Les aventures musicales de deux potes

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samedi 19 novembre 2016

Jazz 2016, Traditions & Réinventions : Esperanza Spalding - Emily's D+Evolution, Kadhja Bonet - The Visitor, Shabaka & His Ancestors - Wisdom Of Elders & Eric Schaefer & The Shredz - Bliss

  Outre l'excellent disque d'Herlin Riley (cf ma chronique ici), l'année 2016 nous a offert une tripotée de grands disques jazz, dont je vais vous présenter certains de mes favoris, qui ont chacun une approche très distincte et personnelle du genre. 




Esperanza Spalding - Emily's D+Evolution (2016)

  Ce disque est une petite bombe jazz-soul-rock. Là où la fusion paraît souvent pataude et pas vraiment finaude, elle sonne ici parfaitement fluide et naturelle. La guitare anguleuse de "Good Lava" apporte un mordant qui pimente le groove naturel du morceau et permet à Spalding de déployer son chant entre jazz, soul et punk (on pense autant à Nina Hagen et Brazilian Girls qu'à Billie Holiday). Ce chant est encore davantage mis en valeur dans des titres soul-jazz comme "Unconditional Love", "Judas", "Earth To Heaven", et "One" avec toujours ce petit twist rock indé, qui est convoqué de façon plus marquée sur "Rest In Pleasure", "Ebony And Ivy", "Elevate Or Operate" et "Noble Nobles". Et sur ces morceaux, le chant, les choeurs et l'instrumentation ne se privent pas de jouer avec une certaine théâtralité, pour donner un côté presque Broadway voire opéra à certains passages, à la Freddie Mercury. La palme de la théâtralité revient à "I Want It Now", qui pourrait figurer à la BO d'un Phantom Of The Paradise revisité. Le funk liquide de "Farewell Dolly" et celui plus terrien de "Funk The Fear" achèvent de diversifier le propos. L'album (en écoute ici), est une réinvention moderne du jazz fusion absolument impeccable, et il est à écouter de toute urgence.




Kadhja Bonet - The Visitor (2016)

  L'intro cinématographique rappelle la prodige de la soul moderne Janelle Monaé, et on se frotte les mains d'avance en entendant ces choeurs, ce rythme syncopé, ces synthés psychédéliques et chatoyants, et en attendant la suite. Qui sera orchestrale sur "Honeycomb", pour un grand moment de jazz vocal, qui s'impose dès la première écoute comme un classique intemporel. On est déjà conquis, alors quand déboulent l'électropop baroque de "Fairweather Friend", avec toujours ce chant jazzy, on exulte. Tout l'album sera-t-il aussi bon ? Oui, l'orchestre, le cinéma, la soul psychédélique des Temptations et les grandes divas jazz sont conviées sur "The Visitor" et "Gramma Honey", avec en prime un côté mystérieux et sensuel à la Lana Del Rey dans le chant. 

  La porte du Pays des Merveilles est ouverte, et lorsqu'on tombe dans le terrier du lapin blanc avec le psychédélisme orchestral de "Portrait Of Tracy", les choeurs et les cordes nous enveloppent, les vents nous caressent le visage. On se relève et on embarque pour le jazz vocal imprégné de folk pastoral de "Nobody Other", puis le jazz de petit club de "Francisco"

  Kadhja Bonet, en partant du jazz vocal, élabore tout un monde grâce à ses immenses capacités de songwriter et de chanteuse, en incluant de la soul, du funk, de la folk, des influences orientales, pour un résultat pas si éloigné que ça d'une pop de haute volée. L'album est magique, et il s'écoute ici.





Shabaka & His Ancestors - Wisdom Of Elders (2016)

  Shabaka Hutchings est un saxophoniste londonien de génie, qui a eu la lumineuse idée de s'entourer d'un crew sud-africain et d'enregistrer l'album dans l'urgence, en un jour. Et le résultat est aussi radical que beau. Dès l'introductif "Mzwandile", on mélange jazz, Afrique et chant soul/blues. Et ces rythmiques si riches sont ultra-modernes, elles évoquent autant le jazz et l'héritage musical africain que les expérimentations électroniques ou hip-hop de producteurs comme Flying Lotus. Loin d'être uniquement une énième relecture d'un vieux Miles Davis ou d'un Fela, ce disque sonnerait plutôt moderne comme un J Dilla ou un D'Angelo, et toutes les vagues qu'ils ont inspirées (Common, Kamasi Wahington, Kendrick Lamar,...). 

  D'ailleurs, comme sur "Joyous", le côté free ressort assez peu, le disque est très mélodique et n'a pas besoin de dissonances à outrances pour sonner sauvage, brillant et radical. Il n'y a guère que sur "The Sea" où la folie (contrôlée) l'emporte. Même sur des morceaux comme "OBS" ou "The Observed", elle est canalisée et l'ensemble reste cohérent et mélodique, ce qui peut faire de ce disque une excellente introduction au jazz le moins accessible aux oreilles les plus sensibles des novices du genre.

  Le chant est très souvent convié, plus que la moyenne des disques jazz, et c'est une bonne chose, car il est ici brillamment intégré à la musique et apporte une âme supplémentaire à des morceaux déjà géniaux (il n'y a qu'à écouter le groove et les changements de rythme de "The Observer" pour s'en convaincre). 
  Bref, ce disque est superbe, d'un respect infini envers une certaine tradition africaine du jazz (cf le titre), et d'une modernité époustouflante dans l'exécution. Vous devriez d'ailleurs cliquer là pour l'écouter d'urgence.




Eric Schaefer & The Shredz - Bliss (2016)

  Ce disque est fou, d'une belle et douce folie. "Abstract Dub" sonne comme du Miles, mais avec une rythmique syncopée des plus moderne, un synthé-orgue psyché et une basse slappée bondissante. Avant que les vagues de synthé, les cuivres démultipliés et les filtres ne fassent grossir le morceau encore et encore et l'étirent jusqu'à ce que cette orgie ne ressemble plus à rien de connu. 
  Le plus calme et mélodique "Barber" permet une transition avec le diptyque "Longjam" et "Slomojam" qui mêlent électronique, jazz et psychédélisme avec brio. Le groupe n'a peur ni d'utiliser de courts motifs répétés et du bruit pour donner plus d'ampleur aux compositions comme sur "Oistrakh" et "Shortjam", ni d'utiliser des rythmes plus simples et accessibles comme sur "No Bottom No Top" aux nappes de synthés glaçantes sur lesquelles se pose avec majesté la trompette lead. Le morceau le plus radical étant "Bliss" entièrement constitué de samples triturés, destructurés et balancés à nos oreilles repues. Bref, si vous voulez un croisement fou et ambitieux entre Pierre Henry et Miles Davis, vous avez votre disque de l'année (à écouter ici).


Alex



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