Deux albums de 17 titres en deux semaines, c'est impressionnant. Même pour le rythme de la scène hip-hop issue de la trap d'Atlanta. Même pour Future. Et c'est un peu effrayant, le bonhomme ayant déjà tendance à se disperser sur diverses sorties par an, souffrant chacune de remplissage, alors que la somme des meilleurs morceaux de chacune de ces sorties constituerait un énormissime album de rap, parmi les meilleurs de l'année en question.
Pourtant, avec ces deux albums, le pari est réussi. Une fois accepté le fait que Future ne fait pas dans la perfection mais dans l'instinct, on apprécie l'oeuvre malgré les longueurs. C'est particulièrement vrai pour FUTURE, dont je vais d'abord parler.
Future - FUTURE (2017)
Le bal s'ouvre très fort avec la trap dantesque de "Rent Money", un banger implacable (on fait difficilement plus efficace). Un uppercut à côté duquel même des tout aussi lourds que "Good Dope", "Draco", "Massage In My Room" et "Super Trapper" (même si j'adore la tension de cette dernière) paraissent plus mous, alors qu'individuellement ils se tiennent super bien. "Poppin' Tags" s'en sort bien quand à elle, ce single saturé frappe tellement fort avec son ambiance néo-80s bien sale que la comparaison tient avec le premier titre. Certes, cet aspect sombre et brutal de la musique de Future est connu, on est dans la redite, mais l'expérience aidant, l'ensemble est cohérent, les flows sont efficaces même si moins flamboyants qu'auparavant et les intrus sont enveloppantes et plus variées que par le passé (cf "Zoom" et "POA", très bonnes sur ces deux plans).
Et puis il y a cet OVNI, "Mask Off", ma préférée ici, avec son sample de flûte de samouraï (piqué à la merveilleuse "Prison Song" de Tommy Butler) à la Kill Bill, d'une grâce infinie, aussi belle qu'obsédante. Le flow du morceau est simple mais lui aussi assez hypnotique, et le rendu est une leçon de rap minimaliste. J'adore la tension trap, urbaine et nocturne d'un titre comme "Super Trapper", mais la facette de la musique de Future qui me touche le plus est ce blues électro-pop ultra-mélancolique qu'il développe sur des titres comme "Mask Off" (merci le sample soul/funk) ou anciennement "Codeine Crazy". D'ailleurs, "High Demand" et "I'm So Groovy" sont de parfaits exemples de ce rap émotif, aussi ébauché sur "Scrape" et "Flip" qui font un peu "larmes amères derrière la façade de dur à cuire". Dans l'ensemble, après un début d'album plutôt hardcore, l'armure se fend sur la seconde moitié, où le nombre de chansons plus fragiles se multiplie.
Et pour revenir sur les influences soul/funk, assez nouvelles (en tous cas dans ces proportions) dans les instrus de Future, elles apportent un vrai plus, un supplément d'âme et un vrai vent de fraîcheur dans sa musique, comme sur "Outta Time", une autre de mes préférées ici. Le piano soul-jazz de "Might As Well" porte un morceau très intéressant, qui permet d'entendre aussi l'influence de cette musique sur le flow de Future qui se fait davantage soul/gospel/rnb un peu à la Ty Dolla $ign, ce qui est une bonne chose ici puisque ça marche à merveille. Il y a une vraie maîtrise et un travail sur la voix, et même sur les morceaux très trap comme "Poppin' Tags" cette chaleur soul ressort davantage que par le passé. L'illustration parfaite, c'est la fin de l'album : "When I Was Broke" est carrément électro-pop/rnb et soul, tandis que "Feds Did A Sweep" ressort les flûtiaux pour un morceau plus pop, doux-amer et mélodique. Dois-je le préciser, ce sont deux grandes réussites. La mue peut passer inaperçue au sein d'un album aussi vaste, très trap et uniforme (pas de feat) à la première écoute, mais qui se révèle avec le temps. Mais elle est bien là, aussi indiscutable que maîtrisée sur FUTURE, album dense mais assuré et assumé. Et elle est encore plus prégnante sur HNDRXX, comme nous allons le voir tout de suite.
Future - HNDRXX (2017)
C'est flagrant dès l'intro, celui-là est plus électro-pop, plus aéré, loin des beats mitraillette de la trap. Cette intro, c'est l'angélique "My Collection", à la prod impeccable et immaculée, et au flow émouvant. C'est très fouillé, écoutez ces petits échos dub, ce jeu sur les choeurs, les beats, les filtres, les effets de voix, les inflexions de Future.... C'est du grand rap moderne. Ca commence très fort. Cette excellence sur tous les plans se retrouve sur les autres tubes électro-pop d'exception du disque : "Lookin Exotic", qui transpire encore un peu la trap, ou la géniale "Fresh Air", uuuultra pop, entre Drake, Travis Scott, électro-pop mainstream et gospel autotuné. Sur ces prods Future se déploie avec talent et explose. Vous l'aurez deviné, l'orientation pop et le côté mélodique ont fait en sorte que ma préférence aille très vite à celui-ci dans un premier temps.
La diversité des instrus est une des clés de HNDRXX. On l'entend avec le côté presque new wave revisités de "Incredible", et son étonnant synthé basse tendu comme une guitare. A côté de sommets comme ça, même de bonnes chansons aux prods intéressantes par rapport aux standards passés de Future comme "Testify" ou "Keep Quiet" ouverte sur les Caraïbes et l'Afrique semblent convenues. D'ailleurs, ces influences dancehall-pop ressortent sur "I Thank U", tube potentiel plutôt réussi (à la PARTYNEXTDOOR) à la guitare blues-rock aussi inattendue que bienvenue.
Et on passe en mode full rnb avec The Weeknd sur "Comin Out Strong". Les deux font la paire, on a vu leur alchimie naturelle sur les classiques "Low Life" et "Six Feet Under", voilà le dernier de la trilogie. Moins subtil mais très, très efficace. Et puis "Turn On Me", moins forte mais qui a son charme (en bonus, des trompettes synthétiques géniales en conclusion), de même que "Solo", moins inspirée mais agréable. Mais ça ne marche pas toujours, "New Illuminati" est moins consistante, "Selfish" avec Rihanna est trop grossière, et dans l'ensemble la fin de l'album est plus faible.
Par contre, un autre truc réussi, c'est ce coté soul, façon Ty Dolla $ign (ou oserais-je dire comme chez le concurrent Young Thug, façon "Highlights" ?), saute aux oreilles sur la très fraîche "Neva Missa Lot", le très bon "Damage", la vaporeuse "Hallucinating", et un peu sur "Use Me" qui a aussi un côté pop indé qui rappelle un peu, outre Thugger chez Kanye, Blonde de Frank Ocean, mais aussi bizarrement le Bon Iver lyrique et grandiose des deux derniers albums (sisi refaites vous le refrain). Intrigant, et là encore, réussi. Le piano de "Sorry" apporte aussi un côté pop indé, voire musique de film, à une chanson déjà excellente où Future réussit à émouvoir avec brio.
Au final, les deux albums sont les deux faces complémentaires d'un double album (qui s'appellerait logiquement Future Hndrxx, "Future Hendrix" étant le surnom de l'alter ego le plus expérimental de Future). La tête et le corps (cf les pochettes ying et yang l'une de l'autre, ce jeu sur le flou). FUTURE est plus rentre-dedans, plus dense long en bouche. Comme un joyau brut, il nécessite plusieurs écoutes avant de se révéler. Le plus pop et aéré HNDRXX s'apprécie plus facilement, plus rapidement, et ne s'essouffle pas tant que ça même si lui aussi connaît quelques longueurs.
Au final, malgré la tendance au remplissage, les temps morts ne sont pas nombreux, les hauts fréquents et hauts, les bas pas si bas que ça, et la somme de travail est aussi titanesque en qualité qu'en quantité. Ce double album confirme un truc que beaucoup de monde savait, mais que peu réalisaient vraiment : ça y est, Future est un grand du rap, inscrit dans l'histoire du genre. Il a son magnum opus (pour le moment, attendons la suite, il a les moyens de se surpasser), et même si comme beaucoup de classiques hip-hop, il aurait gagné en impact en gagnant en précision, je peux affirmer que les gens (moi compris), reviendront pendant longtemps réécouter ces albums, redécouvrir certains de ces morceaux. Le temps fera son oeuvre, et on verra bien si on considère dans 5 ou 10 ans cette énorme oeuvre d'art comme un classique ou juste comme une bonne doublette d'album, mais toujours est-il que pour le moment, Future a réussi sa réinvention.
Alex
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