Les aventures musicales de deux potes

Les aventures musicales de deux potes
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lundi 11 janvier 2021

Chassol - Ludi (2020)

Vous connaissez peut être Christoph Chassol pour ses chroniques sur France Musique tous les jeudi à 8h50, où il décortique des morceaux à l'aide d'une formation musicale poussée au conservatoire et au Berklee College of Music de Boston. 




C'est aussi un artiste accompli signé sur le label français Tricatel. Tirant parti d'un don pour l'harmonisation, d'une habitude sous corticale à solfier et de goûts musicaux tous aussi divers que pointus, il a créé une technique musical propre qu'il nomme "ultrascore". Il s'agit d'une "harmonisation du réel" qu'il définit comme tel : « un ultrascore, c’est une musique de film qui utilise tous les sons du film pour se construire elle-même ». Il nous fait ainsi vivre une forme de synesthésie. Inspiré de la musique concrète et répétitive de Steve Reich ou Pierre Shaeffer, tout autant que de la musique pop et jazz, il créé des univers poétiques harmonisés depuis des sons et des images réelles. Il a ainsi harmonisé un voyage en Inde sur son projet Indiamore ou bien sa native Martinique sur le projet Big Sun. Le travail mélodique omniprésent n'en dilue pas pour autant une recherche rythmique primordial. En effet il s'agit bien de changer la mélodie et le rythme de la réalité pour créer cette autre perception de réalité. 


Cette autre perception de la réalité répond à d'autres règles et concepts, ceux de la musicalité, de l'harmonie, de la mathématique. Voilà la thématique qui ouvre le 6ème album de Chassol sorti en mars 2020. Christophe Chassol y harmonise sur les trois premier titres le livre Le jeu des perles de verre, écrit anticipatoire de Hermann Hesse lui ayant valu le prix Nobel de littérature en 1946. Au centre de l'intrigue est une sorte de boulier qui permet le calcul et la compréhension de la musique, de la culture et par extension de l'univers. Un boulier qui rend visible l'invisible.



S'en suit une variété de tableaux reliés par une thématique commune : le jeu. Il est décliné dans tous ses concepts, que ce soit le génial Savana, Céline, Aya avec les jeux de la cours de récréation, Dribbles & Beats sur un terrain de basquet ou bien toute une partie rendant hommage aux jeux vidéos avec leurs musique 8 bits.



Dans cette diversité le but est pourtant constant : "montrer le pouvoir incroyable de la musique" dans une construction virtuose. A travers cette reconstruction sonore et visuelle de nos perception, il nous donne à voir une réalité toute personnelle, magnifiée et irrésistible.

C'est à écouter par ici sur Spotify et pour tous les curieux, n'hésitez pas à vous replonger dans ces différents projets audio-visuels qui valent vraiment le détour. 

Je vous recommande aussi son interview sur France Musique où il parle longuement de cet album et de son approche tout particulière de la musique, c'est par ici.

Etienne


vendredi 10 avril 2020

Nicolas Jaar - Cenizas (2020)


  Plutôt conquis voire enthousiasmé par Sirens (2016), j'étais curieux d'entendre un nouvel album de Nicolas Jaar sous son nom (car l'homme est prolifique, sous plusieurs alias). Et ce Cenizas, fraîchement sorti, est à la hauteur.

  Gardant une orientation " pop " : concise, structurée de façon immédiatement compréhensible, avec quelques voix, c'est un album accessible, du moins dans sa première moitié. Le début de l'album a un ton très solennel, prenant. On démarre avec de l'ambient, sur "Vanish", qui se poursuit en harmonies vocales angéliques et se fond dans des samples vocaux presque religieux sur "Menysid",  à peine perturbés par les craquements d'une électronique concrète, palpable, distordue mais terrienne. Tout ça pour débouler sur la merveilleuse "Cenizas", chanson hantée et habitée, qui sonne surnaturelle -l'espagnol du chant pourrait être de l'elfique- et qui pourrait durer éternellement tant elle est belle et sait figer le temps. 

Nicolas Jaar - Cenizas (2020)

  La musique pique au jazz, au blues, au ragtime, au néo-classique, au funk et au rock ("Agosto", "Gocce"), voire aux musiques traditionnelles et au psychédélisme (la longue transe prog de "Mud") tout en étant perturbée, lacérée, ou au contraire soulignée, bercée par une électronique bien présente. Toujours aussi étrange et familière à la fois, comme une forme qu'on pense pouvoir toucher du bout des doigts sans jamais réussir à l'atteindre, la musique de Jaar intrigue. Même l'ambient se fait tantôt caressante, tantôt inquiétante comme une BO de film d'horreur psychologique ("Vaciar").

  En revanche, la deuxième moitié de l'album se fait un peu plus déconstruite et moins prenante ("Sunder", "Xerox" le free jazz de "Rubble") ou moins originale et plus plate ("Faith Made Of Silk"), mais quelques moment de grâce la transcendent, comme la magnifique"Hello, Chain" ou la délicate et sereine "Garden".

Nicolas Jaar - Gocce (2020)

  Globalement, c'est une oeuvre prenante, souvent brillante, assez unique dans son genre. Nicolas Jaar s'est enfermé dans un endroit paisible, sans alcool, clope, drogue ou même café pour le concevoir, dans l'espoir d'évacuer toute source de négativité. Mais il s'est rendu compte que celle-ci était toujours là, en lui-même, d'où la pochette déroutante évoquant l'introspection. C'est donc un album assez sombre, dépouillé mais torturé, parfois contemplatif, parfois plein de rage, étouffée ou qui s'échappe, et c'est assez passionnant à écouter. 

Mes morceaux préférés : Vanish, Cenizas, Agosto, Gocce, Hello Chain

Ecouter sur Spotify ou Deezer ou Youtube (via Other People)

Alex

vendredi 24 mars 2017

Fifty Foot Hose - Cauldron (1967)


    Cette semaine, les débuts de la musique électronique sont à l'honneur sur La Pop d'Alexandre & Etienne, avec un album par jour présenté jusqu'à dimanche dans le cadre de notre deuxième édition de La Semaine De La Pop.

  Et il est temps d'évoquer un autre de mes albums de chevets : Cauldron de Fifty Foot Hose, groupe psychédélique californien. Groupe formé autour de l'artiste conceptuel Cork Marcheschi qui gère l'électronique, David Blossom qui compose la plupart des morceaux, entre rock psychédélique, pop et jazz, et Nancy Blossom, sa femme, qui prête sa voix et son charisme au groupe.

  Comme tous les classiques, ce disque démarre par un morceau radical, "And After", une suite ambient bruitiste qui est sensée évoquer par son crescendo l'intérieur d'un tremblement de terre. Le but étant de la jouer sur de grosses enceintes avec un volume bien fort pour faire trembler le sol et les murs. Cet aspect uniquement sensoriel de la musique électronique est très intéressant, et je trouve que ça fonctionne à merveille en intro d'un album sombre et mystérieux. "If Not This Time" est quand à elle un chef-d'oeuvre de rock psyché un peu jazzy, le génie suite de partout, depuis le morceau aussi rock que groovy, aussi accessible que mystérieux, en lui-même génial et bien arrangé et produit, avec ces gargouillis électroniques ajoutant une vraie plus-value et puis Nancy qui est impériale au chant et irradie de son charisme infini. La courte transition atonale "Opus 777" fait la transition avec "The Things That Concern You", chanson de Terry Hansley (basse électrique), moins brillante mais fort sympathique. 

  Les morceaux s'enchaînent, entrecoupés de ces transitions électroniques (les "Opus...", "For Paula"). On a du hard-psyché agressif sur "Red The Sign Post" et sur "Rose" il est entrecoupé de pop et de jazz-funk, et là encore complètement porté par le génie d'interprétation de Nancy Blossom, prêtresse hippie préfigurant toutes les futures grandes artistes féminines du rock, du punk et du post-punk à venir. De Patti Smith à X en passant par Nina Hagen, les B-52s, les Slits, Kate Bush, Kim Gordon ou Siouxie. Ce morceau est encore une tuerie, très influencée par le jazz, et un classique indépassable, aussi sauvage et frais aujourd'hui qu'à la sortie du disque en décembre 67.

  D'ailleurs, la sauvagerie du groupe les rapproche parfois du punk (paradoxalement, sur le morceau de bravoure "Fantasy" de plus de 10min) et leur capacité à défricher de nouveaux territoires au meilleur de la post-punk des années 70-80 (Pere Ubu, XTC, Slits...), qui paraît presque en retard à l'écoute de ce disque. 

  Et puis il y a la reprise du "God Bless The Child" de Billie Holiday, que j'ai déjà abordée ici, sur des premiers articles parus sur ce blog (en novembre 2013 !). Cette reprise du standard de jazz est pour moi un des meilleurs morceaux de tous les temps, dans mon top10 sans hésitations. L'interprétation de Blossom au chant me bouleverse, et la synergie rock psyché-électronique (un peu à la façon de Henry-Colombier finalement) atteint des sommets sans jamais trop en faire dans le démonstratif. 

  La conclusion, "Cauldron" vaut aussi carrément le détour, entre cloches monastiques, bruitages électro, voix de sorcière trafiquée au vocoder, bandes passées à l'envers, triturées, mantras.... Un must-hear.

  Les bonus du CD valent aussi le détour, avec des versions alternatives de "If Not This Time" (très belle, un poil plus soul et c'est très bien aussi... Un peu Broadcast avant l'heure aussi), et de "Red The Sign Post", carrément punk à 200% dix ans avant, tout simplement. Voire même Sonic Youth 20 ans avant Sonic Youth. Les inédits sont tout aussi cool : "Fly Free", entre jazz et country-pop, "Desire" entre free jazz, psyché funky, hard rock enragé et punk bruitiste, et "Skins", jam pop noisy nourrie de country et de blues psyché accouche de fulgurances stellaires. Et puis il y a le premier single du groupe, le bruitiste et bordélique "Bad Trip", présent sous deux versions. Le titre est moins intéressant, mais il a le mérite de prouver que le Velvet n'avait pas le monopole du bruit, qu'Iggy n'avait pas le monopole des hurlements canins, et que Zappa n'avait pas le monopole du mauvais goût dada. 

  Bref, tout ça est quand même absolument indispensable. Ce disque est un vrai classique et un phare dans la nuit pour l'électro-pop de l'époque, le mariage avant-garde / pop psyché étant réussi comme (presque) jamais (avec White Noise et The USA quand même, voilà le trio de groupes géniaux à avoir su relever le défi). Et un disque qui conserve toute sa fraîcheur et sa modernité aujourd'hui grâce à une forte personnalité et un nombre de portes ouvertes et de pistes inexplorées incroyable. 

Lien Youtube
Lien Spotify 

Alex


mardi 21 mars 2017

Pierre Henry & Michel Colombier - Messe Pour Le Temps Présent (1967)



  Cette semaine, les débuts de la musique électronique sont à l'honneur sur La Pop d'Alexandre & Etienne, avec un album par jour présenté jusqu'à dimanche dans le cadre de notre deuxième édition de La Semaine De La Pop.

  Cette oeuvre, vous la connaissez sûrement, du moins en partie. Elle a été composée (sur commande, pour un ballet de Béjart) par le grand Michel Colombier pour les parties instrumentales et Pierre Henry pour la partie électroacoustique / musique concrète qui nous intéresse plus particulièrement dans le cadre de cette semaine consacrée aux débuts de l'électronique. 

  J'ai dit que vous connaissiez sûrement ce disque en partie, car vous avez déjà entendu le deuxième titre, "Psyché Rock" sous une forme ou une autre. Soit vous connaissez son inspiration ("Louie Louie", classique du garage rock, popularisé par les Kingsmen entre autres), soit vous connaissez la chanson sous sa forme originale (par Colombier et Henry donc), soit remixée par Fatboy Slim, soit remixée pour le générique de la série Futurama. Dans tous les cas, vous le constaterez, ce morceau est une merveille de pop-rock 60's, accessible et aventureuse, grâce aux apports électroniques de Pierre Henry et à l'inventivité des arrangements de Colombier, véritable Morricone de la pop française (cf ses collaborations avec Gainsbourg, Quincy Jones pour Aznavour, Air, sans parler de ses musiques de films...). Bref, un classique incontournable et incontestable, frais, audacieux et toujours aussi pertinent.

  Le reste du disque est moins connu, mais tout aussi bon. Le court "Prologue" instrumental est tout en breaks de batterie, en basse inquiétante, sons extraterrestres et percussions de musique concrète, et oscille entre noise et soul (cf cet orgue sur le pont avant la conclusion concrète). Il s'ouvre sur le tubesque "Psyché Rock", dont nous avons déjà parlé, et qui partage sa classe rythmique et mélodique ainsi que ses arrangements électro incroyables avec sa suite directe, le génial "Jericho Jerk", un poil plus soul-jazz. Tout comme sa suite directe, "Teen Tonic", entre pop 60's, yéyé, et soul électronifiée. 

  La conclusion, "Too Fortiche", est carrément plus électro-rock, d'un rock dur et psychédélique. Et toute aussi réussie. Vous l'aurez compris, cette oeuvre est courte, mais incontournable et séminale. Je n'ai pas grand chose à ajouter, cette musique parle d'elle même.

PS : sur CD, on a droit à plusieurs oeuvres solo de Pierre Henry, dont je vous reparlerais pour une autre occasion !

Alex