Je reviens de loin avec PNL. J'ai pas compris tout de suite. J'ai détesté, méprisé de loin à la première écoute. C'est pas très dur, de loin, de se moquer de tics musicaux ultra inhabituels, d'onomatopées autotunées délivrées avec beaucoup trop d'emphase, de phrases qui riment pas, de références à Simba ou Mowgli. Mais petit à petit, en réécoutant quelques titres qui m'avaient quand même accroché par leurs prods au départ, je me suis fait l'oreille au style des deux frères des Tarterêts, et j'ai commencé à entendre leur apport dans ce mélange finalement assez subtil entre voix très travaillées en studio aux flows complémentaires, sur des instrus souvent planantes mais en réalité assez variées. Et j'ai entendu également quelques fulgurances au niveau des textes, confortablement installées entre une absurdité et un truc bien vulgaire pour que seuls les initiés puissent l'apprécier.
D'ailleurs, au risque d'insister, je pense vraiment que pour un groupe comme PNL, au style extrêmement marqué, il faut de toutes façons plusieurs écoutes (et probablement quelques références de rap FR et US) avant de se faire l'oreille et de savoir si on apprécie ou pas le genre ou si c'est juste trop éloigné de ce qu'on écoute d'habitude pour y comprendre quoi que ce soit. Un peu comme le café, le vin, le jazz ou le métal, le rap, et en particulier ce sous-genre post-autotune qui n'a pas encore de nom nécessite quelques essais et portes d'entrées pour être assimilé. Tout le monde ne va pas aimer, loin de là, mais faut au moins essayer correctement avant de balancer un avis trop définitif, sinon ça peut se retourner contre vous assez vite (cf moi).
PNL - Au DD (Clip, 2019)
J'ai accéléré la cadence de réécoute et de redécouverte après la sortie du 3e single issu de cet album, "Au DD" (au détail), ce dernier étant particulièrement accrocheur, avec son instru à base de guitare qui brouille les pistes entre les genres (honnêtement, on pourrait être au début d'une chanson de pop-rock indé sur l'intro). Sur ce morceau, quelques fulgurances dans le texte également, et surtout deux flows encore plus carrées que par le passé, donnant un côté massif, tubesque à l'ensemble, ce qui est accentué par un clip gargantuesque, beau et impressionnant, filmé sur la Tour Eiffel (rien que ça).
Évacuons déjà les deux autres singles, plutôt bons, en évoquant "91's" et son électrofunk californienne très cool, légère, apportant une dose de fraîcheur au sein d'un disque assez plombé, ainsi qu'"A L'Ammoniaque", belle ballade presque chanson française, toute en guitare, sans beat, qui se découvre et s'apprécie avec les réécoutes successives.
Le début d'album, jusqu'à ces deux singles justement, paraît un peu plat à lapremière écoute. Mais là encore, "Autre Monde" se révèle rapidement une excellente track, certes posée mais riche et bien foutue. "Chang" me touche moins, elle est pas mal construite du tout, avec un côté très "gros", mais justement, à l'inverse d'"Au DD", ce côté énorme fait plutôt balourd et un peu vide. "Blanka" est un peu mieux, grâce notamment à une bonne 2e partie d'Ademo, mais il lui manque également un petit truc à mon goût. Mais à partir de là, tout décolle. Je dois juste mentionner "Zoulou tchaing", tentative à mon sens ratée de crossover avec la variété française (à la "Petite Fille" de Booba), qui n'est pas non plus nulle (le début du texte est génial). Si je la met un peu à part, c'est qu'à part elle, tout est impeccable à partir de là.
PNL - A L'Ammoniaque (Clip, 2018)
Les prods sont incroyables, à l'américaine, et les flows tabassent. "Celsius" est une implacable bombe trap, et "Deux Frères" est un tube pop-trap total. "Coeurs" est un rnb mémorable, "Shenmue" une électro-pop de jeux vidéos accrocheuse. Sur "Kuta Ubud", les deux frères inventent presque un langage à eux, il faut aller sur genius pour vérifier qu'ils ne chantes/rappent pas en patois, ce qui est assez fun, et musicalement ce gros egotrip trap minimaliste fonctionne bien. Tous ces morceaux sont de haut niveau.
Moins indispensables mais néanmoins très réussis dans leur genre, les hispanisant "Hasta La Vista" (plus rythmée, c'est un peu leur "Narcos" (Migos) ou "I Like It" (Cardi B) pour filer l'analogie avec les ricains) et "La misère est si belle" (ballade triste) font le taff.
Mais ceux qu'on retient, en grande partie parce qu'ils innovent au niveau sonore, ce sont d'abord "Menace", trip US à la Rae Sremmurd / Travis Scott, avec une instru pop-trap bondissante, tremplin à une première partie d'Ademo mémorable et un couplet inattendu et addictif de N.O.S. Incroyable. Puis "Déconnecté", qui est un trip néo-80's psychédélique cosmique et épique (cette guitare, ces grosses drums, on se croirait chez le Sébastien Tellier prog de la période My God Is Blue). L'utilisation de toutes les modifications de la voix à des fins dramatiques atteint ici des sommets rarement atteints, on pensera uniquement à la noirceur de Future ou aux épopées trap-rock de Travis Scott. Une autre track qui fait du neuf en renouvelant la formule du duo.
Une bonne intro au groupe, via l'excellente émission "Le Règlement"
Petit point texte : en parcourant l'album, on note pas mal de fulgurances comme je le disais, et dans l'ensemble les textes (et les flows, au passage) sont vraiment plus solides que ce qu'ils ont été par le passé. Le groupe touche souvent juste lorsqu'il évoque les sujets d'amour fraternel, de famille et d'héritage, mais également lorsqu'il étale son amertume face à une réussite cruelle pour eux, au regard de ceux qu'ils côtoyaient il n'y a pas si longtemps et qui sont restés dans la merde. Leur regard acéré sur la noirceur des mécanismes de reproduction sociale, et leur illustration par des images émouvantes car vécues font d'ailleurs leur force, et certains couplets pourraient sans problème être disséqués en cours de sociologie.
Ben voilà, je crois que j'ai tout dit. Le disque est un peu long, et aurait sans doute bénéficié de quelques coupes, mais il est tout à fait écoutable tel quel, on n'est pas encore rendus chez Migos. Car la majorité de ces titres oscillent entre le très bien foutu et l'excellent, dans leur genre. Et ça fait plutôt plaisir de voir que ce qui cartonne en France aujourd'hui, c'est un disque produit en indépendant par deux mecs partis de rien, qui ont créé en autarcie dans une cité délaissée par le monde entier un style à eux, qui a rayonné par la suite à travers le monde entier, sans le soutien d'une majorité de médias qui n'y connaissent rien et qui préfèrent recracher sourire aux lèvres et chèque dans la poche le communiqué de presse de Patrick mes couilles ou d'un juré ou candidat à la con de The Voice.
Les chiffres ne mentent pas, et une bonne partie de la jeunesse francophone voit en eux les Pink Floyd/Daft Punk de leur génération, et sans aller dans des comparaisons foireuses, et peu importe ce que vous pensez d'eux, est-ce que ce n'est pas au fond une bonne chose que ces icônes générationnelles soient issues de la classe populaire et qu'elles aient créé un style unique, insulaire, plutôt que de sortir, prémâchées, de la grosse machine de l'industrie du divertissement ? D'autant plus quand leur musique rapproche des catégories sociales diverses et humanise tout une partie de la population dont vous n'entendez parler qu'à travers le prisme ultralibéral et raciste des chaînes d'info en continu.
Bref.
Merci PNL.
Mes morceaux préférés : Au DD, Déconnecté, Menace, Celsius, Deux Frères
Alex
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