Après avoir livré mon album préféré de l'année en 2016, Devonté Hynes revient sous l'alias de Blood Orange en livrer la suite, Negro Swan. Si le précédent, Freetown Sounds, rendait un hommage à sa ville d'adoption, New York, et aux origines de ses parents (originaires du Liberia dont la capitale est Freetown), celui-ci parle plutôt de la jeunesse de Hynes au Royaume-Uni. Qui ne fut pas si simple (le racisme évoqué par le thème du "black swan"). On peut d'ailleurs le comprendre dès l'introduction, "Orlando", dans laquelle il chante "First kiss was the floor" sur une soul funky, introspective et psychédélique sous forte influence (revendiquée) de Marvin Gaye. La musique magnifie le texte à merveille, offre un écrin parfait au chant délicat et émouvant de Devonté, et est presque douloureuse à écouter tant elle est belle.
Blood Orange - Saint (Clip, 2018)
Ce disque va plus loin dans le chemin tracé par Freetown Sounds, incorporant davantage de field recording et de spoken word, il est même par moments narré de façon poignante par l'activiste Janet Mock. Il a un côté introspectif très marquant, et fonctionne quasiment comme un journal intime, raconté et traversé par ces petits fragments de vie captés -on l'imagine- par le téléphone/dictaphone de Hynes, et finalisé dans la solitude d'un home studio. Impression accentuée par les visuels léchés de la pochette et des clips attestant du perfectionnisme d'un artiste total.
Le rnb assez pop mais mélancolique de "Saint" et celui plus contemplatif et expérimental de "Take Your Time", lorgnant sur la soul psychédélique des Temptations et le jazz, en sont de parfaits exemples de cette introspection poussée à l'extrême. Le chant dépouillé de Hynes sur cette dernière, associée à une guitare minimaliste et des claviers aériens, fait également penser à Frank Ocean, dont l'oeuvre a évolué en parallèle dans une direction étonnante mais assez proche de celle de Blood Orange. On a vraiment l'impression d'être dans la tête de Hynes, mais pour autant on ne suffoque pas à l'écoute de ces chansons très ouvertes, les bruits de la ville, les influences musicales multiples et les interventions d'autres musiciens illustrant un esprit certes introverti par moments, mais ouvert vers le monde et vers l'autre, ces deux aspects formant une belle complémentarité.
Le rnb assez pop mais mélancolique de "Saint" et celui plus contemplatif et expérimental de "Take Your Time", lorgnant sur la soul psychédélique des Temptations et le jazz, en sont de parfaits exemples de cette introspection poussée à l'extrême. Le chant dépouillé de Hynes sur cette dernière, associée à une guitare minimaliste et des claviers aériens, fait également penser à Frank Ocean, dont l'oeuvre a évolué en parallèle dans une direction étonnante mais assez proche de celle de Blood Orange. On a vraiment l'impression d'être dans la tête de Hynes, mais pour autant on ne suffoque pas à l'écoute de ces chansons très ouvertes, les bruits de la ville, les influences musicales multiples et les interventions d'autres musiciens illustrant un esprit certes introverti par moments, mais ouvert vers le monde et vers l'autre, ces deux aspects formant une belle complémentarité.
Blood Orange - Jewelry (Clip, 2018)
L'apogée de cete démarche, et du disque, est le triptyque "Jewelry" (très Ocean également) / l'interlude "Family" / "Charcoal Baby". Hynes envoie là un enchaînement immaculé de moments de grâce entre alt-rnb, pop, jazz, rock indé, électro-funk et tout ce que vous pouvez imaginer de plus beau dans la musique populaire des 60 et quelques dernières années, tout en évoquant des sujets lourds (racisme, sexualité...). Une perfection musicale assez indescriptible, que je vous laisse découvrir par vous mêmes.
Blood Orange - Charcoal Baby (Clip, 2018)
Un des talents de Hynes, c'est également de faire briller ses invités sur disque, et notamment les femmes, comme sur le rnb de "Runnin'" avec Georgia Anne Muldrow, ou la belle ballade nu-soul aux accents classiques "Hope", où la chanteuse Tei Shi prend incontestablement la lumière, appuyée par quelques vers du vétéran Diddy. Il laisse également beaucoup de place au falsetto mi-Prince, mi-rnb de Ian Isiah sur "Holy Will", entouré de choeurs baroques et d'un instrumental pur et minimaliste. L'approche nu-soul arrive à son apogée sur "Nappy Wonder", incorporant des élements jazzy et un solo de guitare princier pour aboutir à un des meilleurs moments du disque. Sur "Out Of Your League", c'est un autre contemporain qui pousse la musique populaire dans la même direction et avec la même excellence que Hynes qui est invité : Steve Lacy.
Il sait également rendre de beaux hommages, comme sur "Chewing Gum" où son rnb en apesanteur rencontre le rap sudiste façon chopped and screwed (quelques mots du vétéran du genre Project Pat y sont présents, ainsi qu'un court couplet en guise de coda). Rap texan dont l'influence est marquante après les carrières d'Asap Rocky (présent ici aussi) et Astroworld (2018) de Travis Scott, qui n'est rien d'autre qu'un immense (et bel) hommage à cette musique (cf "RIP Screw").
Blood Orange - Chewing Gum (Clip, 2018)
Autre morceau marquant, "Dagenham Dream" est hanté par le spectre de sirènes de polices et mêle pop-rock indé à une électronique néo-80's presque vaporwave mettant bien en valeur une mélodie imparable. La simplicité de "Minetta Creek", entre néo-psychédélisme (on pense à MGMT période Congratulations) et mélodie imparable jouée sur des synthés faisant penser à la BO d'un vieux Zelda, me fait également complètement fondre. Et fait magnifiquement la jonction avec la conclusion folk de l'album, la bonne "Smoke", quelque part entre Prince et Mac DeMarco.
Avec moins de tubes, mais davantage de moments d'apesanteur pop, ce Negro Swan n'a rien à envier aux chef-d'oeuvres Cupid Deluxe (2013) et Freetown Sounds (2016), poursuivant une des oeuvres les plus passionnantes de la décennie, et montrant sous son plus beau jour le génie unique, sensible, passionné et érudit de Devonté Hynes, tel un Brian Wilson des années 2010.
Alexandre
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