Mea culpa. J'avais pris à tort SCH pour un clown, ou un rappeur de seconde zone à ses débuts, période "Champs Elysées" (même si le choix de la très belle prod soulignait déjà une oreille affutée). Et malgré quelques titres auxquels j'ai accroché plus tard (comme "Anarchie" en 2016), j'ai un peu laissé le train passer sans m'y intéresser plus que ça, avec une curiosité distante on va dire pour ce jeune rappeur atypique, volontiers nihiliste et visiblement à vif. Il faut dire que Julien Schwarzer de son vrai nom, a parcouru du chemin depuis ses débuts. A peine plus vieux que moi (il a 25 ans), il a rencontré un succès incroyable (ce dernier disque a été certifié or en une semaine), et monté son propre label, Baron Rouge. Ça c'est pour le côté pro, qui a son importance puisqu'il a désormais son studio, et s'enregistre seul (il est son propre ingénieur), ce qui lui libère un espace créatif déterminant.
Mais c'est côté perso qu'il a vécu l’événement fondateur de ce disque : la mort de son père. Figure paternelle impressionnante, distante mais adulée, un peu crainte mais respectée, son père est mort d'un alcoolisme que SCH lie directement au travail excessif qui usait son père, gros bosseur faisant de gros horaires ; travail intenable imposé par une société qui pressurise ses classes les moins aisées pour offrir davantage à ceux qui ont déjà tout. Cette colère, cette rage, SCH les a injectées dans une histoire, volontairement romancée, d'une succession à la suite du décès d'un père, grand chef mafieux (Otto) à son fils, Julius (racine latine de Julien). Derrière le voile pudique de l'ambiance film de gangsters, genre plus qu'adapté au rap, Julien/SCH arrive donc à glisser ses ressentis sur les relations père-fils, la notion d'héritage, le deuil, les remords, le temps qui passe, entre autres. Et c'est ce qui fait toute la réussite de ce disque inattendu (pour ma part).
SCH - JVLIVS - Absolu Tome 1 (Court Métrage, 2018)
Des interludes racontés par José Luccioni, célèbre doubleur français (Al Pacino, Le Parrain, Stargate SG-1, Lord Of War, Aliens, Nip/Tuck...), structurent cette histoire qui par sa profondeur montre un SCH ayant prodigieusement gagné en maturité, sachant mieux canaliser sa fureur, et davantage apaisé, avec un vrai recul sur la vie. Il a gagné en épaisseur (au sens propre également, ça se voit physiquement, il fait mieux dans son corps). Loin de plomber l'album, ces interludes sont une merveilleuse idée, et l'enrichissent au contraire dans son aspect narratif comme dans sa musicalité (ce qui est un petit exploit, on perd souvent en efficacité à force d'imposer une narration en musique, cf la majorité des opéras rock, ou le dernier Lemon Twigs par exemple).
Musicalement, l'ambiance cinématographique (illustrée par le court métrage ci-dessus JVLIVS - Absolu Tome 1, premier d'une trilogie à venir, et les clips) se traduit par des prods certes devant beaucoup à la trap, mais ultra travaillées, remplies de détails inattendus pour le genre : des cordes voire des orchestres entiers, pas mal de guitare sèche, quelques choeurs à la limite du grégorien parfois. Tout ça entretient une ambiance méditerranéenne unique. Et, gage de cohérence, l'ensemble (à l'exception de 3 morceaux sur 14) a été produit par Katrina Squad / son fidèle Guilty.
SCH - Pharmacie (Clip, 2018)
Les titres sont très travaillées, prenants. Que ce soit dans de gros bangers traps sombres tels "VNTM", "Pharmacie", absolument géniaux, ou des morceaux plus à nu comme "Tokarev", "J't'en Prie" ou "Mort de Rire" SCH s'en sort à merveille. Autre réussite totale, "Otto", chanson la plus frontale du projet, mêle texte hargneux et blessé à la fois et instru mélancolique inattendue (cloche gothique, hits orchestraux impromptus façon nu-disco, nappes vocales new age, violons, xylophone...), pour un résultat bouleversant. Je ne vais pas vous spoiler en citant des extraits de textes, mais n'hésitez pas à ouvrir Genius en écoutant l'album pour en saisir toutes les images et les sous-textes à plusieurs niveaux.
SCH - Otto (Clip, 2018)
Cet album est rempli d'OVNIs, comme "Skydweller", dont le beat est un son d'horloge filant à toute allure, et comporte (entre autres) une guitare hispanisante, un clavier deep et un saxo, qui permettent à SCH de varier les flows, le rap et le chant avec une maestria telle qu'il sonne presque en feat avec lui-même. Là encore, le fait qu'il ait une culture "classique" et érudite du hip-hop et notamment du rap français l'aide, comme Alpha Wann dont on a parlé récemment, à kicker avec une exigence certaine comme les anciens tout en utilisant les variétés énormes de flows modernes, ce qui donne un alliage imbattable, contrairement à des types overhypés comme Koba LaD qui vont vite se retrouver bloqués une fois leur gimmick épuisé (c'est déjà lassant sur moins de 3 minutes...). C'est d'ailleurs de ce délire rap 90's que vient l'idée du fil conducteur sur un album, avec des "skits" à l'ancienne, version blockbuster ici.
Autre exemple d'étrangeté musicale, "Ivresse & Hennessy" sonnerait presque comme du The Weeknd ou du Travis Scott entre autotune, claviers néo-80's et sens mélodique rnb. Mention spéciale à sa coda au piano bien foutue, preuve d'un perfectionnisme tangible dans la construction des morceaux. Même les quelques morceaux moins marquants ("Facile", "Prêt à partir" avec Ninho, ) recèlent de bonnes idées et sont loin de faire remplissage. De manière générale, le milieu du disque est son point faible, après 7 titres de folie l'intensité descend un peu, avant de remonter pour une fin de haute volée.
SCH - Le Code (Clip, 2018)
D'abord, on a "Le Code", produit par le petit génie Pyroman ("Réseaux", "Salé", "Mwaka Moon", "Tu le C",... je vous encourage à regarder cette petite vidéo sur son travail, le mec a l'air d'avoir les pieds sur terre en plus). Le titre est génial, ses couplets sont des refrains et ses refrains des hymnes (belle gestion du chant et des effets vocaux), le travail sur les rythmiques et les guitares est incroyable, et c'est sans doute la porte d'entrée la plus facile sur cet album assez dense (le clip, très beau, aide également à poser le ton). C'est d'ailleurs comme ça que le voit SCH, qui y voyait un défi : faire de l'accessible, de l'universel, sans dénaturer son album et en essayant d'être crédible dans un registre plus pop. Un autre morceau remplit ce cahier des charges : "Ciel Rouge" et son électrofunk étonnant (comme le "91s" de PNL mais en mieux). Un autre gros point fort du disque, tout comme "Incompris", en plus rap, et a fortiori "Bénéfice", le morceau de bravoure planant et épique qui clôt le disque avec sensibilité, dans un délire PNL (mais avec un texte bien écrit) voire Damso, bref du bon.
Ce disque est dense, un poil exigeant (il demande quelques écoutes avant de bien rentrer dedans), mais il récompense vite l'auditeur persévérant. Son délire cinématographique servant de prétexte à une musique recherchée et surtout à des textes incisifs et profonds, reflets de la maturité nouvelle de SCH et centrés autour de l'héritage et de la relation père - fils. Un très grand disque de rap français, dont le succès public et critique est mérité. Ça va être dur de faire aussi bien pour les deux suites annoncées. A suivre...
Si vous avez apprécié l'album, je vous conseille cette excellente interview par Clique, et cette autre très bonne itw par OKLM
Mes morceaux préférés : VNTM, Pharmacie, Le Code, Tokarev, Otto, Skydweller, les interludes
Alex
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