Les aventures musicales de deux potes

Les aventures musicales de deux potes

samedi 11 novembre 2017

Indie rock 2017 : Courtney Barnett & Kurt Vile, Kevin Morby & (Sandy) Alex G


Kurt Vile & Courtney Barnett - Lotta Sea Lice (2017)


  La collaboration de ces deux-là n'était pas complètement inattendue (lui est très bon avec d'autres), mais pas complètement évidente (son tranchant et son ironie à elle sont bien plus audibles, en un sens sa musique est "plus rock"). Et au final, le résultat est superbe. En entendant le timbre grave de Kurt Vile, on aura du mal à ne pas ressortir les poncifs du duo homme/femme, Hazlewood, Johnny Cash, ou plus récemment Binki Shapiro et Adam Green. Mais c'est vraiment plus que ça. Sur le premier et meilleur morceau, "Over Everything", les deux laissent trainer leurs voix, quelque part entre les exemples précités et Pavement, sur une cavalcade folk-rock irrésistible. Ce morceau était aussi le premier proposé par Vile à Barnett, et il donne à merveille le ton du projet. Et le clip est marrant avec son idée d'inversion des rôles.


Kurt Vile & Courtney Barnett - Over Everything (2017)

  Elle est suivie par une compo de Barnett, "Let It Go", dont elle avait écrit la musique il y a quelques années. La collaboration avec Vile lui aura permis d'écrire un texte et de poser leurs voix sur cette superbe ballade power-pop qui aurait pu sortir des moments les plus apaisés du deuxième Big Star. "Fear Is Like A Forest" est un brûlot grunge-folk noisy écrit par Jen Cloher, partenaire à la ville et au boulot de Courtney Barnett (elles ont pas mal joué ensemble et dirigent toutes les deux leur label). Le morceau sonne bien, avec une volonté de faire Crazy Horse, mais même si la direction plus rock est bien sentie, il manque une petite étincelle à ce morceau.

  Le focus revient sur Vile sur la country-rock de "Outta the Woodwork",  reprise "Out Of The Woodwork" présente sur l'EP de 2013 de Barnett, How To Carve A Carrott Into A Rose, dans une version remaniée par le duo. Et rehaussée par de magnifiques choeurs à la Pixies sur le refrain qui se termine tout en théâtralité avec un piano dantesque et une guitare plus mordante. Un petit air de Velvet des grands espaces, bref c'est excellent. J'aurais adoré que les soli de guitare à 2'10 et 5'05 soit doublé par un saxo, mais on ne peut pas tout avoir, et juste comme ça c'est vraiment excellent. "Continental Breakfast", écrite par Vile, reste dans une veine country-folk / indie rock, en plus apaisé que la précédente, et elle fait du bien par où elle passe.

Courtney Barnett & Kurt Vile - Continental Breakfast (2017)


  "On Script" porte la marque post-grunge de l'écriture de Barnett, avec un feeling jazzy dans les guitares et la rytmique, très bon. Et la très fun "Blue Cheese" permet de se régaler en entendant les influences country de Vile ressurgir, et puis ce petit harmonica à la Dylan fait son effet. C'est ensuite au tour de Vile de se faire réécrire un morceau par le duo, son "Peeping Tomboy" adoré par Courtney devenant "Peepin' Tom" dans cette version. Et ce bon projet se termine sur "Untogether", reprise du morceau de 1993 du groupe power pop Belly.

Un superbe album à écouter ici.





(Sandy) Alex G - Rocket (2017)



  Autre figure émergente du rock indé, (Sandy) Alex G est un descendant direct de la pop-rock indé expérimentale des 80's (Arthur Russell, Pixies, Flaming Lips, The Smiths) et des 90's (Sparklehorse, Elliott Smith, Radiohead, Pavement, Bonnie Prince Billy). On entend tout ça, ainsi qu'une fascination probable pour la musique des Zelda, dans la pop psyché post-grunge de "Judge", un superbe morceau. On peut même remonter plus loin, chez les Beatles, les Byrds ou Big Star, à l'écoute de "Alina" aux rythmiques presque tropicalistes nous indiquant bien que le musicien a plus d'un tour dans son sac et que tout ce disque est d'une subtilité et d'une variété inouïes. Se méfier donc des comparaisons hâtives et bien garder en tête qu'il est bien plus que la somme de ses influences. D'ailleurs, l'album aura une durée de vie énorme tant on en découvre une nouvelle facette et de nouveaux petits détails à chaque écoute.

  Dès le début du disque, on entend un diptyque de chansons pop absolument parfaites qui rappellent effectivement Mark Linkous  ("Poison Root"), Elliott Smith et Bonnie Prince Billy ("Proud", et plus loin "Big Fish"). Cette dernière introduit d'ailleurs clairement la direction folk-pop un peu countrysante du disque (suggérée par la pochette). A la manière du Vile & Barnett ci-dessus. L'exemple le plus marquant étant "Bobby", qui aurait presque pu sortir de Lotta Sea Lice avec son duo de voix homme/femme. "Powerful Man" est un très bon single country et pop (j'adore les violons country, au passage), tandis que "Rocket" mélange country, musique irlandaise, pop et un chouia de classique contemporain dans l'utilisation de la tonalité et des dissonances.


  D'ailleurs, le musicien étant trop éclectique pour se cantonner à un genre, le disque est extrêmement varié et s'écarte vite de la country-pop. Il a quand même joué de la guitare partout sur le Blonde de Frank Ocean, peut-être l'origine de l'utilisation de l'autotune dans l'improbable "Sportstar", mixant pop à piano, guitare rock et rythme dancehall. Par exemple "County" mêle des claviers oniriques et des voix rêveuses un peu psyché / dream pop et une guitare bluesy et soul, finissant par virer jazzy sur la fin. Une merveille de chanson. De même que "Witch", quelque part entre le "Because" des Beatles et Lonerism de Tame Impala, avec un violon et une utilisation des dissonances rappelant le travail de John Cale au sein du Velvet Underground. Une autre réussite totale. 

  Encore plus "dépaysantes", "Horse" joue sur les motifs minimalistes répétés et la polyrythmie comme chez Terry Riley, avec un synthé énorme digne des derniers Flaming Lips, tandis que "Brick" mixe post-punk noisy, indus et punk hardcore. C'est encore plus étonnant comparer cette dernière à l'ultime chanson du disque, "Guilty", qui mêle les Beach Boys, la twee pop (Family Of The Year, I'm From Barcelona) et un saxo jazzy inattendu ici.


  C'est l'oeuvre totale d'un musicien en pleine ascension et en pleine ébullition créative. D'où le côté patchwork d'un disque qui ne sait se contenir dans un cadre trop étroit. D'un autre côté, ces divagations et ces mélanges de genres parfaitement réussis ouvrent de nouveaux horizons à la musique d'Alex G et à la pop en général, compensant largement le côté décontenançant des changements de style. La forte personnalité de l'auteur aide également pas mal à tracer un fil rouge et donner une cohérence à tout ça, et le côté génie fou partant dans tous les sens, quand c'est réussi comme ici, vous savez que ça me botte (Todd Rundgren, Of Montreal, MGMT, Pavement...). 










Kevin Morby - City Music (2017)


  Après ses deux derniers chef-d'oeuvres, sur une lancée de disques de plus en plus énormes chaque année, et de plus en plus bons pour ne rien gâcher, Kevin Morby a fait un choix judicieux : se poser, revenir sur une écriture intime, autour de New York, et écrire un disque plus dépouillé. C'est salvateur, rien que la présence de la superbement émouvante et personnelle "Come To Me Now" légitimerait l'existence de n'importe quel disque tant elle est excellente. Et cette solitude bizarre causée par la vie dans une grande métropole, entouré en permanence de milliers d'autres humains, est également perceptible dans le minimalisme écorché de "Downtown's Lights".

  Mais la ville, c'est avant tout le bruit et l'urgence. L'énergie urbaine pleine de rage de cette musique transpire donc sur "Crybaby", quelque part entre de la folk, de la power pop et les Buzzcocks avec un riff chewing-gum. Ou sur "1234", hommage aux Ramones. "Aboard My Train" rappelle les Dylan les plus urgents et possède encore une fois des arrangements remarquables (ce piano martelé, cette batterie puissante et agile, ces guitares rock très américaines). Dans l'ensemble, le génie de ce disque se révèle lorsqu'on saisit à quel point Morby domine son sujet : il a réussi à synthétiser une musique riche et subtile et l'a réduite à l'essentiel. C'est la plus grande réussite qu'on puisse imaginer pour un musicien pop ou rock : donner l'illusion de la simplicité, de la facilité. En parlant de musique qui coule toute seule, "Dry Your Eyes" se pose là. Dépouillées, elle contient pourtant mille petites choses, des guitares bluesy, rock, soul, des chants folk, gospel et soul, une batterie presque jazzy par moments, une utilisation créative de la stéréo (casque recommandé)... De même que le génial single "City Music", au riff quasi éthiopien, à l'interprétation vocal prenante et aux accélérations fulgurantes.

  Mine de rien, Morby a développé un style, on est immédiatement en terrain connu sur "Tin Can" à la griffe inimitable. Qu'il décline en berceuse folk sur "Night Time" ou en dylanerie groovy et psyché sur "Pearly Gates". Mais il sait aussi l'enrichir comme sur "Caught My Eye", morceau de country bâtarde faisant une utilisation unique du mélange entre steel guitar et un chant féminin irréel.

  Bref, une nouvelle grande réussite de Morby, moins flamboyante que Singing Saw mais toute aussi bonne dans un genre plus dépouillé et tendu. 


Alex





6 commentaires:

  1. J'ai bien aimé le Vile/Barnett. Le Alex G est énorme. Pour le Morby, je le trouve plus cohérent mais aussi plus plat que les précédents. Ca manque de folie, d'hymne entrainant.

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    1. Je suis tout à fait d'accord avec toi, sur tout. Le Morby est moins flamboyant mais avec les écoutes quand même il accroche bien et se tient pas loin derrière les prédécesseurs.

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  2. J'avais bien des incitations à écouté ce duo que l'on retrouve un peu partout encensé (UNCUT MAGIC) mais il me manquait un accompagnement que j'ai trouvé chez toi. Je souligne ce côté "branleurs" dans le chant et même un peu dans le reste, en ce qui me concerne c'est passé de agaçant à attachant. Je n'oublie pas la bascule côté "(Sandy) Alex G" ce n'était pas mon intention mais dans la foulée je t'ai suivi. La multiplication des références fini par rendre original les chansons.

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    1. Content que tu aies trouvé de l'intérêt dans le texte alors :) Merci beaucoup !

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  3. J'ai bien aimé le Kurt Vile & cie...d'ailleurs j'entends surtout son influence sur ce disque mais c'est peut-être parce que je connais moins bien Courtney Barnett..
    Connais pas Alex G, je devrais peut-être y remédier;)
    Et Morby c'est toujours très sympa à écouter...

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    1. C'est un peu moins rock que Barnett mais on sent sa patte quand même, même si c'est plus proche de ce qu'a fait Vile récemment en effet !
      (Sandy) Alex G ça devrait te plaire, tente celui-là pour commencer c'est pas mal je pense il est assez éclectique au final tu devrais accrocher au moins sur une ou deux. C'est un peu son Wowee Zowee si on veut tenter la comparaison 90's facile ;)

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