Après deux albums et un EP magnifiques et ultra-influents (on a entendu du Bon Iver directement ou indirectement chez Kanye West, James Blake, Frank Ocean et j'en passe), le risque de décevoir est grand. Justin Vernon a donc pris son temps.
Et ça s'entend, car tout sur ce dernier album est à la fois la continuité de son travail et une rupture. L'aspect plutôt extraverti et parfois joyeux, bien que parfois mélancolique aussi, est à la fois une rupture totale avec son oeuvre et quelque chose d'amorcé sur Bon Iver (le 2e album) notamment. De même, les sonorités choisies plus électroniques, samplées, modifiées, et les influences 80s sont en rupture avec son étiquette folk, et en même temps ce sont ces éléments, présents au premier plan depuis l'autotune de "Woods" sur le Blood Bank EP, qui sont les plus entendus et repris par les artistes qu'il a influencés. Et ces éléments électroniques, ces effets sur la voix, étaient aussi allés crescendo depuis l'EP, puis sur le second album et surtout lors des collaborations avec différents artistes.
Et du reste, il ne faut pas l'oublier ni passer à côté par inattention, distraits par les feux d'artifice électropop, mais la folk, loin d'être disparue, se cache toujours dans le squelette de ces chansons, et dans leurs arrangements. De même, les structures fluides de ces morceaux, libre interprétation du canon classique de la chanson (pop)folk, étaient amorcées depuis quelques temps, mais prennent ici toute leur place. Vraie rupture donc, mais aussi vrai continuité. Disons, pour être dans le vrai, que cet album est donc un saut en avant.
Qui commence magnifiquement, par le single inaugural "22 (Over Soon)", aux samples de voix angéliques qui font des merveilles. ll y a tout, des voix gospel, une guitare pleine d'âme, des saxos, et surtout cette magnifique mélodie vocale. Tout est passé à travers des dizaines de filtres, réenregistrés à partir de vieilles bandes, ça craquèle, ça grince, le volume fait des siennes... Bref, ça vit.
"10 Deathbreast" commence lui par un beat concassé et des nappes synthétiques entrecoupées de samples rêches et oniriques comme chez les Flaming Lips de The Terror. La mélodie du chant principal (très eighties... La fixation Phil Collins continue) est là aussi superbe, le travail sur les voix et les textures est excellent. Du bon psychédélisme version 2016.
"715 - Creeks" quasiment un a capella autotuné, est quand à elle quasiment une réinterprétation de tout l'album de 2011 dont on reconnaît des bribes de mélodies ici et là. C'est poignant et superbement exécuté. "33 God" est une excellente chanson électropop indé, très enthousiaste et aussi extravertie et accrocheuse que personnelle. Il se joue des contrastes, tant dans les paroles "I'd be happy as hell / If you stay for tea", que dans les arrangements : le banjo et les samples de voix discrets contrastent avec le beat électrorock et psychédélique et le ton conquérant du "refrain". Le piano porte la même ambiguïté entre mélancolie et plainte indie pop et magnétisme arena rock.
Après un tel déferlement, Vernon calme le jeu avec un "29 Strafford APTS" plus calmement folk. Mais quand les chœurs noyés sous les effets et la voix pitchée reviennent, c'est pour mieux nous achever sous l'émotion déchirante du chant. Sur la fin du morceau, le rendu est proche du magnifique "Self Control" de Frank Ocean, sorti cette année et très influencé par Bon Iver. La similitude vient de l'utilisation d'une voix pitchée sur une musique pop/folk pour sortir une mélodie fragile et bouleversante.
"666", est quand à elle une respiration bienvenue, avant un "Moon Water" très déstructuré et lorgnant sur le jazz expérimental. L'intensité est un peu retombée à ce stade de l'album, après ces deux morceaux moins forts, mais pour le moment l'album est impeccable.
Puis vient avec la ballade 80's "8 circle", de qualité mais qui souffre un peu de la comparaison avec "Beth/Rest" à laquelle elle nous ramène inéluctablement. "_45_" est un bon interlude entre saxos, reverb et banjo, avant un autre moment de bravoure philcollinsienne "00000 Million", là encore une bonne ballade mais moins marquante que ce qu'il nous a déjà montré.
En bref, l'album est très très bon. Il souffre juste d'une baisse de régime sur la deuxième face plus contemplative, à partir du sixième morceau sur dix), "666", et après cinq morceaux époustouflants en première partie. Mais malgré cette "Face B" moins marquante, Bon Iver relève le défi de la réinvention haut la main avec ce bon disque, qui n'égale pas ses prestigieux prédécesseurs, mais n'a pas non plus à rougir devant la comparaison.
Bonne écoute, merci pour votre passage ici, et à bientôt !
Alex
Je ne sais pas, dès mon écoute de "22 (Over Soon)" j'ai su quelque chose clochait, moi peut-être, sans ton commentaire j'aurai pensé à un titre gag, tu entends des anges? Moi j'ai pensé à des souris à la Walt-Disney accompagnant cette voix toujours aussi difficile pour moi à appréhender, mais j'y étais arrivé, lentement, avec "For Emma". Il me faudra peut-être le même temps. Moi qui aime être désorienté je suis servi. Mais ce traitement vocal en +...
RépondreSupprimerPas mal le côté walt Disney.... Je te comprends, pas évident le traitement des voix en general... C'est un truc auquel l'oreille se fait ou pas, mais c'est le genre d'albums pour lesquels ça vaut le coup 😃
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