Il aura fallu du temps, 3 albums et quelques mixtapes, pour que la presse généraliste commence à prendre Travis Scott réellement au sérieux. Sa signature chez Kanye West, duquel son esthétique découle largement (cf Yeezus (2013)), ainsi que sa collaboration étroite avec Mike Dean, génie de l'ombre qui est pour beaucoup dans le succès artistique des albums de West, tout ça pointait vers un poster boy poussé par une solide équipe d'ingés. En plus, ses textes sont assez banals, et sa voix est passée par de nombreux filtres. Il était donc facile d'écrire quelque chose dans le genre. Pourtant, dès Rodeo (2015), voire même avant, quelque chose se dégageait : derrière les morceaux à tiroirs hyper ambitieux, les mélodies accrocheuses, la voix robotique et caverneuse, il y avait un auteur. Impression vite accentuée par le fait de savoir que Scott était producteur dans l'équipe de Kanye et qu'il a un vrai talent de beatmaking, affinant son oreille musicale.
Travis Scott & Drake - SICKO MODE (Clip, 2018)
Ce que certains n'ont pas entendu derrière la flopée d'invités prestigieux sur chaque sortie successive, c'est qu'à la différence de beaucoup, Scott les utilise comme des instruments à part entière plutôt que des cache-misère, et qu'ils servent souvent à souligner son esthétique plutôt qu'à la diluer pour du cash. En cela, il suit la méthode de West à la lettre, réunissant une armée de gens hyper talentueux pour faire émerger des idées et fructifier une vision très personnelle avec une direction artistique indéniable.
Ce troisième album, Astroworld, énorme succès commercial et critique, est un hommage à un ancien parc d'attraction texan, qui a fermé lorsque Scott était petit, et à travers ça un hommage au rap du Sud et en particulier de Houston, qui l'a bercé et formé. Le meilleur morceau du disque, "RIP Screw" rend d'ailleurs un hommage direct à DJ Screw, pionnier d'un hip-hop psychédélique, avec une distance très respectueuse et vis-à-vis de son modèle qu'il honore par des audaces de production bluffantes. Un morceau d'anthologie à écouter absolument au casque.
Travis Scott - Stop Trying To Be God (Clip, 2018)
Les tubes absolus se succèdent : "Stargazing", "Sicko Mode" (montagne russe composée de trois beats collés ensemble et propulsés par Drake et Scott). Les collaborations sont fructueuses : exceptionnel "Carousel" avec Frank Ocean, magnifique "Stop Trying To Be God", désarmant de beauté grâce en partie aux choeurs de Kid Cudi, à l'harmonica de Stevie Wonder et au chant de James Blake. Avec ce morceau, il arrive à un magnifique crossover pop/rap, lui qui a une esthétique assez rock - ce qui se traduit par des concerts d'anthologie. La merveilleuse "Skeletons" composé avec Kevin Parker de Tame Impala, les guitares de "Wake Up" et "Coffe Bean" vont également dans ce sens.
A l'image de ces derniers titres, une ambiance psychédélique se dégage régulièrement de la musique de Scott, sur "Astrothunder", co-produite par Thundercat, Frank Dukes, John Mayer et Vegyn dans un style que ne renierait par Pi'erre Bourne. Mais aussi sur "Butterfly Effect" et "Yosemite" avec Gunna, qui emploie une guitare sèche et de petits synthés qu'on jurerait sortis d'un vieux Zelda.
Travis Scott - YOSEMITE (Clip, 2018)
Même les bangers trap ("No Bystanders", "NC-17", "Can't Say", "Who? What!", "Houstonfornication") sont gavés de bonnes idées de production. Et quelques autres morceaux sortent du lot, comme la dramatique "5% Tint", avec son piano sombre et son ambiance dub et gothique.
Pour faire court, cet album est une petite bombe, enchaînant les tubes et les audaces créatives de manière effrénée, malgré un dernier tiers un peu en dessous. C'est un des disques les plus épatants de l'année, et derrière son esthétique marrante (cf les clips qui ne se prennent pas au sérieux) de fête foraine, il offre son lot de sensations fortes musicalement parlant. Ce kaléidoscope d'influences propulsées par une volonté de faire bien et neuf donne, à l'aide d'une équipe de collaborateurs de qualité, un grand album qui ne se contente pas de saisir le son de l'époque mais qui l'impose. On attend du très, très grand dans la suite des aventures discographiques du jeune Travis Scott et de Mike Dean.
Travis Scott - BUTTERFLY EFFECT (Clip, 2018)
Mes morceaux préférés : Stargazing, Astrothunder, 5%Tint, Sicko Mode, RIP Screw, Stop Trying To Be God, Yosemite, Carousel, Skeletons
Alex
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