On avait adoré Hot Dreams (2014), précédent album des canadiens de Timber Timbre, et le moins qu'on puisse dire c'est que son successeur, Sincerely, Future Pollution, sorti en début d'année, est à la hauteur des attentes. Si je parle du précédent, c'est que cela a une incidence sur ce disque : en effet, avec Hot Dreams, le groupe avait été au bout de son idée de ce qu'était un disque parfait en termes de composition, d'arrangements, de son, de jeu. Et la critique avait justement suivi, le disque récoltant des louanges assez unanimes. Mais le problème posé est le suivant : comment, quand on pense avoir atteint son sommet personnel, quand les objectifs qu'on s'était fixés sont tous atteints et qu'on touche l'idée qu'on avait de la perfection, comment continuer ? Aller plus loin ? Mais vers où ? Se répéter ou se réinventer ?
Le groupe a eu une idée simple, radicale : changer de grille de lecture, de référents esthétiques. Jouer avec des codes musicaux qui ne leur sont pas naturels, qui ne font pas partie de ce qu'ils considèrent être le bon goût. Et pour Timber Timbre, ça veut dire jouer du rock FM 80s. Mais attention, ils ont fait cela avec leur patte, et ont incorporé certains éléments dans leur son sans se laisser dépasser par eux. C'est donc une totale réussite, qui évite la redite et leur permet d'accoucher d'un nouveau grand disque de rock indé.
Le bal commence par la superbe "Velvet Gloves & Spit", avec un duo basse batterie hyper simple soutenant un orgue dramatique et une nappe de synthé au son bien années 80. Le rendu sonne quelque part entre Nick Cave et The War On Drugs, dans cette espèce de variété rock américaine influencée par Springsteen à son plus solennel et synthétique, et par le Bob Dylan d'après Blood On The Tracks, et qui rappellera également la pop radiophonique mais authentique des Dire Straits et de Peter Gabriel. On pensera aussi au second album d'Arcade Fire. Le morceau est vraiment porté par une simplicité et une évidence mélodique et harmonique touchantes, ainsi que par le merveilleux chant à la diction poétique et incarnée à la fois. Bref, le morceau est excellent.
"Grifting", quant à elle, sonne comme lorsque les musiciens de prog pop des années 80 s'inspiraient du funk et abusaient des synthés ; mais là encore, en gardant la composition et la section rythmique dans une zone minimaliste, on évite tout excès ou toute surenchère inhérente au prog et on reste dans une zone où le songwriting pop-folk domine encore. Finalement, c'est assez proche du Bowie de Let's Dance. Bowie, dont la grande force a été de savoir plaquer ses superbes chansons pop sans les dénaturer sur n'importe quel style musical. L'instrumental "Skin Tone" quand à lui évoque les meilleurs passages du glam rock synthétique très européen voire français de L'Homme à la Tête de Chou de notre Gainsbourg national, de Bashung ou de Housse de Racket.
"Moment" retrouve la grâce du premier morceau, entre classe à la Richard Hawley, climats électroniques et pop-rock éthérés et intenses comme sur les derniers Nick Cave, et même une utilisation du vocodeur, dont on gage qu'il appartient aux gimmicks sonores que le groupe s'est "forcé" à utiliser, ainsi que le solo de guitare shred, les effets de batterie énormes à la Phil Collins et les arpèges de synthés sur ce final décidément too much, mais bien foutu.
La suite, elle, est bien plus sombre. "Sewer Blues" rappelle encore la noirceur épique de Neon Bible, avec son beat martelé presque coldwave et sa basse stroboscopique pulsant sous le mix. Il y a un côté crooner synthétique dark, presque Suicide, dans ce morceau. On entend les fantômes rockabilly dans l'écho synthétiques, cachés derrière la reverb... On retrouve une boîte à rythme et une nappe d'orgue minimaliste façon Martin Rev sur "Western Questions", et toujours cette voix de crooner magnifique et ce songwriting impeccable. Proche, dans les sonorités, le quasi instrumental suivant (le chant n'intervient que tard), "Sincerely, Future Pollution", qui donne son titre à l'album, est davantage bruitiste et industriel, plus rêche, sec et post-punk, et porte donc admirablement bien son titre.
La ballade "Bleu Nuit" repose sur un beat disco downtempo, un synthé bien baveux mais jouant une suite d'accords déstabilisants, et un vocodeur doublé par un synthé mais dont le rendu sonne presque comme un saxophone (à moins que ça n'en soit un ?). Le morceau est totalement inattendu, beau, accessible et étrange à la fois, et il tombe à pic. On sent que l'album a été construit comme un tout tant les enchaînements sont naturels et les ambiances complémentaires. Plus qu'une ultime ballade, "Floating Cathedral" la magnifique, façon variété pré-Elvis, avec ces choeurs doo-wop romantiques et cette guitare mi-surf mi-rockab de lover, et puis ce chant principal très Lou Reed dans les couplets et très Hawley dans les refrains de ce disque urbain (à l'image de la pochette grise et nostalgique) qui sonne assez new-yorkais malgré la nationalité canadienne de ses auteurs. Une des plus belles chansons d'un disque qui ne contient que de ça.
Bref, vous l'aurez compris, je suis totalement sous le charme de cette merveille de disque (à écouter absolument par ici), et je vous encourage à lui (re)donner une chance. Un des grands disques de 2017, je vous l'assure.
A bientôt !
Alex
C'est un bon disque, mais assez loin de Hot Dreams, que ce soit en termes d'ambition ou pour sa qualité intrinsèque.
RépondreSupprimerMais je ne fais pas partie de ceux qui l'enfoncent, ça reste très bien.
Mais Hot Dreams, quoi, c'était juste une claque.
Je trouve que celle là frappe aussi fort, mais l'autre joue peut-être pour filer la métaphore
SupprimerJ'avais perdu ma philatélie depuis qq années (2011), puis je suis tombé sur cette nouveauté en plein été.. et je sens qu'il va devenir au fil du crachin automnal un disque incontournable. Sombre, urbain, anthracite, plombé.. je vais l'écouter à nouveau maintenant qu'il pleut sur le mercure.
RépondreSupprimerC'est vrai qu'il se prete davantage à une écoute automnale voire hivernale. Dans mes souvenirs il est sorti autour de février mars, temps froid et humide, c'était parfait. Un vrai petit bout de Canada ;)
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