Les aventures musicales de deux potes

Les aventures musicales de deux potes

mercredi 14 septembre 2016

Nick Cave & The Bad Seeds - Skeleton Tree (2016)



  Ici on aime bien donner notre avis sur les albums une fois ceux-ci bien assimilés, en prenant le temps de la réécoute. C'est pourquoi vous verrez rarement des nouveautés hyper récentes, de la semaine ou même du mois. Pourtant, aucune règle ne se passe d'exceptions, et parfois l'avis et le regard qu'on porte sur un disque est immédiat, et on sait qu'on n'en changera très probablement jamais. C'est le cas pour ce dernier Nick Cave. J'ai adoré le dernier album (hors BO) en date, Push The Sky Away (classé parmi mes disques préférés de 2013). Et pour ce disque, déjà, à la première écoute mon avis était fait, et n'a pas bougé depuis. 

  En effet, ce disque est comme son superbe prédécesseur un formidable chapitre d'une nouvelle ère pour Nick Cave. En intégrant des influences électroniques, synthétiques, presque ambient et planantes, il a ressourcé sa musique, et en passant d'une écriture très narrative à une introspection moins linéaire et plus hachée, toute en flashes d'émotion, a renouvelé ses mots. Et malheureusement, l'ombre de la tragédie de la mort accidentelle de son jeune fils a nourri ces paroles, ainsi que l'ambiance musicale, et ce même si l'enregistrement a démarré un peu avant.

  On ne va pas insister là-dessus, l'album dit tout ce qu'il y a à en dire. Le disque aligne les superbes élégies, en démarrant par "Jesus Alone", qui paraît presque gospel dans les refrains (ce déchirant "With My Voice, I am calling you"), malgré un drone de guitare post-rock et des couplets spoken-word. Les cordes, le piano et la batterie se font discrètes, subtiles, mais poignantes et efficaces, de même que les effets sonores et le synthé / orgue / theremin (?) aigu (qui évoque quelque chose entre rock psyché et, étonnamment, le son du synthé lead des productions G-Funk). Ce n'est peut-être qu'un hasard, mais le superbe morceau suivant, "Rings Of Saturn", possède un beat presque hiphop, des nappes de synthé planantes, un synthé lead bondissant, et une diction justement très hip-hop de Cave au départ. Avec les choeurs et les accords de piano martelés, on a un saisissant contraste entre la voix fatiguée de Cave et la musique mi-accablée elle aussi, et mi-entraînante. Avec les mêmes éléments et un peu de production on pourrait presque faire un tube électropop urbain, et c'est ce qui rend l'humilité de cette chanson d'autant plus troublante et belle. Probablement ma favorite de l'album.

  Moins produite, "Girl In Amber" continue avec les nappes de synthé et le piano plein de reverb, et y ajoute des choeurs aigus, entre église et pop psychédélique façon Flaming Lips. Et la voix de Cave s'y fait particulièrement granuleuse et tremblante. Et puis il y a comme un effet de hiss accolé à cette voix (qui donne un son proche du bruit blanc pour ceux qui ne voient pas de quoi je parle). Ce qui donne un côté rêche et brut à cette voix, qui encore une fois contraste avec l'instrumentation apaisée (malgré les effets sonores dissonants apparaissant de temps en temps), et en même temps l'éloigne de nous, lui donne un côté irréel. Comme si la réalité du monde extérieur et l'intériorité de Cave se confondaient, comme si on n'arrivait plus à les distinguer. Ses sentiments sont en lui tellement vifs qu'il les ressent même autour de lui, ils emplissent tout l'espace et transforment toute chose. Comme il le dit lui même "Nothing Really Matters", trois chansons plus loin. Le même sillon est creusé par "Magneto", avec l'addition d'une guitare acoustique, un texte introspectif et une voix là encore très impactée par l'émotion, accablée par la fatigue et, aussi émotive qu'elle soit dans le fond, elle oscille entre une diction impactée et détachée dans la forme.

  "Anthrocene" franchit un cap dans l'abstraction, les moments plus pop avec chœurs et piano sont entrecoupés de samples et d'effets sonores et de rythmes surgissant de nulle part. Le chant structure la chanson s'une façon tout à fait non linéaire et non conventionnelle, s'écartant d'ailleurs du format chanson proprement dit pour quelque chose de plus souple, en flashes d'émotions contradictoires, en vagues, en marées. 

  Le chant pop-rock américain (là encore fortement affecté) et les nappes de synthé franchement 80's de "I Need You" ainsi que (encore et toujours) les chœurs  font de ce morceau une sorte de perversion par la tristesse des hymnes conquérants d'un Springsteen. La dimension pompière étant totalement annihilée par le chant et les arrangements inattendus (le xylo ou glockenspiel...), pour ne rester qu'en filigrane à la seule fin, là encore, de nous offrir un effet de contraste saisissant.

  Retour à une production moins brute pour "Distant Sky", franchement ambiant au début, avec des mots susurrés en intro, puis un chant féminin (qui m'évoque l'Irlande et la musique celte dans les mélodies vocales, tout comme l'harmonique de la chanson elle-même, pour une raison qui m'est inconnue). On pense à la tradition de la musique mortuaire des écossais et irlandais, souvent entendue dans les films américains, avec la notion de drone bien présente, comme le bourdon des cornemuses. On finit par "Skeleton Tree", plus ouvertement pop/folk (la guitare, et les nappes encore), avec cette voix complètement détruite qui remonte la pente au fil des couplets, épaulée par de magnifiques chœurs  et qui finit un peu brutalement, alors que les paroles se faisaient plus positives, laissant une impression d'inachevé volontaire. La suite ne sera pas dans 2 ou 3 ans pour le prochain album, la suite c'est la seconde à laquelle celui-ci s'arrête, la suite c'est tous les jours, hors de la discontinuité de notre rencontre avec Cave et ses Bad Seeds. Changement de perspective intéressant. L'Homme derrière l'Artiste vit chaque jour, au jour le jour.

Bref, vous savez ce que j'en ai pensé, c'est un très très bon album. Alors écoutez-le ici, si possible au casque. 
Merci pour votre lecture, et vos commentaires, et à bientôt

Alexandre

6 commentaires:

  1. Salut Alexandre,
    Je vais être clair d'entrée, pour moi Skeleton Tree n'atteint pas le niveau de Push the sky away qui s'affirme au bout de 3 ans comme un des jalons majeurs de sa discographie. Ceci étant posé, Ce nouvel album, d'une noirceur totale même dans le référentiel Nick Cave, est un très beau disque. Probablement plus difficile à apprivoiser parce que musicalement en dehors de ses sentiers habituels mais qui mérite une attention particulière.

    Sa noirceur, sa dimension tragique étaient attendues - comment aurait-il pu en être autrement ? - tout le talent de l'artiste est de la transcender pour en faire une œuvre à la beauté déroutante.
    Il fallait voir le 8 septembre la projection de One more time with feeling, film chargé d'émotion, parfois à la limite de l'impudeur, heureusement allégée par des moments de décontraction pendant l'enregistrement de l'album. Un film à la fois passionnant et tragique.

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    1. Je préfère également largement Push The Sky Away, mais celui-ci est une suite logique qui se tient très bien et se distingue tout de même de son écrasant prédécesseur. Pour autant, je trouve cet album très bon.

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  2. Je crois qu'on est tous d'accord sur l'extraordinaire album "Push..". Puis là.. pouarrff, on tombe sur "Skeleton tree" comme on dégringole dans un gouffre abyssal absolument opaque, pourtant éclairé par une lumière bizarre et à l'inverse stratosphérique, qui vient des cieux.
    La douleur est très contagieuse, vais pas le mettre une 2ème fois tout de suite. Le word spoken je l'ai pris comme un abattement, pas la force de chanter .. la mélodie à plat.. bref, album magnifique.

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    1. Suis d'accord avec tout ce que tu dis, c'est un albumb de contrastes !

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  3. Album très "atmosphérique", de peu de notes, de peu de mélodies... J'ai un peu de mal. Je me demande si je ne vais pas l'essayer dans le noir complet pour me mettre au diapason...

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