Pour ce premier disque de 2018 abordé sur le blog, j'ai choisi un disque prenant, peut-être difficile d'accès pour certains mais intense, radical et très personnel. J'ai nommé Somewhere Else (label : Wharf Cat Records), de Profligate, groupe américain pensé au départ comme un projet solo du bassiste Noah Anthony, du groupe Social Junk, et rejoint depuis peu par Elaine Kahn (connue sous le nom Horsebladder) pour former un duo complémentaire, sa voix féminine contrebalançant le chant grave d'Anthony et leurs bidouillages électroniques se combinant à merveille.
L'album complet (youtube)
Comme la très classe pochette l'indique, on est dans un territoire musical très influencé par le post-punk industriel anglais. L'album démarre d'ailleurs sur la chanson "Somewhere Else", dans un gargouillis électronique froid et désolé, dans lequel une basse fuyante égrène quelques notes, introduisant une voix susurrée désespérée, à peine consolée par quelques synthétiseurs fragiles d'une beauté calme et triste rappelant les débuts des Cure. Le morceau s'achève dans un crescendo industriel noisy introduisant l'électronique gothique, hachée et menaçante de "A Circle Of". Les morceaux, déjà longs en eux-mêmes, s'enchaînent parfaitement sans discontinuer et forment un tout immersif et hypnotique. Cette dernière chanson joue entre le doux et le violent à merveille, et à coups de basse ronde et de synthés entêtants, Profligate contrebalance le rythme martelé digne d'un Portishead à son plus énervé, les sirènes noise descendantes des Throbbing Gristle et le dub noir et plombé cousin du travail de Public Image Limited.
Après ce morceau difficile, "Enlist" allège un peu l'ambiance, malgré les sirènes bruitistes, l'arpeggiator de synthé se faisant accessible, la voix douce de Kahn apportant un côté pop et la basse bondissante faisant groover le tout. Anthony nous livre une interprétation obsédante de crooner new wave, quelque part entre The Horrors, un Depeche Mode période Black Celebration et la synthpop la plus dark de l'époque ou The Fall et Killing Joke pervertissaient admirablement les ondes. La construction du morceau plus classique en couplets-refrains aide pas mal également.
Profligate - Lose A Little (2018)
"Lose A Little" poursuit dans une ambiance sombre, avec un côté feutré (cette rythmique pulsatile, presque cardiaque), injectée d'éléments dub (d'intrigants échos), voire pop (la voix de Kahn encore, proche de celle de Kim Gordon de Sonic Youth, et les claviers presque Stranglers). Kahn, par ailleurs poète, se livre même à une courte récitation, presque mystique. "Black Blate" permet à cette dernière de poursuivre admirablement l'album, sa voix blanche soutenant à merveille un groove minimaliste cousin du meilleur de The xx, perturbé par des bidouillages brillants rappelant tout le bien que les groupes mixtes ont fait au psychédélisme (Fifty Foot Hose, United States Of America, Stereolab, Heliocentrics, Siouxie & The Bansheed, Young Marble Giants...) et les petites touches synthpop fort accessibles ne sont pas sans évoquer avec plaisir les excellents Human League.
Profligate - Black Plate (2018)
"Jet Black (King Of The World)" poursuit dans une veine plus électronique, trippante, obsédante, comme chez Odonis Odonis pour citer un groupe récent que j'adore. Cette musique, entre pop, psyché et indus est vraiment unique, combinant le meilleur des mondes : l'accessibilité et la profondeur radicale. Et "Needle In Your Lip", bouleversante et portée par Kahn, conclut admirablement ce premier chef-d'oeuvre de l'année grâce à une fragilité, une tension forçant l'attention. La chanson, comme l'album, se tient sur un fil, en équilibre au dessus du vide, prête à vaciller à chaque instant, mais tient debout in extremis grâce à une multitude de petits miracles sonores.
Premier (et seul pour le moment, même si on a déjà quelques trucs très sympa à écouter) grand disque de l'année, ce Profligate a déjà marqué 2018, je vous le recommande très chaudement, si possible sans rien faire d'autre, et au casque ou sur une très bonne chaîne. Dans le noir ou quasiment, en soirée ou de nuit, ce serait top.
Bonne écoute !
Alex
Je ne connaissais évidament pas le groupe, mais je partage pleinement ton enthousiasme. Tu l'évoques un peu via le parallèle fait Portishead, mais les influences anglais 90's Trip-Hop m'ont vraiment beaucoup marqué à l'écouet de cet album. Ils ont tout comme les pioniers de Bristol, cette façon envoutante de faire de la musique avec du bruit, donnant ce cachet industriel. De Bristol à Manchester, la progression de l'album est alors très intéressante avec cette translation vers le post-punk 80's anglais, nous faisant plonger dans un univers plus "obsédant" comme tu le dis, inquiétant, voire même malsain. Jet Black casse toute fois cette dynamique, mettant pleinement en valeur ce morceau qui arrive pile au bon moment. Le rendu global y est inévitablement et éminament british, en témoigne toutes les références que tu cites et je dois avoué avoir été surpris en lisant sur tes lignes que le groupe était américain. Merci pour cet article très intéressant et cette belle découverte.
RépondreSupprimerMerci ! :)
SupprimerTrès Manchester en effet, content que tu aies apprécié, je trouve que de manière générale internet n'a pas assez parlé de ce disque