Depuis le très bon Ego Death en 2015, The Internet a perdu son claviériste Jameel Bruner, mais chaque membre restant en a profité pour sortir au moins un album solo en 2017 tout en restant fidèle à son groupe. La chanteuse Syd a sorti l'excellent Fin, le génial claviériste Matt Martians l'excellent The Drum Chord Theory, tout comme le batteur Christopher Smith qui a sorti le très cool Loud sous le nom C&T, et le bassiste Patrick Paige II a sorti plus récemment Letters Of Irrelevance (2018). Mais si la chanteuse Syd est devenue une star grâce à son album et à quelques collaborations bien senties, c'est Steve Lacy, le guitariste et multi-instrumentiste (batterie, claviers, basse) qui a pris une place énorme dans le paysage Pop, avec son EP solo Steve Lacy's Demo d'abord, puis en collaborant avec tout ce que la scène musicale à l'intersection de la pop/rock, du rap/rnb, et de la soul/funk a fait de plus intéressant (Ravyn Lenae, Tyler The Creator, Kali Uchis, Kendrick Lamar, Goldlink...). Il s'impose comme un des producteurs/musiciens les plus talentueux et les plus demandés de son époque.
Après toutes ces aventures leur ayant permis d'étendre leur palette musicale tout en gardant une certaine cohésion (ils ont tous joué sur les disques de leurs collègues), le groupe s'est donc réuni pour donner une suite à leur discographie, avec en tête une organisation un peu moins fixe, chacun étant libre d'apporter des idées à la composition et à la production, le chant étant également davantage assumé à tour de rôle. Le groupe sonne comme une entité unique et riche, sonnant à la fois ultra moderne (tous ses membres étant demandés par les plus grands) et intemporel, sachant mêler les styles, les influences et les instruments pour en faire leur sauce.
The Internet - Roll (Burbank Funk) (Clip, 2018)
L'introductive "Come Together" démontre tout leur talent, entre funk humide, rnb mélodique et sensuel, et néo-jazz au psychédélisme tranquille, assez proche d'artistes comme Thundercat, dans la droite ligne de génies nu-soul comme D'Angelo et Erykah Badu. Les tempos et les ambiances se succèdent sans se ressembler, et les morceaux se font funky et rythmés comme sur "Look What You Started" ou le génial single "Roll (Burbank Funk)" au léger parfum house 90's. Parfois, ils prennent une teinte plus sensuelle voire érotique comme la très douce ballade "Stay The Night" et sa guitare mélancolique, ou "Come Over" dominée vocalement par Syd et sublimée par des petites piques de guitare portant la signature de Steve Lacy. D'autres morceaux, comme "Mood", It Gets Better (With Time)" ou "La Di Da", sont un peu la synthèse heureuse de tout ce que je viens d'évoquer, ce qui illustre la cohérence stylistique parfaite de cet album. N'oublions par de mentionner les lignes de basse, souvent monstrueusement réussies, qui aident grandement à structurer le disque aux côtés de la science du beat du batteur et des programmateurs.
The Internet - Come Over (Clip, 2018)
Chaque morceau possède un univers sonore unique, un groove et une mélodie immédiatement identifiables. La caisse claire surdimensionnée de "Bravo", le beatbox post-Timbaland de "Next Time / Humble Pie" qui a la bonne idée de changer de beat en plein milieu pour virer soul futuriste façon Janelle Monaé. Le classicisme côtoie l'audace, comme lorsque le beat entre Motown et J Dilla de "Wanna Be", par ailleurs écrin magnifique pour les orfèvreries guitaristiques de Lacy et le chant divin de Syd, donne suite au groove post-Stevie Wonder de "Beat Goes On" qui finit quelque part entre du jazz et de la jungle rythmiquement. De même, les éléments qui composent "Hold On", pris séparément, sont somme tout assez classiques, mais leur agencement, haché mais fluide, jouant avec la stéréo avec malice, charme autant qu'il désarçonne et donne un côté alien, futuriste au morceau. Dans chacune de ces chansons, il y a le talent d'interprétation des instrumentistes et chanteurs.euses mais il y a surtout une myriade d'idées, de la composition à la production en passant par les arrangements. Le genre de bonnes idées qui font la différence, et qui sont la marque des grands albums pop.
The Internet - La Di Da (Clip, 2018)
Je recommande donc plus que chaudement l'écoute de ce petit chef-d'oeuvre estival. Chacun des musiciens se démarque nettement, apporte sa pierre à l'ensemble de façon audible mais toujours au service du collectif, donnant un résultat cohérent et fluide (ce "Hive Mind" donnant son nom au disque). Sachant se mettre en retrait, ils donnent également un côté aéré à ces morceaux qui gardent une subtilité et une grâce rare. A écouter absolument !
Alex
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