Les aventures musicales de deux potes

Les aventures musicales de deux potes

dimanche 23 avril 2017

Kendrick Lamar - DAMN. (2017)


  Après le monument jazz-funk-rap qu'était To Pimp A Butterfly (notre album préféré de 2015), et son complément untitled unmastered. sorti en 2016, ce DAMN. était plus qu'attendu, Kendrick Lamar étant devenu depuis Good Kid, M.A.A.D City (2012) le rappeur (voire même l'artiste tout court ?) le plus largement reconnu et honoré dans le monde. 

  Quand on sort d'une série aussi ambitieuse d'albums aussi réussis, soit on part dans la surenchère, soit on revient à quelque chose de plus direct, brut. C'est ce deuxième choix qu'a suivi Lamar (c'est visible dès la pochette à la Tyler, The Creator) ; sans se départir de la richesse musicale qui l'a fait connaître, il pose ses flows toujours plus affutés sur des beats plus bruts, plus roots, sur un album concis (14 titres, 55 min) qu'on aurait du mal à qualifier de minimaliste mais qui flirte avec l'idée. 

  On commence par l'introduction, "BLOOD.", qui pose le liant de ce disque dès le début : ce chant enchanteur, entre doo wop et pop 60s. Sur une instru qui sonne presque comme une ballade de prog (produite par Bekon aka Daniel Tannenbaum), Lamar pose sa voix, plus spoken word que rappée, racontant une histoire aussi mystérieuse que captivante, à la fin de laquelle Kendrick se fait tirer dessus. 
  Là on enchaîne avec un sample de ce "journaliste" de la FOX qui a dit "le hip-hop a fait plus de mal aux jeunes afro-américains que le racisme". Ouais, sans blague ? Nier la violence du racisme (même sans remonter à l'esclavage) en même temps que nier la culture que les jeunes blacks les plus défavorisés des quartiers les plus laissés à l'abandon ont réussi à créer à partir de presque rien (et malgré tous les obstacles, le hip-hop a réussi à conquérir le monde entier !), c'est un sacré combo de connard ignorant. 
  Pas étonnant que ça s'enchaîne sur le puissant "DNA.", avec des paroles comme "I Got Loyalty, Got Royalty Inside My DNA", où Lamar examine avec beaucoup de finesse ce qui fait l'identité des afro-américains, leur histoire arrachée, le contexte social difficile, et leur richesse culturelle. Le beat de Mike WiLL Made-It, très trap, est le plus lourd de l'album, le morceau cogne dur et ça fait du bien par où ça passe. Notamment sur la deuxième partie, avec ce sample de voix insistant qui dit un truc genre "Gimme Some Culture". Brillante entrée en matière.

  "YAH." est plus jazzy, plus cool et posée, produite par DJ Dahi, Bekon, Sounwave et Anthony "Top Dawg" Tiffith, où on retrouve la voix de canard et les ambiances posées de Good Kid M.A.A.D City (comme sur la très belle "Feel" avec Thundercat) pour notre plus grand bonheur. 
  Et un petit côté Drake aussi, qu'on retrouvera sur l'intro de l'excellente "ELEMENT." produite (entre autres) par James Blake. Dans cette tonalité plus introspective, posée, émouvante et réfléchie, on a l'étonnante "PRIDE." où la guitare du génial Steve Lacy (The Internet), les choeurs (et l'écriture) d'Anna Wise, et les pitchs incessants sur la voix de Lamar rappellent Connan Mockassin ou Mac DeMarco. Et c'est ultra réussi. 
  Il y a aussi "LUST.", qui est magnifiquement produite par DJ Dahi et Sounwave, avec l'aide des BADBADNOTGOOD et Kamasi Washington pour le côté jazzy (avec des voix de Kaytranada et Rat Boy), et la bluesy et profonde "FEAR.", produite par The Alchemist, qui déroule sur presque 8min le storytelling impeccable de Lamar.

  Et puis, outre ces moments introspectifs, il y a des moments de rage et d'énergie, et d'autres plus pop et accrocheurs. Ce versant pop est représenté par "LOYALTY." avec Rihanna, sur un sample de Bruno Mars utilisé comme pour un "California Love" part 2. De même, "LOVE." avec le divin chanteur rnb Zacari pourrait faire crossover tant ce rnb chanté-rappé à la Drake peut plaire au plus grand nombre tout en étant objectivement excellent. Tout comme "GOD." et son côté électro-rap de la fin des années 2000, quelque part entre le Kanye West de Graduation et le Drake de Take Care. Lamar sait aussi se faire plus accessible sans perdre de sa superbe.

  Quand à la rage, outre "DNA.", on l'entend sur l'ébouriffant single "HUMBLE." (au clip génial, dont on a parlé ici), produit par Mike WiLL Made-It, au piano bondissant et menaçant et au rythme trap permettant à Lamar de sortir un flow absolument virtuose et addictif. 

  On l'a aussi sur "XXX.", qui commence pourtant en douceur, avec ces choeurs dont on a déjà parlé, avant de virer très rythmique : boîte à rythme, scratches de James Brown, puis samples de piano détraqué et sirènes uniquement pour servir de tapis au flow de Lamar, hypnotique dans un premier temps puis urgent dans un second. Le morceau est très haché, sur la fin on a un passage plus jazzy, la voix de Bono, des mouettes.... c'est le bordel mais c'est génial. Mon morceau préféré de tout l'album. Ce côté roots, ce retour au plaisir de rapper, à l'aspect ludique et virtuose du flow au dessus de boucles simples mais addictives, ce retour à l'essence du hip-hop finalement, me touche beaucoup.

  Et on conclura avec "DUCKWORTH." (nom de famille de Kendrick), qui raconte l'incroyable histoire du moment où son actuel boss (Top Dawg, patron de Top Dawg Entertainment, le label de Lamar) aurait pu tuer son père, finissant en prison et privant Lamar d'un de ses parents et de son avenir en même temps. Utiliser ce qui aurait pu se passer pour donner le bon exemple, c'est brillant. D'autant plus que Kendrick Lamar ne rate pas une occasion de dire qu'il n'a jamais touché au deal ou à l'illégalité malgré les conditons sociales difficiles, et essaie de passer un message positif en ce sens. C'est excellent musicalement en tous cas, et le fait que le fond le soit aussi ne fait qu'améliorer le ressenti ultra positif. 
  La prod de ce titre, via 9th Wonder et Bekon, sample quatre excellents morceaux, "Be Ever Wonderful" (Ted Taylor, 1978), "Let the Drum Speak" (The Fatback Band, 1975), "Ostavi Trag" (September, 1976), "Atari" (Hiatus Kaiyote, 2015). A propos des samples, regardez cette vidéo pour en avoir un rapide aperçu.

  Bref, l'album n'est peut-être pas aussi définitif que GKMC ou TPAB, mais il n'en est pas loin, et l'approche plus directe choisie par Lamar est réussie à merveille. Un chef-d'oeuvre de rap de plus pour ce prodige, ça deviendrait presque une habitude !


ALEX.


4 commentaires:

  1. Kendrick c'est pas trop mon truc, mais un gros bras d'honneur à la journaliste de la Fox. Ca m'étonne même pas plus que ça...

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    1. C'est clair qu'il n'y a rien à attendre de ces gens là ....

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  2. Zut, je dois partir, pas le temps de m'étendre, mais maintenant que je découvre le monsieur, voilà donc son petit dernier et au "milieu" il y a de merveilleuses choses lust, Love et XXX ... maintenant c'est le Rap ou moi qui changeons?

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    1. Les deux mon capitaine ;)
      Il y a toujours eu de bonnes choses en rap, mais comme tout genre musical on a besoin de creuser plus ou moins loin suivant les époques ;)
      Creuse surtout !
      À+

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