèse aurait été vouée à l'échec si elle n'était pas portée par une vision aussi forte portée par un être totalement dévoué à son art. Pour porter un album et une ambition musicale aussi forte, il faut avoir des épaules. Comment faire cohabiter harmonieusement un morceau de scat sur du free jazz ("For Free?"), un P Funk ("Wesley's Theory"), un G Funk ("King Kunta"), ce qui s'approche d'une fusion entre du jazz et un banger trap ("Alright") sans perdre en cohérence ? Avec un projet béton. 
  La maîtrise de son art, l'ambition et la clarté de la vision de Lamar lui permettent en outre de mettre en musique avec une puissance inégalée ses textes à la fois personnels et à la portée politique évidente. Il mélange à ce sujet questions sociales et personnelles avec brio, en évitant les facilités et en mettant tout le monde face à ses responsabilités et ses erreurs, et lui le premier. Et tout ça avec une rythmique, une technique d'écriture et des rimes imparables. 

  Plus d'une heure et quart et seize morceaux denses qui passent comme un album de 30 minutes sans remplissage, temps mort ni indigestion, (exceptée peut-être la "discussion" finale avec Tupac) c'est ce que vous offre Kendrick.
 Un bel aperçu de la musique qui nous attend dans ces années 2010-2020, et qui encourage à l'optimisme quoi qu'en disent les passéistes, les conservateurs et les rassis de la cochlée. La cohabitation maîtrisée et audacieuse de genres musicaux majeurs avec des formes plus modernes, de grands musiciens, de producteurs, de synthés, d'électronique, de samples, de sueur, de rap, de chant... Bref : rien de moins que l'album de hiphop (de musique tout court) le plus important depuis longtemps

Untilted Unmastered. ( 2016 )

  L'année suivante, Lamar nous offre ce untitled unmastered., complément de morceaux prévus pour sortir sur To Pimp..., mais exclus pour des raisons de temps, des problèmes de samples, et tout simplement parce que l'album était cohérent et assez dense tel qu'il est sorti. Joués en live, ces morceaux ont ébloui pas mal de monde, ce qui a poussé Lamar a nous présenter ce complément à son chef d'oeuvre. Et il a bien fait. Ces 8 morceaux sont encore plus jazz, soul-funk et moins frontalement hiphop que l'album, oscillent entre le sensuel et la confession, avec une ambiance plus feutrée et intimiste. D'ailleurs Lamar nous offre sur la fin d'"untitled 07 2014-2016" une sorte de making of de "o Pimp A Butterfly et partage sa façon de construire un morceau rodée sur l'album, en posant sa voix sur une ligne mélodique minimale. 

  Et pourtant à part ce moment précis, aucun morceau ne sonne inachevé ni baclé, tout est parfait et aurait pu figurer sur l'album sans problème. La collection possède en outre une cohérence inhabituelle pour ce genre de compilations de chutes de studio. Tout cela concourt à donner une qualité album à ce qui ne semblait être donc qu'une collection de morceaux non retenus. D'ailleurs, si on parle de qualité, 99% des artistes tueraient pour sortir des albums studios aussi réussis. 

  Bref, outre le rôle de complément à TPAB, cet album se tient en lui-même, possède de nombreux moments de grâce et permet de reprendre notre souffle avec son ambiance plus intimiste à échelle humaine, après avoir été mis à genoux par le précédent album ambitieux qui était l'oeuvre d'une force surnaturelle, à n'en pas douter. Etienne l'a bien dit, on a là les deux faces d'une pièce gagnante, le ying et le yang de Lamar, et une oeuvre incontournable pour qui s'intéresse à la musique.


Deux albums à écouter de toute urgence :
Etienne et Alexandre









2 commentaires:

  1. Ah! Je n'ai pas encore eu le temps d'écouter la 2e sortie mais j'ai écouté l'album encensé par tous et il ne m'a fallu qu'une écoute pour savoir qu'on avait là un grand disque tellement plein de tout qu'il faudra sans doute des dizaines d'écoutes pour tout saisir... et l'album ne semble vraiment pas long alors que quand même il y a de quoi faire, et je dirais que c'est un disque qui pourrait plaire à un public plus large que les seuls fans de hip hop, non?

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    1. Content qu'il t'ait plu c'est en effet un grand disque !
      Tu as raison, déjà son flow est varié, entre rap, chant, scat... Et en plus entre le jazz et le funk, voire la pop presque, versant rnb, y'a de quoi contenter des gens qui ne sont pas très hiphop (et en même temps convaincre des puristes hiphop, ce qui est fort !). Par exemple These Walls n'aurait pas fait tache sur les derniers Prince. Donc même des amateurs de pop / rock, de soul / funk ou de jazz peuvent s'y retrouver (y'a des pointures côté jazz sur ce disque).

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