Pour continuer sur ma lancée d’albums mésestimés par le public et/ou la
critique, je vais m’attarder sur un des meilleurs Bowie post Let’s Dance,
c'est-à-dire Earthling, sorti en 1997. Un des meilleurs car un sur lesquels le
Bowie sera musicalement plus inventif que sur presque toutes les autres sorties
discographiques depuis Scary Monsters jusqu’à présent.
Pour cela, il suffit juste de mettre le disque et d’écouter la première
chanson, « Little Wonder ». Et là vous vous rendez compte que Bowie
fait de la jungle (pour les néophytes c’est un sous genre de musique
électronique essentiellement britannique qui se base entre autres sur un rythme
très agressif et à haut nombre de bpm. Ce que vous entendez en début de chanson
en fait). De la jungle, décidemment Bowie est en plein dans son temps et a
complètement embrassé les nineties électroniques.
Bowie et son look de l'époque
Mais une objection peut rapidement venir. Premièrement, on peut dire que
Bowie se contente alors de prendre le train en marche, alors qu’il nous a
plutôt habitué à avoir dix ou vingt ans d’avance sur la muique de son époque.
Cette démarche peut même être qualifiée d’opportunisme. Ceci est presque faux pour plusieurs raisons,
et je vais m’expliquer. Bowie a presque toujours su habilement marier l’avant
gardisme parfois extrême de ses contemporains avec la pop la plus accessible
voire la plus « commerciale » de l’époque. Il n’a pas non plus
inventé le kraut, mais a su habilement en retirer des éléments pour quasiment
créer le post punk (avec Eno et les autres), alors que le punk n’existait pas
encore. Et c’est là que réside son génie, dans cette réappropriation d’une
façon très personnelle de l’œuvre des autres.
C’est exactement ce qu’il fait sur « Little Wonder ». En
effet, il marie la (brit)pop la plus accrocheuse de l’époque avec les sons et
les rythmes de la jungle et du big beat, de l’indus, des éléments de noise, et
tout cela sur plus de 6 min composées d’une main de maître. L’architecture du morceau
est du grand Bowie, et l’interprétation est parfaite. Ce morceau est un vrai
chef-d’œuvre, peu de mariages entre pop, noise et électronique me semblent
aussi réussis.
Pour tout cela, ce morceau et l’album sont de grandes réussites. Bowie
peut faire écouter de la pop aux plus extrémistes des fans d’électronique de
l’époque et de l’électronique aux lads qui ne jurent que par le rock et la
britpop.
Dossier de presse US de l'album
Et l’album est à l’avenant de la petite merveille initiale. En effet,
qu’on parle de la géniale « Looking For Satellites », midtempo entre
Eno, Doors hallucinés, électronique et guitare démentielle, ou de «Battle For Britain (The Letter)», chanson plus rock et plus classique de
Bowie sur un beat assez jungle aussi, on se retrouve avec des morceaux
d’une qualité rarement égalée, et uniques sur le plan sonore. Encore une fois
le mariage de la pop et de l’électronique de la composition à la mise en son
est une vraie merveille. Et les idées d’arrangement son merveilleuses, comme le
piano free à la fin de « Battle… ».
« Seven Years In Tibet », downtempo redoutable, fait penser à
un croisement entre Nine Inch Nails et ce que Damon Albarn fera cinq à dix ans
plus tard avec Blur, en solo ou avec ses projets Gorillaz et world. Ces
claviers, ce chant mélancolique, ce mariage de musiques traditionnelles, de pop
de rock et d’électronique… Encore un
morceau parfait.
La tenue de la mythique pochette
« Dead Man Walking » est, elle, partagée entre couplets
franchement électroniques, refrains rock, avec ce piano free qui survole
l’ensemble. C’est un excellent morceau, et même si il me touche moins que les
quatre premiers, il dégage une énergie folle, avec ce beat irrésistible et ces
chœurs diaboliques.
« Telling Lies » est plus difficile d’accès, plus décousue en
apparence et constituée d’un mur de son assez difficile à appréhender au début,
et on peut considérer qu’avec « The Last Thing You Should Do », un
peu dans la même veine avec un côté crooner pop en plus, elle fait partie de la
partie la plus expérimentale de l’album. Moins attachantes car moins pop mais
très intéressantes par leur aspect plus radical, ces chansons sont cependant
plus bancales (on a du mal à suivre les morceaux, étant « composés »
d’une façon moins classique). Mais ils constituent une excellente transition
avant le très Nine Inch Nails « I’m Afraid Of Americans », très indus
ainsi que sa suite « Law (Earthling On Fire) », assez inclassable
entre indus, Bowie période Eno et rock vicieux.
Earthling en live
Cet album possède une cohérence inattaquable (du son aux thématiques
britanniques visible de la pochette l’album aux titres des chansons aux styles musicaux), de grands
morceaux, un parti pris expérimental réussi de main de maître grâce à des
compositions pop ayant complètement assimilé des décennies de musiques
électroniques, world,…. Bref, on peut parler franchement de chef-d’œuvre. Bowie
s’est trouvé une nouvelle incarnation pour ces années 90-2000, celle d’un
musicien qui jongle habilement entre mainstream et underground, conscient de
son héritage mais avec encore l’envie d’en découdre. Sa présence sur la scène
pop, entre fantôme inévitable mais inaccessible et retours fracassants, sera à
l’image de ce disque. Toujours singulière, toujours un peu en marge mais
attirant toujours la lumière.
Fans de Bowie ou non, écoutez cet album qu’on ne cite pas assez souvent !
Verso de pochette & Tracklisting
Moi je l'aime bien cet album
RépondreSupprimerComme ça on est deux ;) Il est relativement bien apprécié par pas mal de monde mais en regardant sur le net on trouve des chroniques très tièdes ou expéditives, et en général c'est un album de Bowie assez peu cité quand on parle du Monsieur, ce qui est dommage.
SupprimerPertinente l'analyse, tu arrives même à me "retourner", comme on dit dans les services secrets, je pensais moi aussi que c'était un "suiveur" moins anticipant qu'avant. Mais tu as raison, le seul qui arrive à placer ses "chansons" dans des univers qui ne font pas récup et putassier, il est trop fort. Bien vu
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour le commentaire, et effectivement on est d'accord là-dessus ! L'innovation de cet album n'est pas tant les sonorités électro mais le marige fusionnel assez inédit de la compo aux arrangements entre pop / indus / jungle etc... Avec toujours cette écriture pop irréprochable. Et une interprétation très sauvage de Bowie je trouve, il est en forme au chant là-dessus.
SupprimerMerci et a+ :)
Mais nan, on est plusieurs à aimer cet album. Je dois même dire qu'il m'a rendu fou et que je l'écoute tjrs avec la même exitation. Comment prendre un tel risque à ce niveau de carrière. Tout faire valdinguer avec un brûlot pas "commercial" comparé à "Black tie..". "Outside" avait déjà amorcé le génie créatif et la "prise de risque". C'est vraiment un moment unique "Earthling", il m'avait calciné le cerveau, un son a tout raser, tte l'intelligence d'une écriture visionnaire ultra moderne. Mike Garson fait un gros boulot derrière, les mecs c'est pas des manchots ;D
RépondreSupprimerQuelle fraîcheur, quel disque .. j'en imagine pas mal qui ont du se casser les dents sur cette force. Merci Alex .. vais me rematraquer le cerveau avec.
Eh de rien ! Oui je l'ai dit pas mal de monde l'aime ce LP, mais on voit beaucoup de chroniques assez négatives dessus, et quand on parle de la carrière de Bowie on s'arrête souvent à "Let's Dance" et on ne parle pas ou peu de la suite. C'est dommage, mais c'est pour ça qu'on est là nous autres ;)
SupprimerOui très bons albums.... J'ai un peu plus de mal avec "Outside" mais je l'aime beaucoup quand même, juste un peu moins que "Earthling"". J'aurais adoré voir ça en live ça devait être fou ! :)
RépondreSupprimerIl y a des choses bien chez Bowie après aussi, quasiment tout en fait "...hours" "Heathen", "Reality", "The Next Day" (qui est le dernier que j'aie acheté ;p). Même si rien de tout ça n'est aussi bon que ce disque :)
J'arrive bien après la bataille mais je ne peux qu'approuver : "Earthlings" est un très bel album de Bowie. Un son terrassant, une prod impeccable, des morceaux galvanisants. Très bon. J'aurais même tendance à dire qu'il est le meilleur que Bowie a sorti en dehors de son âge d'or (qu'on peut grosso modo arrêter à la fin de la face A de "Let's Dance"). Et, interprétation personnelle, qu'il est aussi son ultime sursaut de modernité, avant de glisser vers un relatif retrait du jeu et une certaine muséification; dont l'exposition récente qui lui a été consacrée constitue le point d'orgue testamentaire.
RépondreSupprimerSinon, pour en revenir à la mésestime d'"Earthlings", celle-ci a au moins un avantage : elle fait que l'album est vendu quelques euros moins cher dans les Fnac que les autres classiques bowiens reconnus. De souvenir, quand je l'ai acheté il y a deux-trois ans, je crois que j'en ai eu pour 6€ à peine, alors que les "Heroes", "The Rise and Fall ..." ou "Low" étaient à 10/11€.