Yazmin Lacey est une chanteuse soul basée à Nottingham (Angleterre), et ce Morning Matters est son troisième EP en 3 ans. Il a été co-réalisé à l'aide de Moses Boyd (production, batterie), mais aussi des membres de l'Ezra Collective, Femi Koleoso (batterie) & Ife Ogunjobi (trompette), ainsi que Sarah Tandy (piano) et Jordan Hadfield (claviers, basse, guitare) entre autres.
C'est un magnifique EP, pile entre nu-soul ("Own Your Own") et jazz ("Morning Matters", merveilleuse). Les ambiances sont installées tranquillement, les grooves laid-back, les arrangements doux, cotonneux. On a également sur "Lately - Interlude" une production assez psychédélique/progressive, agrémentée de breakbeats funky très en avant. Ambiance délicatement psyché qui se poursuit sur "Morning Sunrise", pile entre soul classique et rnb moderne, et "Not Today Mate", avec un Dilla Beat qui sonne encore plus moderne car proche des héritiers musicaux de J Dilla qui font notre bonheur ces dernières années (The Internet, Thundercat...).
C'est un EP assez parfait dans son genre, et je vous en recommande franchement l'écoute. D'un point de vue technique, c'est irréprochable, Lacey est une chanteuse ultra talentueuse et ses musiciens sont des incroyables. Les compositions sont mémorables, et l'ensemble est produit et arrangé avec beaucoup de goût. Foncez écouter ça !
Tommy Dorsey, Frank Sinatra - Fools Rush In (1940)
"Fools Rush In" est un morceau écrit par Johnny Mercer et composé par Rube Bloom en 1940. Son interprétation l'année même par l'orchestre du tromboniste Tommy Dorsey, chantée par un tout jeune Frank Sinatra, ainsi que la version de Billy Eckstine feront connaître cette chanson mélancolique, à la mélodie mémorable et aux paroles marquantes avançant un angle original à l'éternel motif de l'amour fou ("fools rush in where angels fear to tread" - les fous se précipitent là où les anges n'osent pas s'aventurer).
Billy Eckstine - Fools Rush in (1940)
Le morceau prend petit à petit sa place parmi les classiques de la pop américaine, étant régulièrement repris au fil des années, par des jazzmen comme Glenn Miller, Stan Getz en 1952 ou Zoot Sims en 1956, ou par des chanteuses de variété/pop comme Jo Stafford (1953) ou Peggy Lee.
La versio de Stan Getz
Zoot Sims - Fools Rush in (1956)
A partir des années 60, c'est l'explosion. Julie London en donne deux versions sensuelles et chic en 56 puis 64, Etta James dynamise le morceau et lui donne une nouvelle ampleur soul, Brenda Lee en fait un morceau country/pop, Dean Martin croone langoureusement le long de ses notes délicates, et Ricky Martin en fait un hit (1963).
La version de Julie London
La version d'Etta James (1962)
La version de Ricky Nelson (1963)
Le morceau est vite devenu un classique incontournable, repris aussi bien par Elvis Presley, Johnny Hartman, UB-40, She&Him, il est même présent dans la BO de Marie-Antoinette de Sofia Coppola. Cette chanson intemporelle a donc fini par devenir immortelle, ressortant régulièrement avec un nouvel habillage, sa douce mélodie et son thème inusable s'adaptant à tous les styles et toutes les modes, de la soul/pop orchestrale du très jeune Frankie Lymon jusqu'au funk 80's (cf la version de Bow Wow Wow).
La version d'Elvis, quand même
La version de Frankie Lymon
La version de Bow Wow Wow (1982)
Mais si je vous parle de cette chanson, c'est en partie grâce à la version de 1961 du groupe de doowop/jazz vocal The Four Freshmen, sans aucun doute une des plus belle. J'ai un petit à la mélodie entêtante, d'ailleurs on n'a pas de mal à entendre dans ce morceau ce que les Beach Boys piqueront à ce style musical en termes de perfection vocale.
La très belle version des Four Freshmen (1961)
Mais si j'en suis venu à écouter cette version, c'est grâce à une série de singles que le duo d'électronique anglais Disclosure vient de sortir afin de rendre hommage à leurs influences musicales. Un des morceaux, nommé "Where Angels Fear To Tread", se base sur un sample de la version des Four Freshmen de "Fool's Rush In", et c'est une petite pépite du genre. Laissant les harmonies vocales angéliques du groupe porter l'émotion, les british se contentent d'en souligner la beauté avec un beat simple, catchy mais discret, une basse subtile qui élève agréablement l'ensemble et quelques synthés et effets sublimant le tout sans en faire des caisses. Un monument de bon goût, qui a tourné en boucle dans mes écouteurs depuis sa sortie et que je vous invite fortement à découvrir ci-dessous :
Disclosure - Where Angels Fear To Tread (2018)
Cet article illustre en tous cas bien la beauté de la découverte musicale. Sur un coup de cœur, en remontant le long des samples, reprises ou influences, on tombe sur des merveilles absolues, et c'est ce que je voulais partager avec vous aujourd'hui.
Le précédent effort du groupe avait divisé : alors qu'il contenait certaines des chansons les plus intéressantes de la décennie (certes pompées sur Todd Rundgren entre autres mais qu'importe au fond ?), il avait aussi son lot de morceaux bruitistes amorphes et un manque global de direction.
Ce coup-ci, le projet est plus resséré : une trentaine de minutes, 8 morceaux, et une vraie proposition en termes de son sur tout le long du disque. Ce son, c'est un genre de pop-rock symphonique, avec orchestre à cordes plus des cuivres de partout, un peu comme dans la variété classe d'un Lee Hazlewood, ou chez les Kinks version music-hall, les Four Seasons et le Sinatra de Watertown, le glam de Bowie, Bolan ou Lou Reed (Transformer), les Last Shadow Puppets, Nilsson, ou les géniaux Lemon Twigs (mon 5e album préféré de 2016, produit par Jonathan Rado, moitié de Foxygen). D'ailleurs, on entend l'expérience de producteur de Rado partout, cette musique est riche, ample, le son est divin et les arrangements aussi exquis qu'innombrables. Et même si on reste chez Foxygen, le groupe s'est calmé : moins de tiroirs et de changements de rythme partout dans les chansons.
Du coup, ça touche en plein dans le mille, la volatilité du groupe mieux canalisée donne des morceaux jamais emmerdants, toujours passionnants et richement produits, mais désormais mieux canalisés. La perte en énergie pure est compensée par le gain en impact. Bon sang, rien qu'à écouter "Follow The Leader" on se demande si y'a vraiment besoin d'écrire d'autres chansons derrière. Même avec ce titre seul sur un CD je suis prêt à lâcher 15 balles pour me l'acheter.
Je pourrais dire la même chose d'"America", qui a l'intensité de la variété 60s de qualité et du crossover pop - jazz vocal pour crooner de haute volée (d'ailleurs je tiens à le souligner : Sam France n'a jamais aussi bien chanté que sur ce disque, et diversifie énormément son "flow"). Si le début du morceau est intense, la mélodie qui se pointe à 2' est carrément bouleversante, et la partie qui s'ensuit fait plus penser à du Tchaïkovski suivi d'un peu de Duke Ellington qu'à n'importe quoi d'autre.... Retour du cabaret et fusion de toutes les parties en une conclusion abrutissante tellement elle est belle et puissante. Waow. Rien à dire, je suis soufflé. J'attendais depuis un moment un revival bien foutu de doo-wop, de pop 60s à la Four Seasons, de variété un peu music hall et de jazz vocal à la Sinatra, entre cet album et le Lemon Twigs de 2016 je suis servi.
Alors bien sûr, parfois c'est juste bon et pas excellentissime, comme "Avalon" qui commence bien entre piano honky tonk et vaudeville kinksien, et poursuit avec un refrain Beach Boys période Sunflower. Cette chanson n'arrive pas à être plus que la somme de ses parts, mais cette somme est assez bonne pour qu'on lui pardonne aisément. La même théâtralité exagérée est mise à disposition sur "Mrs Adams", mais cette fois-ci l'excellence est atteinte, on n'est plus dans la déconnade mais l'intensité émotionnelle (les leçons de tonton Rundgren ont été bien digérées), et la conclusion est absolument brillante. Je vais vous donner un petit truc pour juger rapidement de la qualité d'un compositeur : écoutez si la conclusion est bonne. Parce que la conclusion ça doit être le truc le plus dur à faire dans une chanson, et elles sont vraiment non seulement pas foirées mais carrément très mémorables ici, donc les mecs sont vraiment des tueurs. Le diable est dans les détails. Ca n'a rien à voir (quoique si, sinon je n'y aurais pas pensé), mais un proche, cuisinier, m'a un jour donné un conseil semblable pour tester un chef dans un restau : prenez une crème brûlée en dessert. C'est tout con à faire mais ça montre l'attention aux détails et la technique : si le dessus est pas bien caramélisé et chaud tandis que le fond est pas bien pris et froid, c'est que c'est pas un si bon restau que ça. Voilà, fin de la parenthèse.
On reprend avec l'album. Dans toute cette chantilly orchestrale, il y a une relative accalmie pour les oreilles délicates : la country-folk champêtre qui ouvre "On Lankershim" (bonne chanson). Mais bon, ça se re-remplit assez vite d'arrangements foisonnants, alors pour les gens sensible, prenez une bonne inspiration. Car le jukebox pop reprend dès la suivante ("Upon A Hill"), où les mélodies se succèdent avec excès et brio (et la voix.... On dirait Iggy non ? C'est très cool en tous cas). Tiens on dirait toujours un peu l'Iguane sur "Trauma", morceau assez dantesque et carrément intense. "Rise Up" conclut ce très bon disque sur une note très Lou Reed. La voix, les cordes.... Ca fait très Transformer tout ça... Mais pas que. Même si il aurait pu pondre ces saillies de guitare bien crado entre 76 et 89. Mais là encore, la musique est tellement riche que si elle évoque des trucs, c'est un peu logique et on est loin de se réduire à un pastiche. Et c'est là où les mecs sont forts. Ca explique qu'ils aient quasiment créé un sous-genre musical à eux tous seuls (avec l'aide du Congratulations de MGMT et d'illustres anciens comme les Flaming Lips quand même), cette pop jukebox ultra moderne dans le fond et ultra vintage sur la forme. Et ça explique que malgré leur jeunesse (1er album en 2012!) ils soient l'un des groupes les plus influents et cruciaux de la décennie. Chapeau les gars.
Enfin bref, je vais pas m'éterniser davantage : ce disque est vraiment superbement composé et réalisé. Je suis pour ma part totalement conquis, et je vous encourage vivement à l'écouter par vous-mêmes pour vous faire votre propre idée. A écouter là
Pour continuer dans les vieilloteries, plongeons nous en l'an 1940 pour les débuts de Frank Sinatra, qui commence alors sa carrière en tant que soliste dans l'orchestre du tromboniste état-unien Tommy Dersey, le 26 janvier 1940. C'est en posant sa voix dans l'orchestre qu'il se fait ainsi connaitre et son premier grand succès sera alors I'll Never Smile Again enregistré cette même année 1940 avec le groupe vocal The Pied Pipers chez RCA Victor. Ce titre resta d'autant plus dans l'histoire car il fut le premier à être N°1 dans le tout nouveau classement des meilleurs ventes de disques publié par le fameux magasin Billboard ( il le restera 12 semaines ), dont le premier classement sortit le 20 juillet 1940 et dont nous fêtons l' "anniversaire" aujourd'hui même. Ce Music Popularity Chart, qui paraîtra alors de façon hebdomadaire, fait suite aux Hit Parade qu'ils firent paraître à partir du 4 janvier 1936.
Tommy Dorsey et Frank Sinatra au RCA Studio de Nashville en 1941
Pour ce qui est de Frank Sinatra, il restera 2 ans dans l'orchestre de Tommy Dorsey, y enregistra une centaine de morceaux dont de nombreux tubes qui lui permettront de se lancer dans sa légendaire carrière solo, qu'on lui connait, à partir du 19 septembre 1942.