L'album que nous vous présentons est un coup de folie et de génie des proggeux grecs d'Aphrodite's Child, j'ai nommé l'épique 666.
Paru un an après leur séparation, 666 est un album de fin. Fin du groupe, et fin du monde aussi puisqu'il est l'adaptation musicale plutôt libre de l'Apocalypse de St Jean, d'où le titre évoquant le "nombre de la Bête", ce que le groupe nuance dans une très intéressante distanciation vis à vis du matériau biblique d'origine en écrivant cette phrase sujette à interprétation : "It is a man's number". Le côté grandiose et pompeux est à prendre avec des pincettes, dans un humour très Monty Python, le groupe écrit dans les notes de pochette "ce disque a été enregistré sous l'influence du sahlep"... qui malgré son nom mystérieux se révèle être une boisson traditionnelle même pas alcoolisée composée d'une farine de tubercules, de lait et de cannelle. Pour revenir sur la fin du groupe, même si les tensions durant l'enregistrement entre Vangelis Papathanassiou (orgue, piano, flûte, percussions, choeurs), Demis Roussos (basse, chant), Lucas Sideras (batterie, chant) et Silver Koulouris (guitares, percussions) ne faisaient qu'empirer, cela ne les empêcha pas de collaborer aux projets solo les uns des autres dans le futur, mais c'est une autre histoire.
Après une introduction efficace, "The System", l'album démarre sur les chapeaux de roue avec la géniale "Babylon" : une guitare bondissante à la Who, propulsée par une rythmique conquérante, notamment grâce à la basse monstrueuse de Demis Rousssos, et un chant très anglais également, pour ce simulacre de live plein d'énergie. La narration de "Loud, Loud, Loud" (les choeurs sonnent parfois plutôt comme un "love, love, love love" hippie), et son piano simple viennent apaiser la tension. Avant le magistral "The Four Horseman", démarrant par un tour de chant magistral et théâtral de Demis Roussos, presque Peter Gabriel période Genesis, introduisant à merveille un refrain ultra accrocheur et mémorable. C'est un vrai chef-d'oeuvre ce morceau.
Puis Vangelis nous donne un aperçu des influences diverses de sa Grèce natale sur l'instrumental médiéval, rock, oriental et celtique (oui, oui) "The Lamb", qui manie la dissonance avec brio, ainsi que sur "The Seventh Seal" qui sonne comme une comptine british, une nursery rhyme revue façon hippie grec. Avec ses nappes aériennes et ses soli évocateurs, concis et tranchants, "Aegian Sea" évoque le rock teinté d'ambient que Fripp et Eno concevront, ensemble, en solo ou avec Bowie, dans la même décennie, et préfigure en un sens le post-rock, avec une teinte originale : plutôt que dans la kosmische musik allemande, c'est dans la musique classique, la musique orientale et chez Hendrix qu'il faudra chercher des influences. D'ailleurs, le morceau est suivi de deux morceaux de quasi ambient très expérimentaux mais bien dans l'esprit de l'époque : "Seven Bowls" et "The Wakening Beast", qui débouchent sur la tension du très calme en apparence mais angoissant "Lament", morceau orientalisant illustrant bien l'effroi décrit dans le texte et le sous-texte apocalyptique du disque.
Et ce dernier morceau introduit bien le jazz progressif teinté de glam, de blues et de musique orientale de "The Marching Beast", de façon étonnante pas si effrayante que ça, tout comme le duo "The Battle Of The Locusts" - "Do It", humoristique et impeccable dans son rock métallique glam, groovy, hard et californien à mort dans son outrance. Les folies jazz-prog à la Zappa continuent ("Tribulations"), et on pensera à une autre facette du Frank avec "The Beast", très bon morceau de pop-rock bluesy rappelant les pastiches des Mothers Of Inventions. Oh, et Johnny Rotten a peut être chouré sa diction punk sur "Seven Trumpets" (réécoutez ce morceau puis le "Religion" de PiL, vous verrez), faisant d'un groupe prog l'ancêtre involontaire des Sex Pistols (même si on connaît la complexité du personnage qui goûte des groupes comme Van der Graaf Generator, mais là aussi c'est une autre histoire).
Le jazz fou d'"Altamont", la transe orientale de "The Wedding Of The Lamb" et l'électro violente de "The Capture Of The Beast" sont remarquables. Mais c'est "Infinity" qui marque les esprits, avec la transe vocale orgasmique d'Irene Papas soulignée par des percussions martiales, et qui vaudra la censure au groupe dans de nombreux pays. Pour la fin, le boogie-glam de "Hic & Nunc" chanté par Demis Roussos est aussi accessible que le morceau de bravoure de plus de 19min "All The Seats Were Occupied" est exigeant avec son auditeur : entre ses déflagrations jazz, ses salves rythmiques, son goût pour le bruit et les orgues grandiloquents, difficile pour un non averti de s'y retrouver, même si cela ne pose pas de problèmes pour qui est habitué au prog et/ou au free jazz. Pour ceux qui auront tenu tout le long, ils auront le plaisir d'entendre le blues-rock glam de "The Break", chantée par Sideras d'une voix qui apaise l'ambiance générale.
Bref, le disque n'est pas facile même si il contient des morceaux vraiment accessibles voire tubesques. Il est long, et parfois ardu pour le novice, mais il vaut vraiment le détour, est un disque majeur du prog et du rock, débordant de créativité, grandiose et incontournable.
A écouter ici
Paru un an après leur séparation, 666 est un album de fin. Fin du groupe, et fin du monde aussi puisqu'il est l'adaptation musicale plutôt libre de l'Apocalypse de St Jean, d'où le titre évoquant le "nombre de la Bête", ce que le groupe nuance dans une très intéressante distanciation vis à vis du matériau biblique d'origine en écrivant cette phrase sujette à interprétation : "It is a man's number". Le côté grandiose et pompeux est à prendre avec des pincettes, dans un humour très Monty Python, le groupe écrit dans les notes de pochette "ce disque a été enregistré sous l'influence du sahlep"... qui malgré son nom mystérieux se révèle être une boisson traditionnelle même pas alcoolisée composée d'une farine de tubercules, de lait et de cannelle. Pour revenir sur la fin du groupe, même si les tensions durant l'enregistrement entre Vangelis Papathanassiou (orgue, piano, flûte, percussions, choeurs), Demis Roussos (basse, chant), Lucas Sideras (batterie, chant) et Silver Koulouris (guitares, percussions) ne faisaient qu'empirer, cela ne les empêcha pas de collaborer aux projets solo les uns des autres dans le futur, mais c'est une autre histoire.
Après une introduction efficace, "The System", l'album démarre sur les chapeaux de roue avec la géniale "Babylon" : une guitare bondissante à la Who, propulsée par une rythmique conquérante, notamment grâce à la basse monstrueuse de Demis Rousssos, et un chant très anglais également, pour ce simulacre de live plein d'énergie. La narration de "Loud, Loud, Loud" (les choeurs sonnent parfois plutôt comme un "love, love, love love" hippie), et son piano simple viennent apaiser la tension. Avant le magistral "The Four Horseman", démarrant par un tour de chant magistral et théâtral de Demis Roussos, presque Peter Gabriel période Genesis, introduisant à merveille un refrain ultra accrocheur et mémorable. C'est un vrai chef-d'oeuvre ce morceau.
Puis Vangelis nous donne un aperçu des influences diverses de sa Grèce natale sur l'instrumental médiéval, rock, oriental et celtique (oui, oui) "The Lamb", qui manie la dissonance avec brio, ainsi que sur "The Seventh Seal" qui sonne comme une comptine british, une nursery rhyme revue façon hippie grec. Avec ses nappes aériennes et ses soli évocateurs, concis et tranchants, "Aegian Sea" évoque le rock teinté d'ambient que Fripp et Eno concevront, ensemble, en solo ou avec Bowie, dans la même décennie, et préfigure en un sens le post-rock, avec une teinte originale : plutôt que dans la kosmische musik allemande, c'est dans la musique classique, la musique orientale et chez Hendrix qu'il faudra chercher des influences. D'ailleurs, le morceau est suivi de deux morceaux de quasi ambient très expérimentaux mais bien dans l'esprit de l'époque : "Seven Bowls" et "The Wakening Beast", qui débouchent sur la tension du très calme en apparence mais angoissant "Lament", morceau orientalisant illustrant bien l'effroi décrit dans le texte et le sous-texte apocalyptique du disque.
Et ce dernier morceau introduit bien le jazz progressif teinté de glam, de blues et de musique orientale de "The Marching Beast", de façon étonnante pas si effrayante que ça, tout comme le duo "The Battle Of The Locusts" - "Do It", humoristique et impeccable dans son rock métallique glam, groovy, hard et californien à mort dans son outrance. Les folies jazz-prog à la Zappa continuent ("Tribulations"), et on pensera à une autre facette du Frank avec "The Beast", très bon morceau de pop-rock bluesy rappelant les pastiches des Mothers Of Inventions. Oh, et Johnny Rotten a peut être chouré sa diction punk sur "Seven Trumpets" (réécoutez ce morceau puis le "Religion" de PiL, vous verrez), faisant d'un groupe prog l'ancêtre involontaire des Sex Pistols (même si on connaît la complexité du personnage qui goûte des groupes comme Van der Graaf Generator, mais là aussi c'est une autre histoire).
Le jazz fou d'"Altamont", la transe orientale de "The Wedding Of The Lamb" et l'électro violente de "The Capture Of The Beast" sont remarquables. Mais c'est "Infinity" qui marque les esprits, avec la transe vocale orgasmique d'Irene Papas soulignée par des percussions martiales, et qui vaudra la censure au groupe dans de nombreux pays. Pour la fin, le boogie-glam de "Hic & Nunc" chanté par Demis Roussos est aussi accessible que le morceau de bravoure de plus de 19min "All The Seats Were Occupied" est exigeant avec son auditeur : entre ses déflagrations jazz, ses salves rythmiques, son goût pour le bruit et les orgues grandiloquents, difficile pour un non averti de s'y retrouver, même si cela ne pose pas de problèmes pour qui est habitué au prog et/ou au free jazz. Pour ceux qui auront tenu tout le long, ils auront le plaisir d'entendre le blues-rock glam de "The Break", chantée par Sideras d'une voix qui apaise l'ambiance générale.
Bref, le disque n'est pas facile même si il contient des morceaux vraiment accessibles voire tubesques. Il est long, et parfois ardu pour le novice, mais il vaut vraiment le détour, est un disque majeur du prog et du rock, débordant de créativité, grandiose et incontournable.
A écouter ici
Alex
Je l'ai usé ce disque... il fait partie de l'étagère souvenirs...
RépondreSupprimeret que de bons souvenirs, d'ailleurs autour de ce monument.
THX
Disque phénoménal.
RépondreSupprimerC'est un MONUMENT HISTORIQUE !
Parfait pour l'atmosphère de fin des temps que nous vivons ces jours-ci !
RépondreSupprimerJ'ai copié ton texte, très utiles pour accompagner, je l'ai donc suivi à la "lettre musicale" Il me permet une bonne écoute. J'ai auparavant tenté sans accrocher mais avec le sentiment qu'il y avait là une oeuvre qui m'échappait. Il fallait une incitation, c'est fait. J'y ai trouvé déjà quelques bons moments. Pas encore tout compris, pas encore saisi la cohérence. Mais je trouverai bien un jour l'envie et le moyen d'y revenir
RépondreSupprimerÇa me fait plaisir que l'article ait servi, merci pour ton commentaire :)
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