Aujourd'hui, on va parler de deux disques de l'été, dans des optiques différentes mais partageant cette même saveur estivale, Everything Now d'Arcade Fire et Funk Wav Bounces Vol.1 de Calvin Harris. Soit deux façons plus ou moins assumées de composer une ribambelle de tubes estivaux.
ARCADE FIRE - EVERYTHING NOW (2017)
Ce qui est intéressant avec cet album d'Arcade Fire, c'est qu'il est l'évolution logique d'un groupe allant vers un son toujours plus pop avec une popularité grandissante. Les moyens grandissants du groupe lui permettent désormais de sortir de vrais blockbusters pop, ce qui est sans doute ce qu'ils ont toujours cherché, le groupe a toujours eu cette dimension épique et stade-compatible, héritée de U2 ou Springsteen. Mais c'est aussi contradictoire avec leurs débuts très indés, leur esthétique globale et leur état d'esprit rattaché à cette scène et à ces valeurs fuyant le mercantilisme. Pour réussir à concilier les deux, ce disque est donc ouvertement pop, le plus simple et accessible jamais produit par le groupe, mais dans un but conceptuel : dénoncer, ou en tout cas se moquer, de tout ce monde aliénant de grosses corporations, de fric, d'apparences. Et puisqu'on n'est pas à un paradoxe près, c'est sur la major Columbia (Daft Punk...) que le disque sort. Mais c'est cette tension entre le fait de vouloir faire quelque chose d'exagéré, d'ironique, et le fait sous-jacent de vouloir faire de la bonne musique, qui amplifie la tension accessibilité - authenticité déjà à l'oeuvre et créé un vrai danger pour le groupe, lui permettant de marcher sur le fil.
Arcade Fire - Everything Now (2017)
En effet, même si ce disque est l'évolution logique de Reflektor, il est bien plus loin de la zone de confort du groupe que ce qu'on pourrait penser au départ. Beaucoup moins rock, avec ce que la pop implique de dénuement et de premier degré, même si le groupe utilise encore le fard de l'ironie pour s'y cacher. Et ça marche. Sur les premiers morceaux, l'aspect cynique, le côté tubesque et la qualité musicale suivent : l'enchaînement "Everything Now" (inspirée d'une compo de Francis Bebey, "The Coffee Cola Song", qui y est samplée) et "Signs Of Life" est un petit sommet de pop sous perfusion post-punk/disco-funk. Une double réussite parfaite, co-produite par Thomas Bangalter de Daft Punk et Steve Mackey de Pulp, et déjà abordée dans la rubrique Chansons de l'été, qui est tout à fait remarquable.
"Creature Comfort", réalisée avec l'aide de Geoff Barrow de Portishead, mêle arena rock, clavier indus oppressant, et songwriting vieux comme le rockabilly, et appuie de façon très futée sur la distorsion entre les éléments plus rock, violents, et la mélodie principale jouée au xylophone, entêtante et finalement toute aussi absurde que ce clavier ultra-répétitif qui finit en pouet pouet et ces choeurs too much.
Arcade Fire - Creature Comfort (2017)
Alors évidemment, le groupe se plante un peu parfois, comme sur "Peter Pan", qui commence bien, avec un son original, entre pop et dub, mais qui souffre d'un chant peu intéressant et d'une surcharge de production. En instrumental, en coupant un truc par ci et un par là, ça serait mieux passé. De même, la tentative sud-américaine (selon Win Butler) "Chemistry", entre ska et rock 50's, tourne rapidement un peu en rond façon fanfare, faute d'idées, et ce malgré un départ sympathique. Les deux "Infinite Content" sont également un peu en dessous, pas mauvais mais pas très intéressants ni inspirés non plus, que ce soit la version pop-punk ou la country-folk, même si cette dernière s'en sort mieux.
Qualitativement au dessus, "Good God Damn" est une honnête chanson pop-rock, pas sensationnelle mais plutôt bonne pour le coup, et qui rappelle la sympathique tentative disco Chinese Fountain des Growlers. Un bon funk-rock qui fait plaisir en été.
The Growlers - Chinese Fountain (2015)
Arcade Fire - Electric Blue (2017)
Mais la fin du disque rattrape ce ventre mou : "Electric Blue" évoque un mix entre le "China Girl" de Bowie et la période disco de Blondie produite par Moroder. Ça claque, c'est tout simplement excellent, apparemment sans efforts. Un vrai tube estival, je vous dis ! De même que la très bonne "Put Your Money On Me", dont l'arpeggiator oppressant porte la marque de Bangalter. Une merveilleuse chanson qui se conclut par un moment pop euphorique très ABBA, et absolument grandiose. "We Don't Deserve Love" décolle quant à elle lors de son refrain réminiscent de The Suburbs. Oh, et les variantes électronico-orchestrales autour de "Everything Now" en début et en fin d'album sont plaisantes, et le fait qu'il se lise en boucle est cool.
Bref, Arcade Fire a plutôt réussi son pari, malgré quelques ralentissements en milieu de course. Ils offrent un album estival, plein de poussière et de coups de soleil dans la nuque, de centre villes moites, de lendemains de fête et de paillettes qui collent à la peau. C'est sans aucun doute leur moins bon album, mais c'est quand même un très bon disque, honnête, et qui je l'espère aura le mérite de rameuter de nouveaux auditeurs vers des musiques moins évidentes.
CALVIN HARRIS - FUNK WAV BOUNCES VOL. 1 (2017)
A l'inverse de celle d'Arcade Fire, la démarche de Calvin Harris est simple, claire, assumée. Le talentueux DJ qui n'a pas convaincu sur le format album depuis son premier il y a déjà dix ans, a décidé de se sortir temporairement de l'EDM commerciale et souvent vide qui lui rapporte des sous mais ne vaut souvent pas grand chose artistiquement pour pondre un blockbuster néo-disco fait artisanalement (il a quasiment joué de tout, avec plus d'instruments acoustiques et électriques qu'à l'accoutumée : guitare, basse, piano, claviers, pour accompagner l'électronique). Et c'est assez clair : lorsqu'il se ressaisit et se donne à fond, il est très bon. L'ensemble du disque, pensé pour être un disque de l'été, facile, accessible, gavé de tube, dansant ou au moins remuant, est une réussite totale sur tous ces plans, et arrive même à atteindre une certaine profondeur, une certaine âme.
Le projet a été bien pensé et savamment construit, des chansons faites main aux visuels et clips soignés, dégageant une esthétique globale un peu vintage mais uniquement pour le fun. En effet, il est difficile d'être passéiste quant on invite tout ce que la planète compte comme chanteuses de rnb et mumble rappers autotunés bien dans leur époque. C'est donc un disque qui sonne comme un classique moderne, une tentative de Off The Wall version 2017. Et qui y arrive, grâce à l'aide de talentueux invités, à commencer par le génial Frank Ocean, habilement secondé par les omniprésents Migos sur "Slide", meilleure chanson ici et une des meilleures de l'année également. Ainsi que sur "Heatstroke", deuxième meilleure chanson du lot, poussée par la science rnb de Pharrell Williams, le génie fou du grand Young Thug et la voix tubesque d'Ariana Grande. Ces deux chef-d'oeuvres aux basses rebondies, aux claviers riches et à la construction irrésistible nous avaient fait présager un retour en grâce du producteur, et nous avaient donc bien aiguillés. De même que "Rollin", quasiment aussi bonne, grâce au rnb émouvant de Khalid et au rap magistral de Future.
Calvin Harris, 2017
Mais l'ensemble du disque se tient également très bien en dehors de ces sommets. Que ce soit "Cash Out", agréable disco saupoudrée de G-Funk, porté par un Schoolboy Q joueur, un PARTYNEXDOOR pop sur un refrain imparable, et rendue vraiment excellente par un pont soul profond et ludique de l'espiègle et talentueux DRAM. Ou sur sa jumelle, "Holiday", avec Snoop Dogg et Takeoff dans le rôle des MC et John Legend pour le sucre rnb. Ou encore sur le funk métallique de "Prayers Up", co-produite par A-Trak et portée par Travis Scott, qui signe encore un refrain mémorable.
Même les morceaux outrageusement pop et les featurings qui faisaient grincer des dents a priori sont bons. Le dancehall de "Skrt On Me" arrive à accrocher l'oreille sans écœurer, et ce malgré le chant ultra autotuné et racoleur de Nicki Minaj et le son façon preset de zouk artificielle de la prod. Qui fait penser que le maître se rapproche de son élève française (suivez mon regard, attention plaisir ultra coupable). Même avec la présence de Katy Perry, et encore plus fort grâce à alle, le tube funk & ska "Feels" est imparable, avec là encore Pharrell Williams chargé de saupoudrer tout ça de soul, de funk, de pop et de rnb (ce disque est un peu un Random Access Memories avec des invités jeunes et une ambition plus décontractée). Harris arrive même à rendre un couplet de Big Sean intéressant, seul Kanye est capable de ce genre de miracles en temps normal ! En tous cas, le morceau est mortel, et a marqué notre été, comme tout cet album en fait.
Clip de Feels, 2017
Et le disque se finit par un joli tour de piste de la diva rnb Kehlani et du golden boy du mumble rap Lil Yachty sur "Faking It" rappelant l'excellence pop-rnb 2000's de Nelly Furtado. Puis par "Hard To Love", plus cool, presque indie pop, pour faire redescendre l'atmosphère grâce à la délicieuse chanteuse Jessie Reyez qui fait un boulot tellement merveilleux qu'elle évoquerait presque Minnie Riperton.
Bref, ce disque gavé de tubes de l'été assumés est un vrai plaisir même pas coupable, un vrai bon disque de funk qui est on ne peut plus moderne mais arrive pourtant à garder une authenticité le reliant aux anciens du genre, malgré une démarche extrêmement commerciale. C'est du mainstream d'excellente facture réalisé à la main par un gars talentueux avec une vraie vision, une envie de plaire et une exigence sans failles, vous auriez tort de vous en priver !
Alex
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