Les aventures musicales de deux potes

Les aventures musicales de deux potes

vendredi 13 mai 2016

The Beatles - Beatles For Sale (1964)


  Comme nous l'avons vu, l'album précédent des Beatles, A Hard Day's Night, sorti la même année, représentait pour le groupe à la fois leur premier chef-d'oeuvre inattaquable de bout en bout, et le point culminant de la Beatlemania. Mais après la fête vient la cuite du lendemain. Ce sont des Beatles exténués et au bout du rouleau physiquement et mentalement qui enregistrent ce 4e album, Beatles For Sale. Moins percutant, reposant sur beaucoup de reprises, moins homogène en termes de qualité, cet album est souvent un des moins aimés de la discographie des 4 de Liverpool. Pourtant, à mon humble avis, c'est sûrement le plus sous-estimé de leurs albums, et il est à des années lumières de mériter une si mauvaise réputation. Nous allons donc voir en quoi ce disque est une perle et en aucun cas un raté.

  Déjà, la doublette qui entame l'album est immaculée. "No Reply" fait partie des classiques du groupe, c'est une grande chanson pleine d'émotion et de rage, très classe dans ses arrangements acoustiques, avec là encore un piano qui soutient énormément l'ensemble. D'ailleurs, en écoutant tous ces petits arrangements tellement précis, quasi chirurgicaux, on comprend mieux l'obsession de nombre de groupes de pop indé avec les petits détails d'arrangement qui participent à la force de ces chansons intemporelles. 

  La deuxième partie de cette superbe doublette est la très Dylanienne "I'm A Loser", qui après la 1ere nous montre qu'émotivement ce grand écorché vif de Lennon (secondé par McCartney) n'était pas en grande forme sur le moment. Mention spéciale au magnifique solo de guitare sur le pont du morceau et repris à la fin (sans doute Harrison, j'ai pas revérifié). McCartney & Lennon poursuivent en duo avec "Baby's In Black", troisième composition du duo et très bonne chanson pop, pas aussi incroyable que les deux premières, mais que j'ai toujours beaucoup aimé (le thème du texte est assez original).




  Puis on a une reprise efficace et toute en énergie du "Rock And Roll Music" de Chuck Berry par John, grand admirateur de rockabilly devant l'éternel. Un classique de leur set live réutilisé ici faute de temps pour composer plus d'originaux pour cet album, entre les tournées, le film et l'album précédents. Mais une bonne reprise ceci dit. Un autre classique à mi-chemin entre Northern Soul, presque gospel dans la pureté, et folk/pop, avec le magnifique "I'll Follow The Sun" de McCartney, une magnifique magnifique magnifique chanson, une de mes préférées de Macca. C'est d'une simplicité, d'une beauté et d'une pureté telles que l'évidence est là : c'est un classique. Un classique méconnu, comme la plupart des chansons de cet album. Une perle, vous disais-je !

  Ensuite, Lennon reprend "Mr Moonlight", là encore la reprise vaut le coup pour son chant écorché et son ambiance rock plus raw et sombre qu'à l'accoutumée (les percussions, l'orgue). Macca donne dans le medley avec "Kansas City / Hey-Hey-Hey-Hey" prouvant que lui aussi admirait le rockab' et pouvait tout déchirer dans le genre. Et aussi qu'il avait bon goût car reprendre (et donc reconnaître le talent de) Little Richard est toujours preuve d'un esprit clairvoyant, ce type est au moins aussi important qu'Elvis, Jerry Lee ou Chuck, mais injustement mésestimé. Comme cet album des Beatles, mais vous commencez à voir où je veux en venir avec ça...

  Le single "Eight Days A Week" chanté et écrit par John signe le retour des compositions des Beatles. C'est un single imparable, qui fait hailement la synthèse entre les hits pop évidents des débuts et la période folk/pop voire psyché qui se dessine, un morceau charnière (écoutez cette intro). Et cette soul dans la voix de John, ce feeling, cette fêlure aussi... On sent aussi dans cet album, encore plus que dans le précédent, la maturité artistique des Beatles monter. Ils se permettent d'être plus expressifs en en faisant moins, apprennent l'art du dosage, de la retenue et gagnent en subtilité et en profondeur et de morceau en morceau. Le morceau suivant, une reprise de "Words Of Love" de Buddy Holly (un autre grand sous-estimé), se situe entre country-folk et carrément proto-psychédélisme et illustre à merveille ce que je viens de dire, là grâce à Dylan les Beatles participent en direct à inventer le folk rock et le psychédélisme avec ces guitares acides, ces choeurs et ces percus. 

  Après les deux leaders, Ringo donne à son tour dans le rockabilly tendance country/folk (signé Carl Perkins, encore un génie oublié du grand public) avec un "Honey Don't" pour lequel j'ai toujours eu beaucoup d'affection. Et un bon petit solo de guitare concis.




  Retour aux compositions avec "Every Little Thing", chantée en duo, qui là aussi préfigure bien l'aspect folk/rock. Une vraie petite merveille de chanson, avec là encore des arrangements divins. Dans la même veine, "I Don't Want To Spoil The Party" est absolument géniale, une merveille à la Byrds. Ce folk-rock réussit définitivement beaucoup à nos 4 Beatles, qui arrivent à exprimer davantage d'émotions de façon plus prenante et subtile qu'auparavant, et gagnent en finesse musicale à vitesse grand V. C'est confirmé avec le "What You're Doing" qui a du bien inspirer Big Star et en particulier Chris Bell. Une merveille de pop folkisée, avec ce motif de guitare incroyable carrément proto-psychédélique. Un autre classique du groupe, méconnu.

  On finit avec la chanson rockab de George Harrison, il avait bien le droit à la sienne aussi. Ce sera "Everybody's Trying To Be My Baby", encore de Carl Perkins.

  Si on enlève les morceaux et les reprises un peu moins bonnes et qu'on ne garde que les classiques intemporels, on a 8 morceaux. 8 chef-d’œuvres intemporels. Ca ne fait pas un grand album selon vous ça ? D'autant plus que ces morceaux confirment la voie esquissée sur certaines chansons de A Hard Day's Night, la direction vers le psychédélisme en passant par le folk. Ca ils ne le savent pas encore, mais en s'ouvrant davantage à d'autres musiques, ils viennent non seulement de trouver un moyen d'expression plus vaste mais aussi de poser la première pierre vers leurs futures révolutions musicales. Avec le précédent, ils ont mis le monde et la concurrence à leurs pieds, maintenant ils commencent à prendre le large et distancer tout le monde. Et cet album est une étape importante dans la maturation de ce groupe qui sera amené à devenir le plus grand et le meilleur groupe de pop et de rock de tous les temps. C'est donc un grand album, et en tous cas ce n'est pas un album à ignorer à la légère.

Merci pour votre lecture, et pour vos commentaires 

Alexandre

6 commentaires:

  1. Le plus dingue dans cette affaire, c'est la cadence de production des artistes de l'époque. De nos jours, c'est minimum 5 ou 6 ans entre chaque galette… pour les plus productifs !!!!!
    Autre bizarrerie : les pochettes de disque. Une simple photo des artistes suffisait à faire une illustration mythique. Idem pour les Stones ou Dylan !!!

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    1. Exact pour les deux points !
      Je pense aussi que les photographes étaient de talent pour le coup, avec des vraies idées de composition photographique.

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  2. En vrac au fur et à mesure (mais troisième passage de l'album avant de commenter)
    Bon en attendant de rattraper le passé, c'est une bonne façon de me faire écouter les Beatles. Surtout que tu le dis bien, à ne pas avoir été tellement apprécié, du coup il n'y a pas grand chose de familier pour moi, je n'ai pas cette désagréable impression - oui! Désagréable - de passer d'un titre ultra rabâché à un titre inconnu par moi, sensation étrange.
    Les deux premiers titres sont top, vraiment. "Baby's in Black" fait quand même baloche, et ça me les rend sympathique pour ça.
    "Rock & Roll Music" ça je connais et je continue à adorer, ça swingue et c'est du tout bon.
    Haaaa les compo de McCartney. Je suis toimbé sur cet article où il explique à quel point la mort de Lennon l'a écrasé dans la mémoire collective, je ne savais pas que Yoko annonçait à tous que c'est Lennon qui composait le tout. Hé, Charlu va pas me donner tort, Les années passent et je trouve que beaucoup de chansons de Lennon restent collées au passé alors que, rien que Band On The Run ... bientôt 50 ans!!
    Little Richard, 6CD de vraies petites bombes: "The Specialty Sessions"
    En écoutant "Kansas City/Hey-Hey-Hey-Hey! [Medley]" je me disais que ce son sec aurait bien fait un album US ,plutôt que UK. Un genre Creedence. Mais j'oublie vite que les anglais, à cette époque, le rock et le blues c'était beaucoup eux aussi.
    « Eight Days A Week » Fallait bien qu'il y ait une rengaine que je connaisse par cœur et qui a mal vieilli dans ma mémoire, les clap et tout ça, m'énerve un peu, me font penser avec toute la mauvaise foi que je peux y mettre :
    https://www.youtube.com/watch?v=w-0CS-T1HUQ
    Attention à ne pas t'étouffer de rire sur ce Beach boys.
    Pour l'écoute, juste après « Words of Love » je me suis passé le « Mr. Tambourine Man » , c'est vrai que tout ça n'est pas étanche, pas facile de chercher une paternité et peut-être même inutile, sauf pour la discuss. Vive la discuss.
    « I Don't Want to Spoil the Party » oui, carrefour pop, folk et même country...
    « What You're Doing » tu as une sacré oreille, car effectivement j'entends le chant un peu forcé de Chris Bell.
    «  maturation de ce groupe qui sera amené à devenir le plus grand et le meilleur groupe de pop et de rock » Je voulais effacer ROCK de ton texte mais impossible ;-)

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    1. Haha ! Content que tu te retrouves dans certains de mes ressentis :)
      On y viendra mais ls débuts sont très marqués par la voix de Lennon je trouve, mais petit à petit Macca qui est tout aussi important comme compositeur (et le deviendra encore plus dans la suite de l'histoire du groupe), s'affirmera plus vocalement et à mon humble avis, même s'il est moins évident dans le registre artiste écorché, il est bien plus constant dans le génial que Lennon.
      A la prochaine ;)

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  3. Merci pour ce nouveau chapitre de la passionnante saga Beatles.
    Si ce n'est déjà fait, je te conseille chaleureusement de lire: "L'intégrale Beatles, Les Secrets de Toutes les Chansons" par Steve Turner. Le livre existe chez Bouquin pour une toute petite poignée d'euros et il est fabuleux!

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    1. Je l'ai feuilleté chez des amis, effectivement il a l'air excellent (j'ai foncé lire ce qu'il se disait sur mes favorites, dont "Strawberry Fields Forever", en tombant sur le bouquin chez eux).
      J'essaierai de me le dégotter !

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