Les aventures musicales de deux potes

Les aventures musicales de deux potes

mercredi 11 décembre 2019

Charli XCX - Charli (2019)


  Charli XCX est entrée dans le paysage musical au début de la décennie avec d'implacables tubes d'électro-pop à l'irrésistible énergie adolescente et aux influences variées (pop mainstream 80's, nu-rave, rock des années 90-2000). Elle a probablement trouvé sa voie en 2016 avec l'EP Vroom Vroom, sur lequel la collaboration avec l'esthétique issue des artistes du label/collectif PC Music (AG Cook, SOPHIE...) a fait des étincelles. Cet exploit initial a été réitéré sur les deux excellentes mixtapes N1 Angel et Pop2, et perfectionné sur Charli, sorti cette année. Ici, c'est AG Cook qu'on retrouve sur la plupart des prods, avec quelques collaborations avec -entre autres- le duo Stargate et Dylan Brady de 100gecs, le groupe qui est probablement le plus proche de Charli en termes de son et d'impact culturel cette année.

  Dure à définir, l'électro-pop qui forme la base musicale de ce disque, parfois appelée hyperpop (terme que je trouve sympa) est un mélange de gros synthés issus de la pop la plus commerciale qui existe, de beats énormes, de distorsions venus du dubstep et d'idées explorées par le hip-hop (cadences rap, autotune à gogo...). C'est un mélange entre distanciation ironique et hommage au premier degré (c'est déjà ce que Charli faisait dès 2013, ici poussé à l'extrême) à tout ce que la pop et l'électronique des années 1990 à maintenant ont pu produire de plus outrancièrement commercial (Madonna, l'eurodance, la pop de boys band / popstars des années 2000 comme Britney Spears, les excès de l'EDM et du dubstep du début des années 2010....). C'est un peu la même démarche que pour la vaporwave, le détournement des codes de la musique commerciale/mainstream, mais en sens inverse ; plutôt que de ralentir de la pop de supermarché pour en faire une musique nostalgique et brumeuse, ici on accélère le tempo, on pousse tous les réglages à fond et on crache des paillettes. Comme une version futuriste de la rétrowave/synthwave, avec moins de nostalgie et plus de recul conceptuel. Mais dans les deux cas, c'est le son du capitalisme qui s'effondre sur lui-même, dans une course au "toujours plus" ici audible de façon brute. Et c'est brillant sur tous les plans. 

Charli XCX & Troye Sivan - 1999 (Clip, 2019)

  L'album commence très fort dans cette direction avec "Next Level Charli", sur laquelle la voix surmodifiée de Charli chante/rappe à toute vitesse sur un riff de synthé énorme porté par un beat bien lourd. "Gone" avec Christine & The Queens, prend tout ce qui a fait l'efficacité de l'électrofunk 80's, du rnb des 30 dernières années et du hip-hop de DJ Mustard, pousse ces éléments à leur extrême et en fait un hymne total, transcendé par une outro géniale. Autre éééénorme tube, "1999" (avec Troye Sivan) et son texte nostalgique propulse musicalement eurodance, électro-pop 80's façon Pet Shop Boys et house à piano dans le futur (avec une petite réf à Britney au passage). Celui-là va vous rester en tête, promis. Le single le plus radiophonique est probablement "Blame It On Your Love", avec Lizzo, sorte de remixe d'un des meilleurs morceaux de Pop2 façon gros tube radio. Et là encore, ça marche, parce que le pré-refrain est beau comme du Niki & The Dove et que le gros drop à la Skrillex fait penser aux productions pop  les plus réussies de ce dernier (comme avec Ty Dolla Sign).

Charli XCX, Haim - Warm (2019)

  On a aussi quelques ballades mélancolico-tristes, comme "Cross You Out" avec Sky Ferreira, son synthé basse façon Kavinsky et sa grosse caisse de Phil Collins sous stéroïdes. "Thoughts" exagère le style vocal de Sia/Rihanna voire Céline Dion et gagne nos coeurs en passage par sa sincérité émotionnelle. Dans le même style vocal, sur une rétrowave dystopique, "2099" avec Troye Sivan, fait le job. 
  "Warm", avec Haim, est une belle chanson d'amour sous autotune. "White Mercedes" pourrait passer à la radio, avec ses couplets façon Julia Michaels et son refrain qui rappelle un hook de "Bad Romance" de Lady Gaga, et qui touche également par son mix parfait entre fragilité et force. Slow mélancolique, "I Don't Wanna Know" est un très beau morceau, et "Official" une des plus belles déclarations d'amour musicales que vous entendrez cette année, tant dans le texte que dans le tapis rnb/pop psychédélique.

Charli XCX - Official (2019)

  Parfois, on part dans l'expérimentation, comme sur "Click" avec Kim Petras et Tommy Cash, qui s'amuse à distordre la pop la plus putassière et à la pervertir avec une énergie trap, l'agrémentant au passage de clics de souris, de références à de morceaux de pop culture vides de sens (vous avez la réf au "watch me nae nae" ?). C'est, là encore, brillant et extrêmement fun. Un peu moins marquante, la pop euphorique de "February 2017" avec Clairo et Yaeji, est tout de même réussie. "Silver Cross" est en revanche un gros bout de pop délicieusement sali façon PC Music par des grosses dissonances à l'énergie punk. Mais mon gros coup de coeur dans ce style c'est l'incroyable "Shake It", basé sur un irrésistible mantra vocal vocoderisé, modifié et tordu dans tous les sens, servant de base à un morceau ultra déconstruit, alternant hip-hop dysopique à la El-P et gros beat post-MIA qu'on imagine bien joué dans le club le plus sale d'Amérique centrale. Le tout servant de base à un posse cut d'anthologie voyant se succéder Big Freedia, Cupcakke, Brooke Candy et Pabllo Vittar). Un sommet qui étire le temps et retourne la tête.

Charli XCX, Big Freedia, Cupcakke, Brooke Candy, Pabllo Vittar - Shake It (2019)

   En bref, vous l'aurez compris, j'ai peu de réserve sur les immenses qualité de ce disque. C'est ça, la pop qu'on devrait entendre à la radio : immensément accrocheuse, exploratrice voire futuriste, fun, intelligente, émouvante et salace. Charli XCX clôt en beauté cette décennie qui l'aura vu prendre une envergure que personne n'aurait pu anticiper, et récompense ses paris artistiques osés par une consécration publique et critique amplement méritée.

Mes morceaux préférés : les 13 premiers

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Alex




2 commentaires:

  1. J'avais aimé son hit Break the rules, l'album qui allait avec était pas mal fichu, mais quand même très convenu. Je retrouve le même soucis avec celui ci (et la plupart de la production actuelle), cette difficulté à s'éloigner des formules mises au point par d'autres (et déjà usées) qu'elle se contente d'additionner, de mettre dans le désordre, sans jamais les briser.
    Elle a du potentiel, mais en l'état elle n'existe pas vraiment.
    Bon, je ne suis clairement pas sa cible.

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    1. C'est intéressant comme idée. Mais je ne trouve pas justement elle rajoute un truc, elle déconstruit / reconstruit quand même (et de toutes façons est-ce que dans une certaine mesure toute musique populaire n'est pas un assemblage de trucs chopés ailleurs ?)
      Tu penses la même chose de "Shake It" par exemple ?
      J'aimais pas trop "Break The Rules" par contre personnellement.
      Merci pour ton commentaire, je comprends tout à fait et respecte !

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