Les aventures musicales de deux potes

Les aventures musicales de deux potes

mercredi 20 juin 2018

Kids See Ghosts - Kids See Ghosts (2018)


  3e album issu de ce qu'on va appeler les Wyoming Tapes de Kanye West, après l'album DAYTONA de Pusha-T et son album solo ye, dont la lecture des chroniques (en lien) est recommandée pour plus de contextualisation, ce Kids See Ghosts est un album collaboratif avec un autre de ses fidèles : Kid Cudi, et cette fois-ci elle est si étroite que le duo s'est choisi un nom de groupe. Entouré de collaborateurs incontournables pour mettre en musique leurs idées (Mike Dean, Noah Goldstein...), les deux hommes ont fait confiance à l'artiste Takashi Murakami (déjà présent sur Graduation de Kanye) pour le visuel.

  Côté musique, c'est un grand délire Pop en technicolor, floutant les limites entre le rap, l'électronique, la pop, le rock, le rnb et la soul avec une folie douce et psychédélique immédiatement satisfaisante. Le 1er morceau, "Feel The Love", en est un parfait exemple. Sur un synthé de jeux vidéos très haché, Cudi chante/scande le titre du morceau avant que Pusha-T ne livre un couplet mémorable, apportant un agréable sentiment de continuité à cette série d'album, puis Kanye se pointe et balance des onomatopées martiales tandis que le beat s'emballe puis ne redevienne aérien avec une guitare rock très classe d'Evan Mast du groupe Ratatat (l'occasion de rappeler que le Kid a déjà collaboré avec le groupe d'électro-rock, cf "Alive", "Loud Things" ou le tube "Pursuit Of Happiness" avec MGMT en prime). 

  Soniquement, ce morceau co-produit par Justin Vernon de Bon Iver retrouve l'électro joueuse de Graduation, la classe froide de 808s & Heartbreaks et la luxuriance instrumentale de My Beautiful Dark Twisted Fantasy, et se pose comme une très agréable madeleine de Proust de la prod late 2000's de West, avec le petit côté jouissivement régressif des onomatopées de Kanye (et puis cette façon d'interpeller Cudi pour lui faire balancer le refrain...).

Kids See Ghosts & Takashi Murakami

    On retrouve la collaboration d'Evan Mast sur "Fire", sur laquelle est aussi crédité André 3000 d'Outkast. Ce morceau sample l'incroyable morceau "They're Coming To Take Me Away, Ha Haaa!" (1966), incroyable morceau du groupe Napoleon XIV, parlant d'un type qui se fait embarquer par les services psychiatriques. Ce sample sert donc le thème principal des Wyoming Tapes, déjà largement abordé sur ye, la maladie mentale et la dépression. Ça fait des années que Kanye rappe des lignes sur le suicide, et Cudi n'a jamais caché être également passé par des phases de dépression. Ces thèmes étant moins tabou dans le rap que par le passé, en partie grâce aux deux hommes, ils s'en saisissent à nouveau ici. 

  Musicalement, le morceau est un rock poussiéreux au parfum de negro spiritual, avec un Kanye au rap acéré mais triste, presque bluesy, de jolies parties de vents, et Cudi qui impose tranquillement sa présence en fredonnant la mélodie du morceau avant d'offrir un couplet chanté-parlée de haute volée et un refrain mémorable. Le titre se ferme sur une guitare rock lo-fi, et ouvre de façon inattendue sur "4th Dimension", démarrant par un sample de "What Will Santa Claud Say (When He Finds Out Everybody Swingin') ?" (1936) de Louis Prima, que Kanye laisse un peu tourner avant de le triturer à sa sauce, façon Kanye : en superposant les couches de voix et en y apposant une rythmique diabolique. Sont également échantillonnés ici : "Make Em Say Uhh!" (1996) de Master P ainsi qu'un bout de "Someday" (2012) de Shirley Ann Lee en conclusion, ce morceau ayant déjà été samplé sur ye (là encore, bel effort de cohérence et bel aperçu du fonctionnement de ces sessions à Jackson Hole). La track contient un couplet assuré et acéré d'un Kanye en forme, qui cède la place -après une série de rires flippants allant bien avec le thème sci-fi / fantastique de l'album et du titre- à un Cudi impérial sur son propre couplet. Le morceau est étonnant mais très réussi.   


  Autre connexion avec l'album précédent, "Freeee (Ghost Town Pt.2)" est la suite directe du morceau du même nom, déjà avec Cudi, présent sur l'album solo de Kanye. Il est basé autour d'un sample incroyable et vraiment très recherché de "Stark" (2008), de Mr Chop, et utilise un discours du penseur Marcus Garvey. Au milieu de cette énergie animale, garage rock, Kanye et Cudi sonnent sauvages, et Ty Dolla $ign dynamise le morceau avant d'offrir un interlude soul angélique. Un morceau radical, d'anthologie, à la tonalité rock impeccable, qui prépare le terrain pour un "Reborn" plus pop, mélancolique et très proche de ce que faisait Kid Cudi dans les années 2000. Dernière collaboration de Mast au compteur, ce long titre sonne comme la suite mature et dépressive à "Pursuit Of Happiness", entre un Kid mélancolique et un Kanye impeccable sur son couplet, le morceau est une réussite, particulièrement lorsque la prod s'emballe et part en trip électro-psychédélico-trap à la fin. 

  Le côté psyché est suivi sur "Kids See Ghosts", presque Flaming Lips, avec un invité de marque : Mos Def aka Yasiin Bey. Co-écrit par Justin Vernon, ce morceau hypnotisant, nocturne et mystérieux illustre à merveille le thème enfantin et fantastique du disque. Une merveille, et là encore Kanye est en forme au micro et Cudi brille par la beauté de son chant. 

  L'album se conclut avec une autre guitare rock sur "Cudi Montage", celle de Kurt Cobain (le thème visé là est plutôt celui de la dépression, liée à la célébrité), sur "Burn The Rain" (2015) issue du documentaire Montage Of Heck. Là encore, les deux hommes font des merveilles, et la prod claque, notamment les parties où les voix semblent trafiquées par Bon Iver et/ou Francis & The Lights (mais impossible de les trouver dans les crédits en ma possession pour le moment). ces voix irréelles, doublées par des nappes de synthé pures, annoncent tranquillement la fin de l'album et le clôturent en une apothéose assez grandiose et pourtant assez humble.

  Le disque est une vraie réussite. Le duo possède une vraie alchimie, et ça se sent. Ensemble, ils suivent leurs instincts les plus pop et ça paie : tout est beau, tout est accrocheur, tout émerveille. Cette oeuvre renvoie vers les merveilles de l'enfance, ses mystères aussi, mais même si la façon dont elle sonne nous fait dire que les deux artistes auraient pu la sortir en 2009, il y a une maturité, une patine liée à l'âge présente ici qui nous ferait mentir. Ce disque est un bel album de pop curieuse, joueuse, qui brille habilement les frontières entre les genres et relie rap et rock avec une élégance rare tant cet exercice de fusion est délicat et peu réussi. Superbe !

A écouter sur Spotify ou Deezer

Alex
      


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