Les aventures musicales de deux potes

Les aventures musicales de deux potes

mercredi 20 septembre 2017

L'électro-pop apaisée made in 2017 de Cigarettes After Sex, Hot Sugar, Cornelius, & Dâm-Funk

Cornelius

  Ca ne vous aura pas échappé, l'électronique "chill" est une tendance lourde ces dernières années, du domaine purement électro à la pop en passant par le jazz ou le rap. Retour aux BO italiennes des 70's ? A la pop lounge du début des années 2000 (Air...) ? Probablement une réponse à un système qui fait de nous des êtres sursaturé d'informations, forcés à aller toujours plus vite, mais on ne va pas faire de la psychologie du dimanche ou de la sociologie de plateau télé ici. On va plutôt parler de 4 disques merveilleux qui font naviguer nos tympans en eaux calmes avec maestria.


Cornelius - Mellow Waves (2017)

  Commençons par le maître du genre, le japonais Cornelius, dont on a déjà parlé sur ce blog puisque j'ai fait de l'intro de l'album, "If You're Here", un de mes morceaux de l'été. Sa musique est subtile comme du Air, nuancée comme du Radiohead, douce-amère et drôle comme du Beck, et s'autorise des sorties rock ("Sometime Someplace"), minimalistes ("Surfing On My Mind Wave Pt.2"), dancehall ("Helix Spiral"), avec toujours ce soupçon de folk, de jazz et une électronique maîtrisée, discrète mais audible, texturée mais pas clinquante. Un très bel exemple de ce qu'on peut réussir à merveille dans le genre. Ce superbe album à la pochette sexuelle est à écouter ici.

  Mais comme on va le voir, malgré un vécu mois long, les petits nouveaux peuvent aussi se fendre d'un disque tout en retenue. Car on va évoquer le cas de Cigarettes After Sex, qui partagent avec Cornelius un traitement de la voix assez personnel et addictif. 



Cigarettes After Sex - Cigarettes After Sex (2017)

  Comme du shoegaze avec une voix en avant, comme des The xx sans le silence, comme du trip-hop sans les rythmiques ("Opera House"), la musique des Cigarettes After Sex intrigue. D'abord grâce à cette voix, comme on l'a dit, légèrement modifiée. Un poil boostée dans les graves, un poil saturée, un peu de reverb quant il faut... Et ce, toujours bien dosé. Et puis le plus important suit : les mélodies vocales. Bien mises en avant par un accompagnement musical qui sait calmer le jeu pile au moment où la voix déboule, chacun laissant la place à l'autre dans un échange permanent chant - musique (c'est criant sur les très belles "K" et "Sunsetz").

  Le seul défaut de ce disque, s'il fallait en trouver un, c'est qu'à l'instar d'un LP de Lana Del Rey (dont ils partagent l'esthétique rétro référencée : cf le titre d'un morceau comme "John Wayne"), le rythme lent et homogène tout au long du disque et le son éthéré peuvent captiver lors d'une écoute et lasser lors d'une autre plus distraite ou d'une humeur incompatible. C'est surtout vrai pour les morceaux un peu plus faibles comme "Each Time You Fall In Love", "Truly". Mais là encore, ce défaut peut être une qualité, forçant l'esprit au calme, au ralentissement, et ça marche toujours avec des morceaux comme "Flash", relecture moderne d'un post-punk au léger parfum americana, comme une reprise de Chris Isaak par les xx ou Beach House. Ou comme sur "Sweet", dont le refrain un poil psyché folk (ces guitares carillonnantes) émerveille. 

  Bref, le disque n'est pas parfait, mais il est tout de même très très bon. Une vraie démarche, un son personnel, à contre courant de ce qui marche a priori (même si des précédents comme Cornelius, les Young Marble Giants, les xx, ou Lana ont montré que ça pouvait prendre), c'est tout ce qu'on peut espérer d'un jeune groupe, et c'est largement atteint ici. Et on va encore en écouter deux autres exemples ci-dessous.
A écouter par là.



Hot Sugar - The Melody Of Dust (2017)

  Je ne connaissais pas du tout Nick Koenig, qui produit de la musique sous le nom de Hot Sugar depuis 2011. Enfin, si, je connaissais le morceau "Sleep", qu'il avait produit pour l'excellent album Undun de The Roots, sans savoir que ça venait d'un membre extérieur au groupe. Pas totalement un débutant donc, il a développé un vrai son et une technique à lui ("associative music", en gros un énorme travail de sampling pour arriver à des sons inédits),  depuis son adolescence, et il a déjà publié un album, des EP, produit pour des rappeurs et pour des documentaires.

The Roots & Hot Sugar - Sleep (2011)

  Bref, son deuxième long format, The Melody Of Dust, est une merveille de pop électronique dans lequel la science du son de Hot Sugar sert des mélodies limpides, touchantes et attachantes. Et ça donne forcément un résultat assez inédit et immédiatement appréciable, dès l'introductif "Frosted Glass". Dans lequel on entend bien sa démarche : mêler instruments, samples, field recording, filtres, bref comme il le dit lui même "capturer un son tel un photographe immortalisant une belle image", pour servir une mélodie. 

  Mais il ne sort pas de nulle part. On entend des échos post-dubstep à chercher chez SBTRKT ou James Blake dans la rythmique puissante de "Plasma" ou "Nausea", servant à appuyer ces mélodies liquides, insaisissables, cachées entre deux nappes de voix trafiquées et jouées au synthé (façon Soft Hair). Et qui font la beauté des chef-d'oeuvres que sont "For The Bird", "Coffin in the Clouds"à la prod presque trap, l'excellente "i first heard the melody within the womb", dont le titre résume bien la démarche sonore du bonhomme,  et surtout ma préférée, la renversante et hyper bien nommée (c'est drôle, et poétique) "The Life Of A Goldfish".

  Certes, parfois on peut avoir l'impression d'une répétition dans les rythmes, les structures ou les sons, mais le projet est tellement unique en lui-même qu'il serait malhonnête de demander à l'artiste de ne pas exploiter ce terrain vierge à fond avant de passer à autre chose. De même, une certaine grandiloquence pointe parfois son nez, mais elle ne fait que mieux mettre en valeur des douceurs comme la comptine oblique "Death Is The Ultimate Reward".

  Vous l'aurez compris, ce LP est singulier, il vaut vraiment le détour, ne serait-ce que pour "The Life Of A Goldfish" et vous auriez tort de vous en priver. 


Dâm-Funk - Architecture EP (2017)

  Dâm-Funk est autre musicien que j'adore, ayant fait ses preuves en renouvelant considérablement l'électrofunk avec une intégrité, une vision et un talent rares. Ce dernier EP, plus froid, plus house voire un chouia techno, illustre magnifiquement son thème architectural avec des morceaux de house / funk constructiviste comme l'obsédante "Break Out" et la nostalgique, tranquille mais musclée "Your House", et sait s'en écarter avec la mélancolique et sensuelle "Hazy Stomp" aux percus discrètes mais futées planquées derrière la beauté aguicheuse des synthés. 

  Un magnifique EP trois titres, parmi les meilleurs de l'année, qui offre également repos et apaisement en faisant appel à la sensualité et à intelligence de son auditeur. Une magnifique oeuvre d'art dans laquelle on ressent toute la grandeur d'âme de l'artiste. A écouter absolument là !

Alex



  

2 commentaires:

  1. Quoi ? Each Time You Fall In Love, un morceau faible ? Autant je peux le comprendre pour Truly, autant j'ai plus de mal pour celui-ci, qui est un des sommets du disque à mon sens avec K., Apocalypse et Young&Dumb.
    Je chipote, je partage ton avis et je sais que ce groupe peut particulièrement cliver. Mais quand même, alors qu'ils n'ont qu'un LP au compteur, je trouve qu'ils ont déjà un son hyper singulier, qu'ils créent presque déjà quelque chose qui leur permet de se poser en référence.
    Pour Cornelius, je connaissais pas, j'ai lu ton article sur If You're Here et écouté le titre. Et c'est marrant, autant je reconnais les influences que tu nommes (Air, Radiohead) et apprécie les syncopes et l'audace, autant sur l'ensemble du titre, ça ne prend pas totalement, je trouve que ça ne décolle pas. Et en même temps, Cigarettes After Sex, ça décolle jamais et j'adore. Je sais pas comment l'expliquer. Cela dit, ça m'intrigue, et j'ai bien envie d'y revenir. C'est stimulant car je sens que c'est aux limites extérieures de mon périmètre de confort, mais j'aime précisément repousser en permanence ces limites...
    Merci à toi. Je vais essayer de trouver l'album.

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    1. Merci à toi pour ton message ! Les titres qui nous touchent le plus, tout comme les artistes qui nous touchent le plus, c'est un mystère. Pourquoi les Metallica que j'aime le plus sont ceux que les métalleux détestent ? Pourquoi on a parfois des avis si différents sur des artistes si proches en apparence ?
      Ça tient à la complexité de la proposition artistique, dans notre cas un habile mélange de compo, de son, de voix, de diction, de texte, de mixage, et d'apparence.
      Mais ça peut changer aussi, "Each Time ..." Me touche moins maintenant, mais si ça se trouve elle sera ma préférée du disque dans quelques années.
      En tous les cas c'est un super premier disque en effet ! Pour une fois c'est moi qui serais juste un peu plus nuancé et mois enthousiaste que toi, certes ils ont un son mais c'est quand même assez référencé et c'est pas si novateur que ça, mais c'est pour chipoter car se pointer avec une telle identite aussi tôt c'est assez exceptionnel en effet. Et je l'ai dit dans l'article.
      Merci pour ton commentaire très intéressant comme toujours ! :)

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