Vous le savez probablement pour les habitués, Ty Segall est un habitué de nos colonnes, ainsi que de nos tops de fin d'année. Il ne déçoit jamais et, du moins en solo, est sur une lancée de classiques absolument colossale depuis le début des années 2010, avec au moins un indispensable par an, souvent davantage, et tous différents. Pour le meilleur des plus récents, réécoutez Slaughterhouse (2012), Twins (2012), Sleeper (2013), Manipulator (2014), Emotional Mugger (2015) et Ty Segall (2017). Et vous pouvez y ajouter ce Freedom's Goblin, sorti en ce glorieux mois de Janvier 2018.
Ce dernier, contrairement à nombre de ses prédécesseurs, ne se définit pas par un son ou un thème unificateur mais plutôt par la liberté totale que Segall et ses comparses du Freedom Band (Mikal Cronin à la basse, Charles Moothart à la batterie, Emmett Kelly à la guitare et Ben Boye au piano, échangeant souvent les instruments) s'accordent sur chaque titre, donnant un côté davantage centré sur les chansons que sur l'album dans son ensemble, l'unité de base, le cadre et le centre de l'attention étant donc la chanson en elle-même, à la manière de Gumboot Soup (2017) des King Gizzard & The Lizzard Wizzard. Cette liberté est aussi présente dans la longueur des titres (de 1'06 à 12'02) ainsi que dans celle de l'album (19 titres pour 1h15). Cependant, on peut y trouver certaines constantes : un son résolument 70's avec de grosses influences glam rock (le rapprochant de Manipulator), et un peu de jazz en plus de ce qui fait le style de Segall, ce mélange de grunge, punk, garage, hard, classic rock, pop, psyché et folk inimitable.
Ty Segall & The Freedom Band - "Fanny Dog", Live at KCRW 2018
Le côté glam, on l'entend dès les cuivres décadents de l'excellente "Fanny Dog", très Bowie période Diamond Dogs, avec ces guitares saturées quasi grunge, mais également très shock rock, et une écriture marquée par la country-folk, qui, associée à ce déluge sonique, donne un côté Jack White à l'ensemble. Le Bowie funk, cette fois ci celui sous coke et influence berlinoise de Station To Station, est convoqué sur "Despoiler of Cadaver" au traitement du son quasi dub absolument génial, digne du Brian Eno 70's, et à la fantaisie proche des contemporains Ariel Pink ou Soft Hair (LA Priest & Connan Mockasin).
Cette dernière, ainsi que des morceaux comme "Meaning", à la première partie géniale avec notamment un groove kraut ultra réminiscent de Can et aux dissonances malicieuses, augurent d'une direction très intéressante pour Ty. En revanche, la dernière partie de la chanson, pseudo punk hardcore, me convainc moins, même si la transition WTF à la Frank Zappa va bien avec le style de l'album. Ce côté déglingué est d'ailleurs très bien réussi sur l'interlude "Prison", sur "Talkin 3" entre Sex Pistols, White Stripes et free jazz, ou sur "The Last Waltz", chanson de pub psychédélique, entre les Mothers Of Inventions, Traffic, Captain Beefheart et les Beatles psyché à leur plus j'en foutiste.
Ty Segall & The Freedom Band - "Despoiler Of Cadaver", Live at KCRW 2018
Du côté de la pop classique, on entend un peu la grosse influence revendiquée de John Lennon dans toute sa douceur, sa fragilité mais aussi sa furie sur "Rain", titre à la fois délicat et rageusement glam sur le refrain dissonant façon Lou Reed et encore une fois Bowie. Ce songwriting mélodique quasi country est retrouvé sur l'également très bonne "My Lady's On Fire", réminiscente du meilleur de Harry Nilsson et contenant également des cuivres à tomber, et sur la très Beatles "Cry Cry Cry", absolument géniale. "I'm Free" continue ce côté folk, mais cette fois-ci entendu à travers les oreilles des Who circa Tommy (d'où son titre ?).
Tout comme "You Say All The Nice Things", rapprochant de façons inimaginable pour moi Ty Segall et la période glam/folk/rock de Of Montreal (2013-2016), à la fois musicalement et surtout vocalement. D'ailleurs, l'influence également assumée de T Rex, commune à Kevin Barnes d'of Montreal et à Segall, contribue à les rapprocher et ça s'entend sur la génialissime "The Main Pretender", glam saturé au groove funk liquide et sexy et épicé d'un petit côté free jazz tranchant. Un des sommet de l'album.
On entend davantage le rock des années 2000 (White Stripes, Black Keys, The Kills...), sur le début de "Shoot You Up" avant une deuxième moitié façon Beatles décadents (période White Album). Ce rock moderne, autant influencé par Prince que par le post-punk 70's, revient sur "Every 1's A Winner", qui sonne ample et clair comme les Black Keys de Brothers, mais avec ce côté funk et vicieux en plus, largement amené par des percussions incroyablement bonnes. La rythmique est également le point fort de la scie punk-grunge "When Mommy Kills You", un peu plus attendue et prolongeant le style de Segall sur son album Twins, tout comme "Alta" un peu plus loin, sur laquelle Ty a le mérite d'enrichir le morceau d'un pont très riche et absolument délicieux. Tout comme il enluminait son style de trouvailles fantastiques sur Ty Segall, sorti l'an dernier. On sent que niveau compo et arrangement, de manière générale, l'heure est au perfectionnement extrême.
Ty Segall & The Freedom Band - "Alta", Live at KCRW 2018
Dans le registre hard, quasi métal 80's, on a "She", avec guitares shred, grosse guitare rythmique bien grasse, plutôt bon morceau dans un genre qui a pourtant en général du mal à m'emporter. Et puis "5 Ft Tall" est une très honorable tentative de retrouver la folie furieuse de Slaughterhouse, malheureusement malgré ses petits apports jazz dans les arrangements elle manque un peu de personnalité.
Et puis il y a le morceau de bravoure de plus de 12 minutes "And, Goodnight", entre prog rock saturé, Beatles, Jack White encore une fois, et soul-funk au début, qui part vite dans une suite de soli virtuoses et kiffante (les deux ne vont pas toujours de pair), avant de retomber sur ses pattes blues façon Albert King.
Vous l'aurez compris, c'est un disque dense, parfois un peu trop avec quelques titres un peu plus faibles. Un disque très référencé également, mais même si les influences sont un peu plus audibles qu'avant (ce qui est sans doute dû aux compos assez spontanées les faisant ressortir), elle ne font à aucun moment sortir du disque, et contribuent à au côté bric-à-brac assez charmant et amusant de ce disque. Qui malgré la diversité des styles abordés et des instrumentations arrive à rester relativement cohérent, ce qui n'est pas rien, et à ne jamais lasser malgré la durée, ce qui est carrément un exploit.
En résumé, ceci n'est pas le meilleur album de Ty Segall mais c'est un très, très bon album, bien produit, solide, généreux, riche, avec des sommets très hauts (parmi les meilleures chansons qu'il ait jamais écrites), et une intégrité totale. Et rien que pour ça c'est déjà un incontournable de 2018.
Alors bonne écoute !
D'ailleurs, l'album est disponible en streaming sur youtube par ici, ou alors là sur le site de NPR, et quelques morceaux sont en écoute sur son bandcamp.
J'ai truffé l'article de nombreuses références, et pour que ce soit plus pratique pour vous d'entendre où je veux en venir, j'ai glissé les liens vers des chansons (sur youtube) illustrant mes propos, n'hésitez pas à les utiliser !
Alexandre
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RépondreSupprimerTiens un commentaire qui illustre ma façon de commenter. Après un commentaire sur Biolay qui ouvrait une discussion (Je vais en faire un point de chronique de toute façon) je me disais je vais sur la dernière de leur chronique pour relancer. Et puisque j'y étais, j'ai lu la Chronique sur Ty. Je n'avais pas trop l'intention d'écouter, mais j'ai lu. Mais le Alex il insiste, il référence, que des "amis" d'écoutes, que des adjectifs accrocheurs. Et je me retrouvais à chercher puis à écouter le Ty. Marrant, impression à la première écoute comme le raconte Alexandre: éclectique mais "daté" 70's, foutraque et désinvolte (faussement?). Du coup le choix cornélien: ce disque soit je laisse tomber soit j'y consacre plusieurs écoutes car c'est certains il fait parti de ces disques que nous aurions été content d'acheter. Riche mais pas déconcertant.
RépondreSupprimerJe n'ai pas encore décidé.
Au fait j'ai entendu un son et solo de guitare comme je les aime chez Neil Young.
Bien vu Alexandre.
Content que tu aies accroché, tu me diras si les écoutes suivantes confirment ton avis plutôt positif ;) ! Bien vu pour la réf à Neil Young, qui lui-même sait être à la fois fou, éclectique et canalisé.
SupprimerSi tu ne connais pas trop Ty Segall, je t'enjoins vivement à écouter Emotionnal Mugger (si tu es Residents), Slaughterhouse si tu es d'humeur hard rock, Twins si tu es pluôt garage punk, Sleeper si tu veux du folk et Manipulator si tu es plutôt Bowie période glam. Reverse Shark Attack si tu veux du punk de surfer absurde, et Ty Segall (homonyme de 2017) si tu veux tout ça en même temps dans de grandes chansons.
Ce dernier n'est probablement pas son meilleur, mais rien que pour des trucs comme Rain, My Lady's On Fire, et j'en passe, il est franchement très, très réussi.
"Every 1's A Winner" un chouette titre Pop Disco de 78 des "Hot Chocolate" ça me disait quelque chose. Quand même, vive les tags!!
RépondreSupprimerOui c'est une reprise, je l'ai vu après avoir écrit la chronique, belle oreille !
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