Kanye West s'est récemment lancé dans une course folle en produisant pas moins de 5 albums sortis chacun à une semaine d'intervalle (cf la chronique du 1er en date, DAYTONA de Pusha-T pour plus de contexte). Cette série d'albums est surnommée "The Wyoming Tapes", Kanye l'ayant enregistrée dans un petit studio de Jackson Hole, station de ski (pour riches) perdue au fin fond de l'état. La pochette de l'album y a été prise en photo, selon Mme West elle a même été prise par son mari en se rendant à la listening party, nuit durant laquelle il dévoilera son album à quelques invités fortement sélectionnés, autour d'un feu de camp, au milieu de ces montagnes dans lesquelles il est allé se réfugier. Griffonné sur son téléphone, apposé sur cette pochette en lettres vertes criardes, le texte grinçant et humoristique nous éclaire un peu plus sur les raisons de cet isolement volontaire et sur le comportement du rappeur-producteur. Diagnostiqué bipolaire à l'âge de 49 ans, celui dont les éclats médiatiques ont autant participé à la construction de sa célébrité que ses chef-d’œuvres musicaux, prend une nouvelle dimension à la suite de cette révélation qui explique un sacré paquets d'écarts, d'autant qu'il avoue avoir alterné entre périodes "off meds" et périodes d'addiction aux opiacées. Les conséquences de sa maladie sur sa vie, ses proches et son art sont le fil rouge de cet album et a fortiori de cette série de disques.
En effet, le texte du premier morceau, "I Thought About Killing You", coécrit par Skepta et Wiley, ne laisse pas de place au doute, entre pensées suicidaires et aveu d'envies d'homicide : "And I think about killing myself / And I love myself way more than I love you, so... / Today I thought about killing you. / Premeditated murder. / You'd only care enough to kill somebody you love / The most beautiful thoughts are always inside the darkest" ou "Sometimes I think really bad things / Really, really, really bad things". Sa bipolarité est explicite dans le texte ("See, if I was tryin' to relate it to more people / I'd probably say I'm struggling with loving myself / Because that seems like a common theme / But that's not the case here") mais aussi dans la musique : il utilise en effet un effet de pitch-shift sur sa voix, en changeant la tonalité en permanence, provoquant un effet de malaise et illustrant le dialogue interne dissonant de West avec brio. Il fait également un gros bilan de ses erreurs personnelles ("I called up my loved ones"), explique la philosophie qui le pousse à sortir des énormités ("People say "don't say this, don't say that" / Just say it out loud / Just to see how it feels") et se met ainsi à nu. Sur une prod elle même épurée de West lui-même, assisté de Francis & The Lights, qui officiera sur la majorité de l'album (tout comme Mike Dean, personnage clé de la musique de Kanye, ainsi que CyHi The Prynce, Consequence et Malik Yusef aux lyrics). Le morceau commence avec des voix trafiquées pour sonner comme des synthés, répétées en boucles comme un mantra gospel mais sonnant froid comme de l'ambient, procédé également utilisé pour de petites mélodies vocales de Kanye, sonnant comme du Stevie Wonder mais refroidi par un traitement autotune + saturation métallique. Ce décalage, ainsi que l'utilisation du pitch shift, illustre bien la plus grande force de Kanye : son travail sur la voix humaine comme instrument ultime (je vous conseille d'ailleurs le visionnage du court documentaire ci-dessous qui explique sa démarche bien mieux que moi).
En effet, le texte du premier morceau, "I Thought About Killing You", coécrit par Skepta et Wiley, ne laisse pas de place au doute, entre pensées suicidaires et aveu d'envies d'homicide : "And I think about killing myself / And I love myself way more than I love you, so... / Today I thought about killing you. / Premeditated murder. / You'd only care enough to kill somebody you love / The most beautiful thoughts are always inside the darkest" ou "Sometimes I think really bad things / Really, really, really bad things". Sa bipolarité est explicite dans le texte ("See, if I was tryin' to relate it to more people / I'd probably say I'm struggling with loving myself / Because that seems like a common theme / But that's not the case here") mais aussi dans la musique : il utilise en effet un effet de pitch-shift sur sa voix, en changeant la tonalité en permanence, provoquant un effet de malaise et illustrant le dialogue interne dissonant de West avec brio. Il fait également un gros bilan de ses erreurs personnelles ("I called up my loved ones"), explique la philosophie qui le pousse à sortir des énormités ("People say "don't say this, don't say that" / Just say it out loud / Just to see how it feels") et se met ainsi à nu. Sur une prod elle même épurée de West lui-même, assisté de Francis & The Lights, qui officiera sur la majorité de l'album (tout comme Mike Dean, personnage clé de la musique de Kanye, ainsi que CyHi The Prynce, Consequence et Malik Yusef aux lyrics). Le morceau commence avec des voix trafiquées pour sonner comme des synthés, répétées en boucles comme un mantra gospel mais sonnant froid comme de l'ambient, procédé également utilisé pour de petites mélodies vocales de Kanye, sonnant comme du Stevie Wonder mais refroidi par un traitement autotune + saturation métallique. Ce décalage, ainsi que l'utilisation du pitch shift, illustre bien la plus grande force de Kanye : son travail sur la voix humaine comme instrument ultime (je vous conseille d'ailleurs le visionnage du court documentaire ci-dessous qui explique sa démarche bien mieux que moi).
Vox - Kanye, deconstructed : The Human Voice as the Ultimate Instrument (2016)
Mais même avec un thème aussi lourd, Kanye reste accessible car ça ne le prive pas de son humour self-conscious, comme lorsqu'il se joue des attentes de l'auditeur concernant le texte ("I think this is the part where I'm supposed to say somethin' good to compensate it so it doesn't come off bad") ou la prod du morceau qui prend son temps avant de décoller ("Time to bring in the drums, that praa-pa-pa-pum"), il fait savoir qu'il a conscience de ces attentes mais il ne les suit pas, du moins pas immédiatement, et préfère malicieusement jouer la montre dans une partie de cache-cache où l'auditeur est le chat et West la souris. Mais quand le drop arrive, c'est sur un sample intense de l'excellent morceau d'ambiant "Fr3sh" de Kareem Lofty (présente sur l'excellente compilation mono no aware (2017) du label PAN et elle même samplant "J'suis PNL" (2015) du duo de rap français PNL). L'émotion déborde de partout, le sample est froid comme la glace, le beat métallique et implacable, et Kanye suinte la tension et la fragilité comme le Drake des meilleurs moments de If You're Reading This It's Too Late (2015), notamment le drop de "Know Yourself". Ce final incroyable suivant un début déjà captivant achève de faire de ce titre une grosse réussite de Kanye, le plaçant parmi ses morceaux les plus intrigants.
En plus, il se fond à merveille dans "Yikes", co-produit par Apex Martin et le génial Pi'erre Bourne, et co-écrit par Drake, entre autres. Sur une prod agressive contenant un sample de "Kothbiro" (1976) du groupe de funk psychédélique à la limite du dub Black Savage, Kanye continue sur le même thème ("Sometimes I scare myself"), au cours d'un refrain qui ressemble furieusement à "Wolves", présent sur son dernier album The Life Of Pablo (2016) et dont il était censé réaliser une nouvelle version ("fix Wolves" est quasiment un meme maintenant), peut-être que ces remodelages ont donné ce "Yikes" qui a vraiment un côté Pablo, avec ce sample de voix revenant façon "Famous" et un flow parfois emprunté à "Facts".
D'ailleurs, le côté soul/gospel de The Life Of Pablo marque la suite de l'album, avec l'infectieux morceau de rnb minimaliste et sexuel "All Mine", embelli par de très bonnes interventions de Valee et Ty Dolla $ign et transcendée par un final ubuesque avec ces orchestral hits quasi industriels. Un excellent morceau qui amène parfaitement au très beau "Wouldn't Leave", durant lequel PARTYNEXTDOOR, Jeremih, et Ty Dolla $ign prêtent leurs voix angéliques à un morceau devant pas mal à Chance The Rapper (et un peu à Young Thug pour l'intro) dans les inspirations gospel/pop/rap. Le morceau a d'ailleurs été co-composé et écrit par le révérend W.A. Donaldson et est de façon assez amusante basé sur une jam de Justin Vernon (Bon Iver) bidouillant des samples gospel sur un synthé OP-1 et Phil Cook (DeYarmond Edison) jouant du piano Belarus et un synthé Jupiter, au cours d'une des nombreuses sessions ayant eu lieu au Wyoming. Un beau morceau en hommage à sa femme qui reste à ses côtés malgré ses nombreux défauts et coups d'éclats peu glorieux.
Qui s'enchaîne également parfaitement avec le très soul "No Mistakes", durant lequel la présence du fidèle Charlie Wilson (doublé par Kid Cudi sur les refrains) et les délicieux samples soul/rnb rappellent le chef-d'oeuvre passé "Bound2" (2013). Ces samples proviennent de "Hey Young World" (1988) de Slick Rick et surtout de "Children Get Together" (1971) de The Edwin Hawkins Singers. Autre contribution notable, celle de la gagnante du prix Pulitzer et collaboratrice de West Caroline Shaw, donnant de la voix et aidant à la production. Là encore, l'album est extrêmement biens séquencé, pusique le morceau ouvre parfaitement sur le début de "Ghost Town", démarrant par le sample soul de "Someday" (2012) de Shirley Ann Lee, suivi du chant éraillé du toujours fidèle John Legend, posé sur l'orgue chaud de "Take Me For A Little While" (1965) des anglais The Royal Jesters. Ce sample servant de base au morceau, il l'emmène vers des rivages plus rock, avec l'irruption d'un solo dantesque de Mike Dean sur lequel Kid Cudi appose son chant mal assuré, ajoutant à la tension (Kanye est connu pour préférer les prises imparfaites, Cudi -et Aphex Twin- lui en ont déjà voulu par le passé pour ça, cf également le bout de couplet de John Legend non fini, ou "30 Hours" sur Pablo). Sur ce morceau, ça ajoute à l'urgence palpable installée par un orgue insistant, une guitare monstrueuse et des percus pressantes. Le climax est atteint avec la partie de la jeune 070 Shake, nouvellement signée sur le label G.O.O.D Music de West, délivrant avec beaucoup de conviction un gimmick emo ultra efficace mais dénué de sens. Le morceau, dans son ensemble, avec son côté patchwork de soul, de hip-hop et de prog rock épique à la limite du hard rock, est ce qui se rapproche le plus de My Beautiful Dark Twisted Fantasy (2010), que d'aucuns décrivent comme le magnum opus du producteur. Et c'est en effet une incroyable réussite.
D'ailleurs, le côté soul/gospel de The Life Of Pablo marque la suite de l'album, avec l'infectieux morceau de rnb minimaliste et sexuel "All Mine", embelli par de très bonnes interventions de Valee et Ty Dolla $ign et transcendée par un final ubuesque avec ces orchestral hits quasi industriels. Un excellent morceau qui amène parfaitement au très beau "Wouldn't Leave", durant lequel PARTYNEXTDOOR, Jeremih, et Ty Dolla $ign prêtent leurs voix angéliques à un morceau devant pas mal à Chance The Rapper (et un peu à Young Thug pour l'intro) dans les inspirations gospel/pop/rap. Le morceau a d'ailleurs été co-composé et écrit par le révérend W.A. Donaldson et est de façon assez amusante basé sur une jam de Justin Vernon (Bon Iver) bidouillant des samples gospel sur un synthé OP-1 et Phil Cook (DeYarmond Edison) jouant du piano Belarus et un synthé Jupiter, au cours d'une des nombreuses sessions ayant eu lieu au Wyoming. Un beau morceau en hommage à sa femme qui reste à ses côtés malgré ses nombreux défauts et coups d'éclats peu glorieux.
Qui s'enchaîne également parfaitement avec le très soul "No Mistakes", durant lequel la présence du fidèle Charlie Wilson (doublé par Kid Cudi sur les refrains) et les délicieux samples soul/rnb rappellent le chef-d'oeuvre passé "Bound2" (2013). Ces samples proviennent de "Hey Young World" (1988) de Slick Rick et surtout de "Children Get Together" (1971) de The Edwin Hawkins Singers. Autre contribution notable, celle de la gagnante du prix Pulitzer et collaboratrice de West Caroline Shaw, donnant de la voix et aidant à la production. Là encore, l'album est extrêmement biens séquencé, pusique le morceau ouvre parfaitement sur le début de "Ghost Town", démarrant par le sample soul de "Someday" (2012) de Shirley Ann Lee, suivi du chant éraillé du toujours fidèle John Legend, posé sur l'orgue chaud de "Take Me For A Little While" (1965) des anglais The Royal Jesters. Ce sample servant de base au morceau, il l'emmène vers des rivages plus rock, avec l'irruption d'un solo dantesque de Mike Dean sur lequel Kid Cudi appose son chant mal assuré, ajoutant à la tension (Kanye est connu pour préférer les prises imparfaites, Cudi -et Aphex Twin- lui en ont déjà voulu par le passé pour ça, cf également le bout de couplet de John Legend non fini, ou "30 Hours" sur Pablo). Sur ce morceau, ça ajoute à l'urgence palpable installée par un orgue insistant, une guitare monstrueuse et des percus pressantes. Le climax est atteint avec la partie de la jeune 070 Shake, nouvellement signée sur le label G.O.O.D Music de West, délivrant avec beaucoup de conviction un gimmick emo ultra efficace mais dénué de sens. Le morceau, dans son ensemble, avec son côté patchwork de soul, de hip-hop et de prog rock épique à la limite du hard rock, est ce qui se rapproche le plus de My Beautiful Dark Twisted Fantasy (2010), que d'aucuns décrivent comme le magnum opus du producteur. Et c'est en effet une incroyable réussite.
Le ton redescend avant la fin, toujours au son du chant de 070 Shake, pour un "Violent Crimes" mélancolique et touchant, dans lequel Kanye parle de ses difficultés avec sa paternité et de son côté protecteur avec ses filles, sur une musique proche de son "Only One", c'est à dire entre nappes de synthé froids et suites d'accords à la Stevie Wonder. Ce morceau ayant été co-composé par Kevin Parker, aidé du batteur de Pond, on comprend davantage les nappes planantes et psychédéliques structurant le morceau, qui finit en apothéose soul/rnb/gospel avec un choeur angélique dans lequel on reconnait Ty, ouvrant sur un message vocal de Nicki Minaj, une des inspirations du morceau, suggérant une punchline à Kanye le temps d'un court aperçu sur le making of du disque.
Cet album est un digne descendant de Pablo, avec un côté patchork cimenté autour d'un coeur gospel/rnb très présent, avec un dosage légèrement différent : moins de rap, plus de pop, davantage de sons froids, de nappes et d'ambiances minimalistes. C'est un disque très bien structuré, avec un focus assez clair et un thème unificateur intéressant sur la maladie mentale, avec une honnêteté déconcertante dans les textes. Musicalement, il est très riche, mais reste là encore concentré et ne s'éparpille pas, préférant le dénuement afin d'intensifier l'impact des explosions de maximalisme qui le ponctuent, créant un rythme naturel, vallonné, qui ajoute au plaisir de l'écoute. Il gagne en complexité et en intérêt à chaque réécoute, sa courte durée le rend donc d'autant plus facile et agréable à revisiter, et donc à appréhender. C'est donc une grosse réussite de plus pour Kanye, qui a pour l'instant réalisé une carrière musicalement sans fautes, même si on peut toujours discuter de ce qui est plus ou moins essentiel morceau par morceau. Les Wyoming Tapes sont pour le moment un réel succès artistique, rendez-vous bientôt pour la suite en duo avec Kid Cudi !
A écouter sur Spotify ou Deezer
Cet album est un digne descendant de Pablo, avec un côté patchork cimenté autour d'un coeur gospel/rnb très présent, avec un dosage légèrement différent : moins de rap, plus de pop, davantage de sons froids, de nappes et d'ambiances minimalistes. C'est un disque très bien structuré, avec un focus assez clair et un thème unificateur intéressant sur la maladie mentale, avec une honnêteté déconcertante dans les textes. Musicalement, il est très riche, mais reste là encore concentré et ne s'éparpille pas, préférant le dénuement afin d'intensifier l'impact des explosions de maximalisme qui le ponctuent, créant un rythme naturel, vallonné, qui ajoute au plaisir de l'écoute. Il gagne en complexité et en intérêt à chaque réécoute, sa courte durée le rend donc d'autant plus facile et agréable à revisiter, et donc à appréhender. C'est donc une grosse réussite de plus pour Kanye, qui a pour l'instant réalisé une carrière musicalement sans fautes, même si on peut toujours discuter de ce qui est plus ou moins essentiel morceau par morceau. Les Wyoming Tapes sont pour le moment un réel succès artistique, rendez-vous bientôt pour la suite en duo avec Kid Cudi !
A écouter sur Spotify ou Deezer
Alex
Franchement il gagne à la réécoute ! Pour moi c'était tous les soirs, dans le noir avec des écouteurs, avant de me coucher et c'est parfait pour l'album qui est assez introspectif
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