Les aventures musicales de deux potes

Les aventures musicales de deux potes

mercredi 13 septembre 2017

DeMarco & Co 2017 : Mac DeMarco, Infinite Bisous & Jakob Ogawa - L'influence DeMarco/Mockasin


Mac DeMarco - This Old Dog (2017)

  Un album de Mac DeMarco, c'est toujours un événement. Pas pour des raisons extra-musicales, pas pour son charisme un poil slacker dans l'esprit, pas pour le retentissement médiatique (relatif, on parle d'une presse très spécialisée). Mais parce que chacun de ses disques est impeccable, suffisamment différent du précédent et réalisé avec un soin total pour susciter un intérêt toujours renouvelé. Pour This Old Dog, un déménagement a forcé l'artiste à ré-enregistrer des chansons jouées depuis longtemps et déjà présentes sous formes de démos, ce qui n'est pas dans sa façon de travailler habituelle très spontanée. Il en résulte une collection de chansons très travaillées, avec un soin apporté à chaque détail. Et ça s'entend dès "My Old Man", au texte très personnel et bien foutu, qui annonce bien la couleur du disque : folk avec des petites touches synthétiques. 

  Plus proche des précédentes sorties dans l'esprit, "This Old Dog" est une magnifique ballade downtempo qui, malgré sa guitare réminiscente de la pop-rock indé futée et créative des années 90, Pavement et Elliott Smith en tête, doit presque plus aux crooners des années 30-40 qu'à tout ce qui a suivi. Un peu comme "Baby You're Out", country-folk imprégnée de psyché doux façon Donovan et d'une créativité vocale assortie d'une folie attachante rappelant Harry Nilsson. Les légères touches de clavier et les percus discrètes mettent bien en valeur le génie du songwriting initial. Autre influence qu'on n'aurait pas imaginée, Paul Simon (voire ses descendants de Vampire Weekend), flagrante dans l'écriture souple, pop au parfum de classique "One Another", qui se paie également des inflexions vocales à la Dylan (retrouvées sur "A Wolf Who Wears Sheeps Clothes") et une guitare à la Doobie Brothers sur la fin. Le folk-rock FM sous-estimé de ces derniers infuse également le beau "Still Beating". Mais la force de DeMarco, c'est que ça ne sonne jamais rétro ou vintage, il a vraiment un son à lui, ce discret mélange de guitares et de synthés, tous gavés de chorus, qui a changé le son de la pop comme on le verra un peu plus bas.

  Ce son irréel, on l'entend sur "Sister", tellement dépouillée et émouvante qu'on croirait une compo d'Alex Chilton, mais là encore avec un chant de crooner et toujours cette voix poétique et éraillée, qu'on associe avec Pete Doherty. Côté folk, on a aussi une folle cavalcade quasi uniquement instrumentale de 7 minutes pour "Moonlight On The River", expérimentale comme peut l'être une des autres grosses influences en termes de son pour la pop moderne : Connan Mockasin.

Mac DeMarco

  Et puis il y a les chansons à dominante synthétique, souvent stellaires, d'une beauté irréelle et nocturne, proches du dernier Homeshake (normal, Pete Sagar est son claviériste attitré), voire même du dernier Tame Impala. Ces sons presque chillwave ou vaporwave de claviers détunés apportent un côté vraiment déchirant aux morceaux concernés, sur un album déjà bien intimiste et émouvant même sur les morceaux plus folk. On parle des merveilleuses "For The First Time", "Dreams For Yesterday" qui sonne très musique de films, l'aquatique et dramatique chanson "One More Love Song", entre piano bar jazz et Beatles période Abbey Road. Et puis surtout la merveilleuse "On The Level", électro-funk froid ultramoderne immédiatement obsédante, comme si Dr Dre avait co-produit le New Order des débuts. Un classique instantané. Comme "Watching Him Fade Away", suite d'accords renversante au son tellement bossé qu'on dirait du James Blake apaisé, assortie d'un chant dépouillé de DeMarco.

 Un grand album à écouter ici. Et comme je l'ai dit, le tandem DeMarco/Mockasin a révolutionné le son de la pop, et je vais vous en donner un exemple tout de suite avec le disque d'infinite bisous, projet du britannique basé en France Rory McCarthy, qui a joué de la guitare pour Mockasin et de la basse pour DeMarco (on ne fait pas plus direct comme lien !).
infinite bisous - W/Love (2017)

  Le combo synthés détunés / électro caressante et mélancolique (ici bien représentée par la superbe "Brake"), guitares pleines de chorus et voix trafiquées comme chez LA Priest et Soft Hair que je viens d'évoquer est poussé à son paroxysme via la créativité de McCarthy, qui y infuse des éléments funk/rnb à la Sly Stone / Bootsy Collins sur un thème classique pour un expatrié ("Lost In Translation /1" et "/2"). Il s'y permet même une outro synthétique quasi gospel.

  C'est d'ailleurs un miracle qu'un bassiste et guitariste aussi doué soit également génial claviers et électronique en mains, comme sur "Naughty Tears" qui incorpore les textures IDM dans une pop cinématographique comme peu de gens en dehors de Air savent le faire, ou sur le japonisant "Teen Sex", dans l'esprit du dernier Cornelius. Ou sur "The Past Tense", proche de LA Priest et James Blake, avec là aussi des influences nippones.

Rory McCarthy

  Vous entendrez bien la parenté avec DeMarco sur des titres comme l'excellentissime "Confused Porn", mais vous y découvrirez surtout la voix unique d'un artiste qui, comme la plupart des gens qu'on a cité depuis tout à l'heure, est trop malin et créatif pour se limiter à un plagiat, mais sait comme tous les grands puiser dans les bonnes idées des autres des bases solides pour y exprimer sa propre sensibilité. Et parfois, il s'en affranchit carrément comme sur "Why Should I?" qui ne ressemble à personne d'autre, ce mélange de rnb et d'électro-rock lo-fi permettant mille dosages inédits, du DAMN. de Kendrick Lamar qui en était gavé à Homeshake en passant pas infinite bisous, la moitié du label Stones Throw et Jakob Ogawa comme nous allons le voir après. Autres morceaux aliens : "Terminally (Lovesick)", jazz-folk futuriste en avance de quinze ans sur tout le monde, et "Life + You", tube underground qui devrait être un tube tout court.

  Bref, c'est un super bon disque. A écouter absolument (ici par exemple), et à chérir. Comme le très bon EP du jeune (19 ans!) norvégien Jakob Ogawa, sur lequel nous allons maintenant nous attarder.



Jakob Ogawa - Bedroom Tapes (2017)

  Alors là, ça va être simple : c'est un énorme chef-d'oeuvre d'électro-pop avec un chant rnb divin. Claque immédiate de la syncope sensuelle de "Up And Away", d'une douceur vocale quasi jazz, à "Let It Pass", un des meilleurs singles de ces dernières années, aussi bien écrit qu'un Beatles, aussi pur qu'un Beach House et aussi bien chanté qu'un disque de la Motown

  Mais tout le reste est à niveau : le duo masculin/féminin avec Clairo "You Might Be Sleeping" est exquis, bon comme un classique pop et moderne dans l'exécution, "Perfect Sweet Boy" est réminiscent de DeMarco, Mockasin, Bon Iver et Prince en même temps, donc il ne peut être que bon, et "Next To Me" met en avant le côté funky et crooner agile d'Ogawa, passant d'une voix basse au fausset en un instant et avec grâce. 

Jakob Ogawa

  Un seul regret (enfin deux) : que la belle "You'll Be On My Mind" (2016) et surtout la merveilleuse "All Your Love" (2017), rivalisant presque avec "Let It Pass", ne soient pas présentes sur l'EP. Sinon, c'est une vraie perle que cet EP beau à pleurer, en écoute par là.


Alex


14 commentaires:

  1. Ah pas mal cette arborescence autour de DeMarco.. Mockassin via McCarthy. Sinon je découvre Jakob et Bisous

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    1. Eh.. j'ai pas encore trouvé, laisse moi le temps de pécho ;D .. j'ai pas 23 ans moi :D

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    2. J'écoute quasiment tout en streaming moi. Pas besoin de payer en plus, sur Deezer ou spotify web player tu peux te connecter à partir d'un compte facebook ou Google (que tu peux même créer juste pour ça au final) et t'as pas besoin de payer. Bon y'a des pubs, mais y'a des bloqueurs aussi, à toi de voir, les pubs c'est irritant mais ça rémunère l'artiste. Enfin la plateforme surtout mais un peu l'artiste quand même.
      Sinon y'a youtube ;)

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    3. Yes je sais.. c'était pour vanner ;D (suite aux comm chez Dev). J'ai noté les 2 nouveautés sur un bout de papier. Me trimbale encore avec casque et stockeur de mp3. Pas de connexion pour moi en dehors de mon ordi..et j'écoute principalement ds les transports.. sauf la chaine à donf, mais là c'est carrément les disques :D
      J'ai tjrs un temps de décalage et une file d'attente ds mes écoutes. Je découvre plein de trucs ici, ces pages sont précieuses et je bousille pas mal de carnets post-it. Sinon, pas question de payer non plus ;D

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    4. Héhé ! Moi ça passe directement de l'écoute via l'ordinateur à l'achat physique si ça me plaît

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  2. Belle et pertinente analyse de l'excellent "This Old Dog". Perso, c'est sans problème un des disques made in 2017 je préfère, avec ceux de Slowdive, Arcade Fire, Flotation Toy Warning, Lamomali, Grizzly Bear, Feist, Black Angels, Kevin Morby, Ride, Real Estate, Brian Jonestown Massacre, Fleet Foxes....bref, cette année sera surement un très grand cru !!!
    La connexion Mac DeMarco - Connan Mockasin, en temps que rénovateur voir révolutionnaire du son Pop moderne, est tout aussi juste et pertinente. Je ne connaissais ni Rory McCarthy et son projet infinite bisous, ni Jakob Ogawa. J'ai donc écouté rapidos ces 2 disques. Très vaporeux, élégiaque et bucolique, une pop jazzy et électro-synthétique en mode lo-fi à écouter à dose homéopathique (enfin, pour moi).
    A +
    Francky01

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    1. Bon cru en effet ! Et excellent DeMarco en particulier !
      J'adore ta sélection, même si j'ai pas encore totalement accroché à certains faute d'écoutes peu nombreuses et/ou distraites, c'est peut-être amené à changer (Black Angels, Ride, BJM, Feist), et que M m'a énormément déçu même si je n'en attendais rien (c'est fort !).
      De mon côté, ces climats vaporeux c'est vraiment en boucle et ça fait partie de ce qui m'accorhce le plus dans la pop moderne, mais comme tu le dis c'est affaire d'affinités avec des ambiances, des textures, des sons différents.
      Merci beaucoup pour ton commentaire et à bientôt, avec plaisir ! :)
      Alex

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  3. Pas d'accord sur un point concernant Mac DeMarco (d'accord avec tout le reste y compris sur le fait que le disque est très bon) : ça sonne parfois vieux, surtout avec ces synthés cheaps puisant dans les années 80. Clairement.
    Mais par contre, je te rejoins : il a son son à lui, et ça n'est jamais rédhibitoire (même pour moi qui n'aime pas trop les années 80).
    Parfois les synthés me font penser à un truc du genre du Sensual Seduction de Snoop Dogg, sans que ce soit rédhibitoire là non plus.
    DeMarco est donc un génie pour rendre ce truc digeste par chez moi.
    Je connais pas les deux autres par contre.

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    1. Vieux dans quel sens ?
      Les synthés "détunés" comme ça, l'abus de chorus sur la guitare donnant un aspect "vinyle abîmé" au son, c'est à la fois "vieux" en termes de son, puisque ça émule le vieillissement en quelque sorte, et terriblement moderne dans l'approche, c'est une des tendances lourdes de tout un pan des jeunes groupes faisant de la pop et du rock. Et au final ce qui est intéressant, c'est la distorsion entre le "modifié pour faire vieilli" et le son réellement vintage. Le décalage, volontaire ou non, créé un truc nouveau. Tout comme le mellotron, censé émuler un orchestre, est intéressant précisément parce qu'il n'arrive pas à son but et a donc un son propre permettant de développer toute une esthétique nouvelle.
      Content que ça te plaise malgré les synthés donc ! Tu as entendu le disque de Homeshake, Fresh Air ? A mon avis aussi bon mais bien plus chargé en synthé et davantage dans une approche électronique. Potentiellement ça te plairait moins mais on sait jamais !
      Ce que tu dis est très pertinent, le génie de DeMarco c'est aussi de savoir plaire à beaucoup tout en faisant son propre truc, très perso et sans concession.
      Je me souviens de ton affection tout à fait légitime pour "Sensual Seduction", que j'adore également.

      Pour Ogawa, écoute "Let It Pass", et si t'aimes pas c'est pas la peine de continuer. Pour infinite bisous, y'a moyen que ça te plaise, y'a un côté ambient qui frôle parfois les textures IDM, mêlé à de la pop. Mais c'est difficile d'en extraire un seul titre représentatif à te faire écouter... Peut être "Life+You" ?
      Tu me diras si tu as aimé, si tu as le temps d'écouter ça bien sûr :)
      Merci et à + !!

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    2. Oui, oui, je suis évidemment d'accord sur le fait que ça ne sonne pas rétro de la même façon que ça se faisait dans les années 80 (la comparaison avec le mellotron pour illustrer cet aspect est très judicieuse) mais quand même, le Mac DeMarco regarde dans le retro plus que dans le telescope (ma comparaison est foireuse, là par contre).
      Tout ça pour dire, et ton message semble laisser penser que tu es d'accord, que DeMarco a envie de sonner rétro, même si son génie lui permet d'aller ailleurs. Et il finit parfois par être avant-gardiste, mais j'ai l'impression que c'est presque malgré lui.
      Ogawa, j'ai plutôt aimé le Let It Pass, mais je sens que ça ne peut pas me passionner au-delà d'un titre.
      Le Life+You d'Infinite Bisous, par contre, ça ressemble davantage à ma came ! Beaucoup aimé.

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    3. D'accord avec toi sur DeMarco !
      Cool pour Infinite bisous

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  4. Très intéressant ce format qui met vraiment en valeur les liens qui unissent ces artistes.
    Je crois que c'est lors de l'interview avec Lewis Ofman que j'ai vraiment compris la révolution qu'a apporté Mac Demarco dans la game. This Old Dog marque vraiment l'aboutissement d'un genre qu'il déploit ici en toute simplicité et d'une façon qui semble très spontanée (malgré cette façon de (re)composer dont tu parles. Il n'a pas besoin de pousser, de s'exiber, de faires des gros tubes. Seule sa composition se déroule impécablement.
    Merci pour la découverte du Jakob Okawa. Un très grand EP. Le côté RNB dont tu parles est vraiment intéressant !

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