Les aventures musicales de deux potes

Les aventures musicales de deux potes

lundi 21 novembre 2016

Frank Ocean - Blonde (2016)

  Celui là je sais pas trop comment en parler. Des disques qu'on attend autant, finalement ça arrive pas si souvent. Depuis la claque Channel Orange en 2012 (notre chronique ici), qui a recomposé tout un pan du paysage musical à la seule force de sa beauté insolemment moderne, c'était le silence radio, à quelques collaborations près. Et puis, en 2016, le labyrinthique, abstrait et peu accessible ENDLESS (dont on a parlé ici) arrive par surprise. Et moins d'une semaine plus tard, ce Blonde (ou Blond selon l'artwork). Tout a déjà été dit sur le rapport entre le contenu de ces disques et l'évolution d'Ocean, ainsi que sur l'habile tour de passe-passe qui lui a octroyé le plein contrôle de ce disque, et l'indépendance vis-à-vis de sa maison de disque.

  Non, on ne va pas reparler de tout ça, je vous conseille d'aller fureter sur internet, vous trouverez de très bons papiers (en anglais souvent) là dessus. Ce que je peux vous dire par contre, c'est que ce disque est putain de beau. J'ai d'abord eu une période de doute concernant les deux fournées 2016 de Frank, que j'ai trouvées au départ pas mal, un peu brouillon, trop dures d'accès, mais quand même... Un truc, un je ne sais quoi de plus, m'a fait revenir encore et encore sur ces albums. Jusqu'à ce que, petit à petit, à force de fouilles plus intensives je prenne mes repères dans ce riche corpus, et que j'en comprenne enfin l'architecture, laissant toute sa beauté m'éblouir. Bref, j'ai passé mon été à courir sur les bords de Loire, sous le caniar, avec Blonde et ENDLESS dans les écouteurs. Si j'avais à donner mon disque de l'été a posteriori, ce serait donc Blonde sans hésitation. 

  Tout est parfait, de "Nikes" à l'instrumentation typique de ce qu'on pourrait attendre d'un morceau de Frank Ocean (comprendre rnb électronique et mélancolique baigné dans le hiphop), mais aux effets vocaux déstabilisants puis obsédants, à la déchirante ballade entre indie rock et soul "Ivy", jusqu'à un "Pink+White" confortablement soul, comme un Marvin Gaye actualisé. Le chant est parfait, la production moderne et exigeante, avec un son particulier, empruntant autant à ses influences habituelles qu'au rock, à la pop et au folk indés, pour un son très particulier, entre chaleur soul/rnb et un son froid, "blanc" et clinique d'une précision chirurgicale. Ca s'entend même sur des titres plus soul comme "Solo" et "Godspeed" aux orgues 70s revus et corrigés. Et sur deux des meilleurs titres du disque avec "Ivy", le magnifique "Self Control", qui doit beaucoup au folk visionnaire de Bon Iver, et le pop-folk électronisé "White Ferrari" qui cite les Beatles.


  Le mélange entre pop indé et rnb est une réussite bluffante, sur le brumeux "Skyline To", où de discrètes guitares pastorales côtoient des synthés qui auraient pu figurer sur Mummer de XTC, et un chant rnb. Idem sur le presque ambient "Seigfried". C'est encore plus marquant sur "Pretty Sweet" qui utilise des guitares presque punk, des choeurs mystérieux qui auraient pu se retrouver sur un Midnight Juggernauts, un Justice ou un Klaxons, et une rythmique quasi jungle. Sur ce titre, on pense aussi aux (bonnes) dernières expérimentations rnb-rock du collègue Miguel

  Ce mix, augmenté d'une dose d'électronique, accouche d'une chanson pleine de qualités et accrocheuse sur "Nights". L'électro-rnb à la James Blake (et donc indirectement Bon Iver) de "Close To You", et celle alternativement noisy (le street recording) et autotunée de "Futura Free", sont tout aussi excitantes.

  Frank sait aussi gérer ses invités avec brio, en les utilisant par petites touches imperceptibles comme Kendrick ou Beyoncé, ou de façon plus forte comme le moment de bravoure d'André 3000 sur "Solo (Reprise)", absolument mémorable entre ce piano grave et ces glitches électroniques. Les interludes sont par contre moins marquants, à part le bon "Good Guy". "Be Yourself" gâche un peu les réécoutes, comme "Facebook Story" même si ce dernier a le mérite de conter une histoire à la fois marrante, édifiante et terrifiante.

  Bref, ce disque est un chef-d'oeuvre, un autre monument à créditer au génie de Frank Ocean, qui non content d'être un des chanteurs à la signature vocale et aux techniques de chant les plus marquants et les plus importants de sa génération, se double d'un auteur et d'un compositeur-producteur avec une vraie vision artistique et un talent monstrueux. S'il ne fallait qu'une preuve que le gars est la relève de monstres sacrés comme D'Angelo, et pas un épiphénomène, elle est là, dans ce magnifique album (écoutable ici).


Alex


2 commentaires:

  1. D'accord sur toute la ligne (blonde), ce type a un talent monstre qu'il exprime d'une manière unique dans le monde pop actuel (ce crossover subtil musiques noires et blanches).
    C'est un album fascinant, touchant et très attachant.
    Le seul mini bémol de mon côté serait un petit manque de nerf du son/instrumentation, sur la longueur (contrairement au dernier D'Angelo)...

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    1. Merci pour le commentaire :) Tout à fait d'accord avec toi, d'ailleurs c'est un vrai parti pris, la production est très claire et aérée, et il y a peu de rythmiques. C'était encore plus visible sur ENDLESS je trouve.
      Ca donne un côté plus monotone à l'ensemble c'est vrai, mais ça a ses avantages : grosse homogénéité du son, et nécessité de recourir à plus de subtilités dans les mélodies, les arrangements et l'interprétation puisque l'attrait rythmique n'est pas là. Ca donne aussi une vraie personnalité à ce disque et ça reste une démarche artistique radicale assez unique pour un disque aussi pop et grand public, et donc à saluer.
      Pour ma part je ne ressens ce manque de nerf qu'un peu sur ENDLESS et pas du tout ici, mais je comprends tout à fait ton point de vue.
      Merci de ton passage ;) A bientôt !

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