Les aventures musicales de deux potes

Les aventures musicales de deux potes

dimanche 1 octobre 2017

Jazz 2017 : Eric Shaefer & Nubya Garcia


Eric Schaefer, Kazutoki Umezu, Naoko Kikuchi, John Eckhardt - Kyoto Mon Amour (2017)

  J'avais été bluffé par le précédent disque d'Eric Schaefer avec ses Shredz,  que j'avais classé parmi mes albums préférés de l'année 2016. J'attendais donc avec impatience la prochaine sortie du jazzman allemand. Le batteur et compositeur s'entoure ici de Kazutoki Umezu à la clarinette, Naoko Kikuchi au koto, et John Eckhardt à la basse, pour un album qu'il a voulu comme un pont entre les musiques occidentales et asiatiques après plusieurs séjours marquants au Japon et en Corée. 

De g. à dte : N.Kikuchi, K.Umezu, E.Schaefer & J.Eckhardt

  Qu'il soit dans un registre plus jazz, entre piques free et cool presque champêtre accentué par la magnifique clarinette d'Umezu, au rendu inédit grâce à l'utilisation du koto japonais ("Shoshu-San", composée par Shaefer ou "Hiei-Zan Nightfall"), ou dans un registre mêlant presque pop-folk et jazz ("Kussa Karu Otome", composée par Hiromu Handa, le grand joueur de koto, qui pourrait ravir plus d'un admirateur de Radiohead, tout comme "Ticket To Osaka"), le line-up émerveille. "Kansai Two-Face" fait presque le pont entre le son de ce disque et le jazz-rock avec son rythme enlevé et son tranchant bienvenu. Un superbe morceau.

  Le Japon rencontre le jazz plein de velours des 80's sur "Santoka's Walk" pour un résultat évidemment très cinématographique, alors que "Hiroshima Mon Amour" est quant à lui une reprise du thème de Georges Delerue & Giovanni Fusco pour le film du même nom. Ce qui est fou, c'est qu'à la première écoute de la version de Schaefer & ses acolytes, j'étais persuadé d'avoir entendu un piano, alors qu'il n'y en a pas. Mais le jeu collectif et tous les différents instruments font comme apparaître en filigrane un son de piano fantôme et compensent tout à fait son absence, pour une reprise magistrale de ce grand thème.


  Sur un disque de Schaefer, on s'attend à du free dissonant et en même temps assez fantastique dans le sens où il reste assez accessible et joue parfois de l'exagération pour créer des climats évoquant davantage des peurs d'enfants qu'une tension adulte ("Tengu"), avec un côté presque fantaisiste, un côté conte merveilleux. Cette tension est par contre palpable sur "Rokudan", qui utilise bien l'aspect mystérieux de la musique orientale. La petite touche de folie est aussi audible sur "Tohoku", composée par Umezu, où le groupe utilise le koto comme une mandoline italienne pour une belle ballade romantique riche en saccharine, qui peut à mon avis s'écouter au premier degré qu'au second voire au troisième. A la différence de "Shadow In The Woods", qui navigue en eaux troubles entre le romantique et le dissonant pour un résultat doux-amer subtil et magnifique. 
  Et pour conclure ce disque, un bonus ! C'est une reprise de la "Pavane de La Belle Au Bois Dormant" de Maurice Ravel qui fait la part belle au koto de Kikuchi. 

  C'est donc un merveilleux disque de jazz, qui peut cependant être apprécié par des néophytes grâce à son accessibilité, et qui ravira les amateurs par son côté relativement inédit, même si les mariages entre jazz et musiques japonaises ont déjà donné de beaux résultats, celui-ci a vraiment une âme propre.


Nubya Garcia - Nubya's 5ive (2017)

  La jeune londonienne est déjà une grande du saxophone et du jazz en général. Et ce, bien qu'elle ne se définisse que comme une "artiste influencée par le jazz" (cf l'article de l'excellent webzine Djam), rejetant toute forme d'élitisme ou de rejet des non connaisseurs. Elle est d'ailleurs autant influencée par le jazz modal que par les rythmes éthiopiens ou les beats hip-hop hérités de J Dilla ou des disques nu-soul de Lauryn Hill ou Erykah Badu ("Lost Kingdoms"). La musique caribéenne que ses parents écoutaient l'a également profondément marquée, et notamment les fanfares, influence marquante de "Hold", et des carnavals sur "Fly Free", qui incorpore subtilement cette influence lointaine (écoutez les percussions et le piano) dans un jazz très classe et classique, assez new-yorkais du côté du saxophone.


  La fin d'album est une magnifique leçon de jazz, entre l'ample et intense "Contemplation" et le classieux et syncopé "Red Sun". Avec en bonus une version alternative de "Hold" pleine d'urgence : entre percus caribéennes tapageuses et au saxophone tranchant. 

  Déjà une figure de la riche scène londonienne de jazz, aux côtés de monuments comme Shabaka Hutchings, Garcia est une artiste versatile et ouverte, elle a déjà collaboré avec de nombreux jazzmen, ainsi qu'avec le groupe de post-punk électronique Polar Bear entre autres divagations hors du champ jazz, et prévoit que son prochain album exploitera lourdement les effets électroniques. 



  Bref, après ce chef-d'oeuvre inaugural, Garcia est une artiste cruciale, à suivre absolument. Et en attendant ses exploits futurs, (re)découvrez ce Nubya's 5ive par là !

Line-up :
Nubya Garcia (saxophone)Joe Armon-Jones (Piano)Moses Boyd (batterie)Daniel Casimir (basse)Femi Koloeso (batterie)Sheila Maurice-Grey (trompette) and Theon Cross (Tuba)



Alex


2 commentaires:

  1. Deux belles découvertes pour moi. Particulièrement Nubya Garcia dont tu décris avec beaucoup de pertinence le style, ce groove éthio jazz et ces sons rcaribéens, ce style fanfare et une certaine retenue New Yorkaise. Un gros gros coup de coeur.
    Eric Shaefer tout aussi intéressant, dans un style étonnament cadré, à mi chemin entre jazz, musique traditionnelle/populaire et la musique classique. Du classique que l'on retrouve autant dans la composition que dna sl'interprétation, notamment à la clarinette.

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