Les aventures musicales de deux potes

Les aventures musicales de deux potes

dimanche 9 octobre 2016

Katerine - Le Film (2016)



L'avis d'Alexandre


  Katerine, c'est une sacrée histoire. Des premiers albums impeccables, jusqu'à un 8e Ciel que tout le monde adore. De la chanson française joyeusement dada, bien écrite et musicalement aussi impeccable qu'exigeante, rappelant le Gainsbourg des débuts. Et puis, avec Robots Après Tout, il s'engage dans une autre voie. Mi-pochade burlesque mi-exploration artistique, cette mue grand guignol parodique lui permet d'aborder mine de rien des thèmes assez profonds sous un angle naïf laissant passer davantage de choses dans le sous-texte, de façon moins frontale et moins littérale. A l'inverse, musicalement délivré de toute contrainte de forme, il explore l'électro-pop, ou la pop minimaliste avec le futé Philippe Katerine, puis avec l'aide de SebastiAn détourne les glorieux samples disco à son avantage sur le très beau Magnum. Mais certains sont passés à côté de ces albums, ne voyant là que des redites de "Louxor J'adore", et passant à côté des dimensions non humoristiques des projets (au moins 95% du truc quoi...).

  Cette fois-ci, les paroles sont plus frontales, tout en laissant par pudeur au sous-texte le plus difficile à dire. Beaucoup moins d'humour, plus de dada et de réalisme. La musique est quand à elle plus ouvertement "chanson française", Katerine s'étant mis au piano pour l'occasion, inspiré de pièces classiques assez simples. Les durées des morceaux sont courtes, les pièces concises. Tout cela, plus le chant fragile, concourt à créer un album très intime, très personnel. D'ailleurs il le dit derrière la chanson-titre qui ouvre le bal ("Le Film"), Katerine est un "acteur parmi les acteurs" de sa vie, qu'il conçoit comme un film qu'il réalise lui-même en permanence. Se mettre à distance pour regarder la vie sous cet angle, à la fois pour se protéger du monde, et pour y apposer son regard d'artiste et en retirer quelque chose. C'est beau, bien dit, c'est une réflexion universelle sur notre place ici bas, et la musique un peu anxiogène et cinématographique accompagne à merveille le titre. Si les décrocheurs des derniers albums ne raccrochent pas à celui-là, on ne peut plus rien pour eux !



  Les chansons peignent des petites vignettes tendres de la vie, comme "Pas Simple" qui conte avec brio la relation amoureuse, ses hauts et ses bas qui en font le sel. "Papa" est une ode à son père récemment décédé, sur un piano néo-classique guilleret puis tendu et vice versa. L’événement a provoqué un choc émotionnel chez Katerine, et lui a inspiré en grande partie cet album. Et là encore l'éventail d'émotions est brillamment rendu, de l'admiration, à la tristesse, la colère (manifestée par un assassinat de hérisson), le regret, le manque, et la reconnaissance. C'est impudique, c'est premier degré, cru, c'est à prendre ou à laisser, mais c'est surtout très beau. Et ça continue avec "Les Objets", où Katerine questionne notre mortalité via notre rapport avec les objets, qui potentiellement vont nous survivre. Et tout ce que ça lui évoque émotionnellement. La mélodie du morceau est excellente au passage, comme toutes celles de l'album. Katerine n'est peut-être pas un technicien du piano, mais c'est un grand artiste qui fait de son amateurisme et de ses limites techniques une source de créativité.

  "Compliqué", plus cacophonique et dissonant, décortique sur un ton plus énervé les rapports humains, l'idée que l'on a de soi et des autres, les sentiments contrastés qui en résultent. L'album exploite d'ailleurs de façon assez inédite une palette de sentiments complexes et nuancés d'une rare subtilité. C'est la tendresse béate qui préside au joyeusement enfantin "Doudou". Et à "Merveilleux". C'est le cynisme de "Le Bonheur", qui revient à ses premières oeuvres dans le chant, et évoque les difficultés de la communication et les bonheurs simples de la vie (tout comme "La Seine" et"Automobile", confrontant les tracas du quotidien et ses merveilles). Le film de Katerine se déroule dans nos oreilles, évoque milles images, comme un long clip mental. C'est favorisé par quelques extraits d'enregistrements de divers objets, sons du quotidien, bruits de la rue, d'insectes, de pas... 

  Parfois, c'est un peu trop descriptif et naturaliste, à mon goût en tous cas, comme "Les Plantes", malgré un final jouissif, "A l'Elysée" et "Danse Traditionnelle". Parfois ça touche au génie, comme la description aussi objectivement juste que débile (et très drôle) des enfants en bas âge sur "3 ans", à travers lesquels on entre-aperçoit plutôt une critique brute et une mise à nu de l'hypocrisie du monde des adultes. L'album se termine par un magnifique "Quand c'est fini" assez profond philosophiquement parlant et réussi formellement avec le jeu des voix. Puis, comme un générique de fin, ce magnifique single, "Moment Parfait". C'est émouvant, bouleversant, déchirant. C'est beau, c'est triste, mélancolique, joyeux et plein d'espoir. 

  Et surtout ça résumé bien l'écoute de cet album, qui pour toutes les raisons que j'ai évoquées et toutes celles qui ne me sont pas venues à l'esprit, constitue bien un moment parfait. Katerine est un artiste précieux, et il est une des raisons pour lesquelles je suis fier et heureux d'être français, ou au moins francophone. Et en se dépouillant des artifices, d'abord avec Magnum où des textes plus sensibles et personnels étaient pudiquement camouflés par le vernis néo-disco. Puis en appliquant cette démarche à la musique elle-même avec Le Film, où elle ne fait plus qu'un avec le texte carrément personnel, mais pas en s'effaçant derrière lui mais en l'accompagnant d'égal à égal. Pour un rendu superbe. Bravo et merci Philippe !

 Faites vous votre propre avis (et revenez nous en dire des nouvelles) en suivant ce lien spotify.

Alex




L'avis d'Etienne


     Katerine, cet homme que ni la voix ni le physique ne semblent destiner à la chanson, s'était depuis le succès de Robots Après Tout joué de ses attributs comme d'une auto-caricature dessinant en silhouette une critique naïve de nos vies dans cette drôle de société. Il jouait ce "chanteur qui chante aigu", ce "chanteur qui bouge le cul", dont il est question dans "Papa". Et c'est bien la mort de son papa qui semble avoir motivé le quadragénaire à ôter son costume pour reprend un style beaucoup plus introspectif, troquant la comédie pour la poésie.  La poésie naïve et contemplative, celle de "Prévert" tintée de surréalisme, la douce folie d'un artiste rêveur. Signifiant ainsi qu'un chanteur est avant tout un artiste, avant d'être une voix, un physique ou même une technique, cette technique au piano toute fraîchement acquise par Katerine. 



    Ce manque de technique plante très bien le décor naïf de ce "film" dont chaque pélicule est tantôt intimiste, voire psychanalytique dans "Papa" où il décrit la folie qui le guette dans le deuil de son père, allant jusqu'au meurtre d'un pauvre hérisson, tantôt suggestif, comme dans "Automobile", où dans le flux de la ville, il se laisse distraire par cette fille qui "fait bien du vélo", qui "se tient bien le dos". 

    
     C'est dans ces petits détails que s'encre la poésie de Katerine, prenant la vision d'un petit enfant qui additionne tous ces petits fragments de réalité pour recréer en mosaïque son monde unique. Ce style culmine sur le magnifique "Moment Parfait", pour lequel l'inspiration de Prévert y est la plus évidente, jouant lui aussi à décrire ses personnages "tout nu dans l'eau", vivant l'amour simple et sensible.
     
     Ici, Katerine semble avant tout vouloir prendre le temps : le temps de prendre conscience de ces "moments parfait", le temps de s'attacher à ces détails qui font notre vie, le temps de ce souvenir des ces "doudous" qui nous ont bercé. S'en dégage une sagesse simple, portée par une production mise à nu autours d'un piano et quelques rares instruments, donnant à ces titres des aires de comptines, pour un style illusoirement régressif.

Un album à écouter avec nos yeux d'enfants !



Etienne

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