Les aventures musicales de deux potes

Les aventures musicales de deux potes

mardi 12 décembre 2017

Ariel Pink - Dedicated To Bobby Jameson (2017)


  On distingue fréquemment la pop et le rock comme deux entités séparées. Mais en vérité, c'est trompeur; et c'est même putain de faux. Je ne vais pas vous refaire l'historique, mais je peux déjà démonter l'exemple éculé et réducteur du "Beatles vs Stones" qui caractérise cette facilité intellectuelle en vous enjoignant à (ré)écouter "Helter Skelter" et "She's A Rainbow". Je ne disserterais pas non plus de long en large sur le fait que les rockeurs 50's étaient bien plus dangereux que tous les punks, les hardos et les métalleux du monde. Que j'adore au passage, là n'est pas le sujet. Ce que je vais faire, en revanche, c'est vous parler de ce putain de rock'n'roll. Est-ce que ça veut encore dire un truc ? Est-ce que ça a seulement voulu dire un truc à un moment ? Une chose est sûre, c'est sûrement pas moi - né dans un monde post-analogique et pos-électronique, plus de 6 mois après la mort de Cobain et sans avoir vécu en direct les orgies musicales des 50's, 60's, des 70's ou des 80's - qui vais vous donner la réponse ultime.

  Ce que je peux vous dire en revanche, c'est que le rock peut vouloir dire quelque chose pour quelqu'un. Pas plus, pas moins qu'un autre style de musique ou même qu'un autre art, ça non. On, enfin, vous qui êtes nés avant internet, êtes restés pour la plupart pendant des décennies complètement ethnocentrés sur une frange ridiculement petite de la musique mondiale, ignorant des continents entiers et des décennies fertiles de musique de la plus grande qualité. Et je ne parle pas des autres formes d'art. Mais ce n'était pas votre faute, le monde était comme ça. C'est le problème du rock anglo-saxon : sans doute a-t-il détenu trop longtemps le monopole de la musique de façon illégitime. Pas parce que surestimé, non. Plutôt parce que le "reste", c'est à dire quasiment le monde entier, était du coup exclu de la conversation. Ce retour à une place plus humble n'est au final que justice et logique pour une musique qui ne représente qu'un pan de l'imaginaire et de l'expression humaine, c'est dans la logique des choses, c'est sa juste place. Le problème, c'est que c'est une musique turbulente, qui n'est pas très portée sur le côté humble. Sa muséification inéluctable et son déclin foudroyant a laissé plein d'orphelins ne se retrouvant plus dans le flot de machines et de rappeurs pourtant bien plus vivants que leurs vieilles idoles fatiguées.

  Le fait que le rock, le vrai, pas celui des stades, reprenne sa place d'outsider, n'est pas une mauvaise chose. Car comme je l'ai dit, cette musique peut vraiment signifier beaucoup, notamment pour un jeune en pleine découverte de la vie. Comme le disco a pu servir d'échappatoire à des communautés opprimées, le rock peut permettre à un ado un peu bizarre, un peu paumé, de commencer à réfléchir à sa place dans ce monde beau et foireux. Et le fait que le projecteur s'en soit détourné est une bonne chose dans ce contexte : les freaks du monde entier peuvent sortir de l'ombre, des ruelles, des égouts, des quartiers populaires et des bidonvilles pour s'en emparer à nouveau.


Chris Lucey (Bobby Jameson) - I'll Remember Them (1965)

  Ariel Pink est un de ces gars là. Bobby Jameson était un de ces gars là. Sous le nom de Chris Lucey, il croyait devenir une grande star. Et il aurait pu, il en avait les capacités (cf la chanson ci-dessus que je trouve personnellement bouleversante). Les circonstances en ont voulu autrement, la star n'a jamais éclot, il est resté un outsider. Et il a fini par raconter son histoire, ses réflexions sur sa gloire déchue, dans un blog musical qui a eu son petit succès indé, et sur lequel est placé Ariel Pink. Qui se situe symboliquement dans cette lignée de loser magnifiques en dédiant le titre de cet album à son prédécesseur. Ce que je trouve admirable. Tout comme j'ai apprécié l'aide apportée à la production de jeunes artistes indés perçant à peine comme Cellars.

  Et musicalement, on avait adoré la dernière livraison du Pink, pom pom, en 2014. Un album fou de déconstruction - reconstruction de la pop avec des accents eighties, glam, punk, électronique, new wave, et noise, blindé de tubes déviants. Je suis donc ravi de vous annoncer que Dedicated To Bobby Jameson c'est pom pom en presque aussi fou et encore plus efficace (moins de digressions, de changements de rythme qu'à l'habitude). Prenez "Time To Meet Your God", elle aurait pu être sur le précédent. Glorieux morceau aux couplets irréels (rythmique complètement psychotique, synthés improbables et grandiloquents, chant barré), et aux poussées magnifiques, avec un pont new wave presque ambient. De la grande oeuvre. "Santa's In The Closet" et son côté new wave décalé germanisant presque Falco poursuivent bien le délire décalé et électro-pop tout en étant irréprochable mélodiquement. Y'a un gros côté The Cure qui plane sur tous ces titres, dans leurs mélodies imparables et leur son léché.

  Dans le même genre, mais en renouvelant un peu la palette, on a le discoïde "Death Patrol", complètement irrésistible, comme un Shuggie Otis cramé jouant avec Unknown Mortal Orchestra et Connan Mockasin. Le délire est poussé plus loin avec le maître de la funk de ces dernières années, Dâm-Funk, sur "Acting", merveilleux exercice de style entre âmes soeurs musicales. "Kitchen Witch" pervertit quant à elle la synthpop ultra tubesque des années 80. "I Wanna Be Young" poursuit dans la même veine en dévoyant un genre de pop-rnb radiophonique, et là encore c'est merveilleux. 


Ariel Pink - I Wanna Be Young (Clip, 2017)

  On a également "Time To Live" quasi du hard-rock saupoudré de glam et hyper bruitiste avec un refrain entre post-punk façon Joy Division, Bowie et Buggles à tomber, et la très proche (en plus punk) "Revenge Of The Iceman".


Ariel Pink - Time To Live (Audio, 2017)

  Mais la marque de ce disque, et la connexion avec Jameson, c'est un certain psychédélisme tranquille. Des titres comme le merveilleux "Feels Like Heaven" (un des plus beaux morceaux de l'année avec sa mélodie irrésistible, ses synthés/flûtiaux improbables et ses arrangements saccharinés) font magnifiquement la transition entre la folie électro-pop et la pop-rock psyché de la fin du disque. 


Ariel Pink - Feels Like Heaven (Clip, 2017)

  Et ce, que ce soit la superbe resucée néo-60's "Dedicated To Bobby Jameson", sa frangine "Dreamdate Narcissist", bonne comme du Electric Prunes, la plus folk et champêtre "Another Weekend" (classique instantané), voire la plus lo-fi "Do Yourself A Favor". Autre morceau entre deux eaux, "Bubblegum Dreams" est à mi-chemin entre psyché et électro-pop avec un certain cousinage étrange à constater (mais pas débile : même influences et même amour du 1er degré, certes pour des raisons différentes) avec notre Voulzy national (celui des débuts, du Coeur Grenadine à Bopper en Larmes).


Ariel Pink - Another Weekend (Clip, 2017)

  Bref, si on avait encore du rock partout à la radio, les amateurs du genres seraient peut être moins enclins à fouiner partout, les musiciens moins enclins à expérimenter, les maisons de disques moins motivées à signer des urluberlus, et peut-être qu'on serait passés à côté d'Ariel Pink et de ce petit chef-d'oeuvre de disque. Ou peut-être pas, peut-être même qu'il aurait été une star. Mais j'en doute, sa musique est trop personnelle et intègre pour ça. Par contre, ce que je sais c'est qu'on vit une putain d'époque. La preuve, on peut écouter ce disque (genre, ). Vous pouviez pas faire ça dans les sixties hein ? On se la ramène moins d'un coup.


Alex


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