Cette semaine, les débuts de la musique électronique sont à l'honneur sur La Pop d'Alexandre & Etienne, avec un album par jour présenté jusqu'à dimanche dans le cadre de notre deuxième édition de La Semaine De La Pop.
Joe Meek était un producteur fou. Mais génial. Le fameux "Telstar", tube électro-pop de 1962 (!) par les Tornadoes, c'était lui. Incapable de jouer d'un instrument, il avait ses symphonies pour western électro-rock en tête, sifflait chaque partie à ses musiciens qui s'exécutaient, et bidouillait les sons dans tous les sens en utilisant le studio comme un instrument à part entière 15 ans avant tout le monde (overdubs, reverb, compression, jeu sur les bandes et j'en passe). C'est un peu le Brian Eno du rock instrumental à la Shadows. Autant dire qu'on l'adore sur LPAE, on a d'ailleurs évoqué ce disque lors d'un jeu interblogs (ici) dans lequel il fallait parler d'un disque répondant au thème "Une Musique d'Une Autre Planète Ou Presque".
Les autres planètes, il en est question sur ce disque. Meek, obsédé par la conquête de l'espace (on est un an après le lancement de Sputnik), se demande à quoi pourrait ressembler une musique de l'espace. Et se lance dans cet ambitieux projet solo. Mais ce fou du son, n'étant pas musicien comme je l'ai dit, a besoin d'une base, d'une matière sonore à triturer. Ce sera donc le groupe de skiffle The Blue Men de Rod Freeman et... des sons de la vie de tous les jours, de l'eau dans un évier, des bouteilles... Et les passe, piste par piste, dans sa moulinette magique de filtres, d'échos, de reverb (un peu comme un précurseur de la dub) pour créer cette musique de science fiction aussi comique qu'intrigante, et belle.
Le morceau le plus connu est le plus "conventionnel" dans sa construction et son chant, l'ouverture "I Hear A New World", connue car reprise de belle façon notamment par les géniaux Television Personalities, ou They Might Be Giants. Ce morceau est une pépite : mélodique, doté d'un chant et de paroles obsédants et mélancoliques et d'une rythmique hypnotisante au son psychédélique (avant l'heure), il s'impose comme un classique intemporel de la pop.
Le côté western / rock instrumental des early 60's s'entend sur "Orbit Around The Moon", mais remixé avec un orgue spatial au son clinique, des bruits étranges et des bleeps de satellite. La pop de saloon de "Disc Dance Of The Globbots" est quand à elle gavée de reverb pour y insérer un aspect à la fois nostalgique et moderne. Et ça fonctionne à merveille. Le même traitement est imposé au piano honky tonk et à la steel guitar de "The Bublight", ce qui transforme ce qui aurait pu être un morceau country-pop classique en un déchirant monument d'électro-pop mélancolique et futuriste qui arracherait presque des larmes à toute personne sensible.
Et "Dribcots Space Boat" est presque un morceau de saloon revu façon musique concrète, la revisite est aussi étonnante que magistrale. Idem pour la musique de western de "Magnetic Field", du moins dans sa conclusion, car toute sa première partie est en fait une longue plage d'ambient sombre et prenante. Comme l'intro de "Valley Of No Return", dans laquelle Meek joue habilement (sur la seconde partie du morceau) de la saturation et de la dissonance qu'elle induit.
De longs passages électroniques se font aussi entendre, notamment le solennel "Glob Waterfall", très musique de film, ou le début d'"Entry Of The Globbots", qui introduit les "voix d'extraterrestres" présentes sur plusieurs morceaux du disque (en fait des voix pitchées dans les aigus). L'effet est forcément comique (cf "March Of The Dribcots" qui n'a rien à envier au "Chapi Chapo" de De Roubaix pour le côté régressif et ludique cachant un vrai trésor électro-pop).
D'autres morceaux, également dans une veine électro-pop, impressionnent : "Love Dance Of The Saroos" et son psychédélisme aquatique et saturé préfigure les hippies avec plus de 7 ans d'avance et la coldwave avec 16 ans d'avance. Un groupe la sortirait aujourd'hui (La Femme ?), on n'aurait rien à y redire tant elle sonne hors du temps et toujours pertinente. De même, "Valley Of The Saroos" aurait pu être sur un disque récent des Flaming Lips et tout le monde aurait trouvé le morceau génial voire novateur dans son genre. C'est là qu'on mesure tout le génie de Meek : avec des moyens rudimentaires et beaucoup de bricolage, il a réussi non seulement à créer une oeuvre sans égale à l'époque, mais carrément indémodable. Ça aurait pu très vite sonner daté et fatigant, mais c'était sans compter sur son goût très sûr concernant "ses" sons, et son évidence mélodique.
Vraiment, l'oeuvre est bluffante, touchante, elle force le respect pour sa vision totale et pionnière autant qu'elle émeut par ses mélodies poignantes et sa production très personnelle, indépendamment de toute conception historique.
Joe Meek était un grand, un authentique génie même, et son destin tragique nous a sans doute privé d'un sacré paquet de classiques. Mais, parmi son oeuvre foisonnante de producteur, qu'il nous a heureusement léguée, cet album prend une place toute particulière car il concrétise la vision très personnelle d'un homme d'exception sur la musique électronique. Et demeure plus que jamais un disque fondateur et influent. Et c'est pourquoi il a toute sa place cette semaine sur LPAE.
Alex
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