Les aventures musicales de deux potes

Les aventures musicales de deux potes

lundi 9 octobre 2017

Sacrée semaine ! : Moses Sumney & Kelela 2017


Moses Sumney - Aromanticism (2017)

  Deux des albums les plus intéressants de l'année sont sortis en même temps vendredi 06 Octobre 2017 : Aromanticism de Moses Sumney et Take Me Apart de Kelela. 

  Révélé par Frank Ocean, ayant tourné avec Sufjan Stevens, ayant participé à la chanson "Mad" de Solange et Lil Wayne, on se doutait que le californien Moses Sumney voyait la musique comme quelque chose de trop grand pour être confiné dans des genres étriqués. Mais l'ampleur de cet album est inouïe. Imprédictible. En effet, à l'aide d'acolytes prestigieux, comme le formidable jazzman éclectique Thundercat à la basse, ou Matt Otto (du groupe de pop-rock indé Majical Cloudz) à la production, Sumney dépasse tous les cadres de la musique. 


  L'album démarre comme un disque de pop baroque 60's avec les choeurs de "Man On The Moon (Reprise)" et le psychédélisme folk de "Don't Bother Calling", porté par des arpèges beaux comme du Radiohead, une voix quelque part entre Prince, Smokey Robinson, Marvin Gaye, Sam Cooke, Thom Yorke, ANOHNI, et Tim Buckley


  La pop indé qui en ressort fait autant penser aux climats froids et immaculés de Grizzly Bear qu'à la nu-soul d'Erykah Badu, au chant éraillé mais plein de soul de Sly Stone ou Connan Mockasin ou qu'à l'opéra intimiste du dernier Arca dans ses flashes de cordes. Le dépouillement total de "Doomed" (qui possède un très beau clip dispo ci-dessous) vous fera penser à ce dernier et à Yorke, et vous émouvra surtout au-delà du raisonnable.

Moses Sumney - Doomed (2017)

  "Plastic" évoque dans sa beauté pure le meilleur de la bossa, ainsi que la soul/rnb teintée de folk de Lianna La Havas, les inflexions jazz de Tim Buckley ou de Joni Mitchell


  "Quarrell" continue sur un rythme presque calypso avec une ambiance easy listening presque désuète et un chant carrément gospel comme un Cee-Lo Green sensible, porté par des montagnes russes folk-rock dignes d'A Moon Shaped Pool. Le folk presque pastoral d'"Indulge Me" filera aussi directement dans la catégorie petite merveille.

Moses Sumney - Plastic (Live, 2017)

  La construction méticuleuse de l'album et sa grandeur sont aussi reflétées dans les interludes "The Cocoon-Eyed Baby" et "Stoicism" dont le field recording et le spoken word sur une prod presque ambient rappellent autant les dernier Blood Orange (THE album de 2016) et Frank Ocean que le travail d'Arthur Russel. D'autant plus que ce morceau se fond dans un "Lonely World" d'abord dissonant puis psyché-folk puis quasiment house avec un aspect minimaliste façon Terry Riley dans la répétition de la boucle principale et son enrichissement, ainsi que des percussions afro-jazz merveilleuses et une basse virtuose sur la fin. D'ailleurs, ce titre (lui aussi doté d'un très bon clip, cf ci-dessous) n'est jamais aussi bon que dans le contexte de l'album, qui se révèle être bien plus que la somme de ses parts tant il est bien construit. 

Moses Sumney - Lonely World (2017)

  Le rnb sensuel de "Make Out In The Car" est accompagné d'une merveilleuse flûte et de ponctuations orchestrales qui, mêlées à l'électronique, rappellent Sufjan Stevens. Et le rnb expérimental de "Self-Hate Tape" déroute tant il foisonne d'une vie complexe et belle. 


  Pour ne rien gâcher, l'artwork est sublime, et l'axe suivi par les textes basés autour du concept d'"aromantisme", c'est à dire le questionnement autour de la place du couple dans notre société (a-t-on toujours besoin d'un l'autre ? peut-on être heureux seul ? peut-on imaginer d'autres formes de liens, d'autres vies ?) est original, personnel, touchant et hyper intéressant. 

  Bref, un des albums de l'année, si ce n'est le numéro (on verra ça avec le recul), que je vous recommande de toutes mes forces d'aller écouter (par ici par exemple).






Kelela - Take Me Apart (2017)

  Avec une sensibilité différente, qui est la sienne, la chanteuse Kelela brasse elle aussi des influences larges et dépassant largement le cadre du rnb dans lequel on pourrait trop facilement la cadrer, par paresse intellectuelle ou par préjugés raciaux. La production est en effet ultra-moderne, très électronique, avec un côté néo-80s, et le chant oscille entre rnb, soul, rap, et pop. Dès l'introductif "Frontline", on entend tout ça. Le côté insistant, presque ambient de la prod, presque dystopique aussi (on n'est pas loin de Blade Runner dans l'ambiance), les inflexions trap des rythmiques et de la voix du refrain, la douceur de velours qu'elle invoque pour les couplets. Ce n'est pas pour rien qu'elle est signée chez Warp.



  Ce mélange rétro-futuriste et ultra-moderne, ayant pour thématique principale l'amour charnel (visible sur les très beaux visuels et la pochette), est aussi très audible dans "Waitin", qui évoque tour à tour Mariah Carey, Michael et Janet Jackson, et Timbaland. Ou "Take Me Apart", qui mêle une électronique multicolore post-dubstep à la Son Lux, un rnb classique des 90's, une pop accessible de mégastar des années 2000 et un son deep house assez anglais. Prenant un chemin opposé sur "Enough", Kelela noie le mix sous des nappes de synthé écrasantes et oniriques soutenues par sa voix puissante et belle et propulsée par une rythmique martiale. Presque de la dream-pop, dans une démarche proche de Grimes ou Crystal Castles à leur plus apaisé. Comme "Blue Light", qui sonne weird comme la Madonna de "Music" ou Björk à son plus énervé, sur une prod proche du 808s & Heartbreaks de Kanye West passée à la moulinette d'un post-dubstep musculeux et d'une trap agile.



  Mais l'apogée de ce mélange, c'est le superbe single "LMK", à la prod à la fois rétro et moderne (entre Timbaland, Arca et Mike WiLL Made-It en gros), et aux vocaux carrément rnb. Et avec un clip sombre qui est un immense hommage aux superproductions de l'époque. Dans le même genre, "Truth Or Dare" étonne avec un break absolument génial, entre Prince, Dâm-Funk et Jai Paul.

  Sur "Onanon" planent les fantômes des divas de plusieurs générations (des girls group à Beyoncé et SZA en passant par les girls group 60's, Aaliyah et tant d'autres) le morceau es ultra-mélodique et impressionnant vocalement, et arrive à rendre ultra-tubesques et énormes des arrangments et une construction pas si évidents que ça. Ce côté soul et rassembleur est également bien exploité sur la mélancolique "Altadena", très jacksonesque également dans ce chant incroyablement touchant et dans cette instru néo-80's. 

Kelela - LMK (2017)

  On pense également à MJ, ainsi qu'à Nao, sur la douce ballade hypermoderne et atmosphérique "Jupiter". Égalée en beauté par la suivante, "Better", avec un feeling soul froid à la Blood Orange ou Solange. Ce sens du dénuement et du storytelling dans un chant à forte personnalité parcourt aussi "Turn To Dust" magnifiée par des arrangements orchestraux parfaits, et trouve son point d'orgue sur la très belle "S.O.S". On retrouve cette même démarche, en mode trap-pop, sur "Bluff"


  En bref, l'album est vraiment bon, c'est un incontournable de cette année et un grand pas en avant pour l'artiste qui a mis longtemps à le fignoler, ce qui a fini par payer.


Alex



  

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