Les aventures musicales de deux potes

Les aventures musicales de deux potes
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dimanche 15 mars 2020

Aphrodite's Child - 666 (1972)


  L'album que nous vous présentons est un coup de folie et de génie des proggeux grecs d'Aphrodite's Child, j'ai nommé l'épique 666.

  Paru un an après leur séparation, 666 est un album de fin. Fin du groupe, et fin du monde aussi puisqu'il est l'adaptation musicale plutôt libre de l'Apocalypse de St Jean, d'où le titre évoquant le "nombre de la Bête", ce que le groupe nuance dans une très intéressante distanciation vis à vis du matériau biblique d'origine en écrivant cette phrase sujette à interprétation : "It is a man's number". Le côté grandiose et pompeux est à prendre avec des pincettes, dans un humour très Monty Python, le groupe écrit dans les notes de pochette "ce disque a été enregistré sous l'influence du sahlep"... qui malgré son nom mystérieux se révèle être une boisson traditionnelle même pas alcoolisée composée d'une farine de tubercules, de lait et de cannelle. Pour revenir sur la fin du groupe, même si les tensions durant l'enregistrement entre Vangelis Papathanassiou (orgue, piano, flûte, percussions, choeurs), Demis Roussos (basse, chant), Lucas Sideras (batterie, chant) et Silver Koulouris (guitares, percussions) ne faisaient qu'empirer, cela ne les empêcha pas de collaborer aux projets solo les uns des autres dans le futur, mais c'est une autre histoire. 

  Après une introduction efficace, "The System", l'album démarre sur les chapeaux de roue avec la géniale "Babylon" : une guitare bondissante à la Who, propulsée par une rythmique conquérante, notamment grâce à la basse monstrueuse de Demis Rousssos, et un chant très anglais également, pour ce simulacre de live plein d'énergie. La narration de "Loud, Loud, Loud" (les choeurs sonnent parfois plutôt comme un "love, love, love love" hippie), et son piano simple viennent apaiser la tension. Avant le magistral "The Four Horseman", démarrant par un tour de chant magistral et théâtral de Demis Roussos, presque Peter Gabriel période Genesis, introduisant à merveille un refrain ultra accrocheur et mémorable. C'est un vrai chef-d'oeuvre ce morceau.

  Puis Vangelis nous donne un aperçu des influences diverses de sa Grèce natale sur l'instrumental médiéval, rock, oriental et celtique (oui, oui) "The Lamb", qui manie la dissonance avec brio, ainsi que sur "The Seventh Seal" qui sonne comme une comptine british, une nursery rhyme revue façon hippie grec. Avec ses nappes aériennes et ses soli évocateurs, concis et tranchants, "Aegian Sea" évoque le rock teinté d'ambient que Fripp et Eno concevront, ensemble, en solo ou avec Bowie, dans la même décennie, et préfigure en un sens le post-rock, avec une teinte originale : plutôt que dans la kosmische musik allemande, c'est dans la musique classique, la musique orientale et chez Hendrix qu'il faudra chercher des influences. D'ailleurs, le morceau est suivi de deux morceaux de quasi ambient très expérimentaux mais bien dans l'esprit de l'époque : "Seven Bowls" et "The Wakening Beast", qui débouchent sur la tension du très calme en apparence mais angoissant "Lament", morceau orientalisant illustrant bien l'effroi décrit dans le texte et le sous-texte apocalyptique du disque.

  Et ce dernier morceau introduit bien le jazz progressif teinté de glam, de blues et de musique orientale de "The Marching Beast", de façon étonnante pas si effrayante que ça, tout comme le duo "The Battle Of The Locusts" - "Do It", humoristique et impeccable dans son rock métallique glam, groovy, hard et californien à mort dans son outrance. Les folies jazz-prog à la Zappa continuent ("Tribulations"), et on pensera à une autre facette du Frank avec "The Beast", très bon morceau de pop-rock bluesy rappelant les pastiches des Mothers Of Inventions. Oh, et Johnny Rotten a peut être chouré sa diction punk sur "Seven Trumpets" (réécoutez ce morceau puis le "Religion" de PiL, vous verrez), faisant d'un groupe prog l'ancêtre involontaire des Sex Pistols (même si on connaît la complexité du personnage qui goûte des groupes comme Van der Graaf Generator, mais là aussi c'est une autre histoire).

  Le jazz fou d'"Altamont", la transe orientale de "The Wedding Of The Lamb" et l'électro violente de "The Capture Of The Beast" sont remarquables. Mais c'est "Infinity" qui marque les esprits, avec la transe vocale orgasmique d'Irene Papas soulignée par des percussions martiales, et qui vaudra la censure au groupe dans de nombreux pays. Pour la fin, le boogie-glam de "Hic & Nunc" chanté par Demis Roussos est aussi accessible que le morceau de bravoure de plus de 19min "All The Seats Were Occupied" est exigeant avec son auditeur : entre ses déflagrations jazz, ses salves rythmiques, son goût pour le bruit et les orgues grandiloquents, difficile pour un non averti de s'y retrouver, même si cela ne pose pas de problèmes pour qui est habitué au prog et/ou au free jazz. Pour ceux qui auront tenu tout le long, ils auront le plaisir d'entendre le blues-rock glam de "The Break", chantée par Sideras d'une voix qui apaise l'ambiance générale. 

  Bref, le disque n'est pas facile même si il contient des morceaux vraiment accessibles voire tubesques. Il est long, et parfois ardu pour le novice, mais il vaut vraiment le détour, est un disque majeur du prog et du rock, débordant de créativité, grandiose et incontournable. 
A écouter ici


Alex


  

jeudi 22 février 2018

Montero - Performer (2018)


  Dans l'ombre de Mac DeMarco, Montero nous avait déjà offert de superbes chansons pop, mais le graphiste de formation vient de monter d'un cran dans mon petit panthéon personnel avec ce magnifique album nommé Performer et sorti cette année. 

  On a affaire à de la pop de haut vol, avec un feeling "classique" presque beatlesien pervertit par des effets psyché et une voix haut perchée comme chez Mercury Rev et des suites d'accords inhabituelles à la Mac DeMarco, comme sur "Montero Airlines". Sur "Aloha", ce sont des sons de synthé et des accords à la Sébastien Tellier qui, posés sur un beat énorme à la Phil Collins 80's, appuient une mélodie vocale tantôt martiale pendant les couplets et délicate pendant les refrains (où elle peut rappeler Empire Of The Sun). Tandis que "Pilot" se la joue néo-Motown et que "Caught Up In My Own World" évoque le meilleur de la sunshine pop 60's revue au travers un prisme soul/funk et trempée dans le psychédélisme. Ce côté post-MGMT est également très présent sur l'électro-rock de "Performer", qui flirte avec le too much. D'ailleurs, parfois, la prod pourra sembler trop chargée à certains, mais pour moi c'est pile ce qu'il faut avant la surdose (dans le genre, la très cheesy "Destiny" dépasse peut-être un peu ma limite en versant dans le hard FM).  

Montero - Running Race (Clip, 2018)

  Mais sur les morceaux les plus aérés, ça fait mouche. Par exemple, on pense à une version plus directe, plus tube des années 80 revisités façon M83, de Mercury Rev, sur la très mémorable "Running Race"

Montero - Vibrations (Clip, 2018)

  "Vibrations" réussit à réunir ces deux influences et à les ajouter à une pop psyché théâtrale, glam et grandiose devant beaucoup à Pond et au folk-rock un peu prog des 70's. Plus loin, "Quantify", synthpop déglinguées façon John Maus, convainc un peu moins mais reste agréable. C'est le mentor DeMarco et Michael Jackson qui sont évoqué sur l'également très psyché "Tokin' The Night Away".

Montero - Tokin' The Night Away (Clip, 2018)

  Au final, un très bon album, très solide, très fun, riche et bien foutu. Derrière des aspects "marrants", c'est belle et bien une ambition folle qui a guidé ce projet du début à la fin. Cette tambouille psyché/pop/rock/glam/soul/funk/électronique est un des exemples les plus jouissifs dans le genre depuis le dernier Cullen Omori, et c'est un vrai gros compliment. 

Ecouter sur Spotify ou Deezer

Merci à Vincent de "la musique à papa" de m'avoir fait découvrir ce disque via cet article, que je vous encourage à lire

Alex


jeudi 26 octobre 2017

Guerilla Toss, Jay Glass Dubs & Spinvis 2017


Guerilla Toss - GT Ultra (2017)

  Si vous aimez quand ça claque, écoutez ce disque. Qui démarre aussi sec par "Betty Dreams Of Green Men", une charge post-punk groovy comme du Tom Tom Club, tranchante, folle (et groovy) comme du Rapture, et excentrique (et groovy) comme du Of Montreal période Hissing Fauna... / Skeletal Lamping

Guerilla Toss - Betty Dreams Of Green Men (2017)

  L'électricité rageuse du groupe sait se fourvoyer joyeusement dans l'électronique entre noise, dissonances jazzy et outrances pop, sur "Can I Get The Real Stuff" ou "Crystal Run" avec même un peu d'autotune. Ou rester dans des climats plus pop-funk aux syncopes afro réminiscentes des deux groupes de Tina Weymouth (Talking Heads, Tom Tom Club) sur "TV Do Tell", "Dog In The Mirror", ou "The String Game" sur laquelle on se rend compte que les basses de ce groupe sont uniques.



  Cette folie permanente qui guide en permanence le groupe, c'est d'abord celle de Kassie Carlson, chanteuse géniale à l'énergie folle qui donne cette impulsion rock 2000's à l'ensemble du groupe (Kills, LCD Soundsystem, Brazilian Girls...). 


  C'est d'ailleurs à James Murphy de LCD qu'on pense en entendant le dernier morceau, "Dose Rate", qui aurait presque pu figurer sur This Is Happening. Ce n'est pas pour rien que le groupe est signé sur DFA... Et pour rendre à César ce qui est à César, c'est avant tout la synergie du groupe ensemble et avec la chanteuse qui accouche de tout ce qui se fait de mieux sur ce disque, à commencer par l'irrésistible "Skull Pop", le "Rock Lobster" des années 2010.

Guerilla Toss - Skull Pop (2017)

  La prod riche et chargée et les rythmes soutenus en rebuteront certains, mais la longueur raisonnable de l'album (8 titres) ainsi que le talent du groupe font passer tout cela très bien. L'album est donc vraiment à découvrir, par exemple par ici !


Jay Glass Dubs & Guerilla Toss - Jay Glass Dubs Vs Guerilla Toss (2017)

  Oh et si vous avez aimé checkez les versions dub de 4 morceaux du disque par l'américain basé à Athènes Jay Glass Dubs sur le super Jay Glass Dubs vs Guerilla Toss. Cet EP permet de bien mettre en valeur les côté post-punk, reggae et psychédéliques du groupe parfois un peu noyé sous le déluge funk-rock électronique, et non content d'être un indispensable compagnon au LP, c'est également une énorme réussite du genre, ce qui n'est pas rien en 2017.



Spinvis - Trein Vuur Dageraad (2017)

  Je vous propose après ça de rester dans un thème synthpop années 80 - pop-rock années 2000 dans les inspirations, mais dans un genre plus calme. En écoutant le dernier disque de Spinvis, groupe néerlandais emmené par son leader et seul "vrai" membre, Erik de Jong, véritable star du rock aux Pays-Bas et en Belgique avec déjà 7 albums à son actif sous ce nom depuis 2002.

Spinvis - Hallo, Maandag (2017)


  Le disque démarre parfaitement avec la folk-pop guitare-voix lo-fi de "Ergen Toen", magnifique de dénuement, qu'on croirait enregistrée dans une chambre. Hyper mélancolique et mélodique. On enchaîne avec un rock indé classique du début des années 2000 avec "Hallo, Maandag", quelque part entre The National, Biolay et les débuts de Coldplay, soutenu par de superbes arrangements orchestraux qui, avec le langage rugueux, contrebalancent à merveille la très (trop) catchy rythmique soutenue par le piano, et ce solo de guitare sursaturé. Cet équilibre entre sucré et amer permet un ensemble hyper réussi et intéressant à partir de parties qui dosées autrement auraient pu donner un énième titre indé indigeste. C'est là tout le génie du bonhomme. 


  On évite également la guimauve sur "Van de Bruid En De Zee" grâce à la retenue du chant et ce malgré les synthés façon 2e vague de synthpop anglaise. De même sur "Artis", qui a ce son clinique façon new wave diluée de la pop-rock des années 2000 (Infadels, Razorlight, Snow Patrol, Coldplay...), mais qui en fait bon usage comme seuls les meilleurs savaient le faire à l'époque, avec une science de la retenue aidée de la grande expérience de l'artiste et une inventivité dans les arrangements qui évite d'insister trop sur certaines sonorités (ce cor par exemple qui permet aux synthés de rester à leur place tout en redynamisant le morceau).

Spinvis - Artis (2017)


  Ca passe même très bien sur des ballades un peu pépères post-twee pop riches en glockenspiel à la Get Well Soon ("Tienduizend Zwaluwen" ou comment gagner au Scrabble en un titre de chanson, le morceau titre "Trein Vuur Dageraad" magnifié par des choeurs divins, ou la "Serenade" instrumental en fin de disque). Les arrangements simples et sophistiqués à la fois font mouche sur la dépouillée "Alles Is" et sur le magnifique duo de voix masculin/féminin "Wat blijft" et sa clarinette(?) qui me fait fondre. 

  Finalement, si on devait le rapprocher de quelqu'un, ce serait sûrement de Peter Von Poehl, artisan pop discret et toujours à la hauteur, creusant le sillon d'une pop intime pudique et émotionnelle, bouleversant par petites touches au risque de passer inaperçue pour les gens qui l'écouteraient trop vite ("Stefan en Lisette", magnifique et un chouia Dire Straits façon "Romeo & Juliet"). On croirait également entendre un titre de Biolay quand passe l'instru classieuse de la très bonne "De Kleine Symphonie"


Spinvis - Stefan en Lisette (2017)


  Et puis le disque arrive à varier en passant dans le jazz ("Nachtwinkle"), la folk de pub ("Dageraadplein", un peu comme du Renaud reprenant un truc irlandais après avoir écouté du Dylan, en version batave), de la pop-folk avec un côté intemporel aux sources du folk avec un côté mystique façon Leonard Cohen "Hij Danst").


  En bref, le disque est superbe, mais on a un peu le risque inverse du Guerilla Toss : celui de laisser indifférent car tout y est très propre, apaisé, calme, léché, réfléchi. Mais si vous êtes réceptifs à l'artiste et que vous prenez le temps de bien l'écouter, le jeu peut en valoir la chandelle. Dans le genre, je range ce CD avec I'm From Barcelona, Radical Face, Peter Von Poehl, Asaf Avidan et Get Well Soon, dans ce genre un peu ingrat de la pop à mi-chemin entre indé et mainstream, qui fait de la qualité mais n'est malheureusement reconnue à sa juste valeur par aucun des deux mondes. Et ça faisait longtemps qu'un disque du genre ne m'avait pas touché comme ça.

A vous de vous faire votre avis !


Alex