Tame Impala, c'est sans doute le plus gros groupe pop-rock de la décennie qui vient de s'écouler. Repéré avec le cotonneux psychédélisme d'Innerspeaker (2010), le vraix/faux groupe de Kevin Parker explose avec le mix John Lennon/ Todd Rundgren / Dungen / Air de Lonerism (2012), véritable néo-classique rock qui traite son matériel de base avec une vision post-moderne, post-sample et post-revival. Il réussit ensuite un tour de force en enchaînant un autre chef-d'oeuvre avec Currents (2015), qui pioche dans la pop synthétique, l'électronique et le rnb des idées pour régénérer le son du groupe et injecte ces nouvelles influences dans des chansons mémorables. A ce stade, il est une superstar, qui passe à la télé, remplit les salles, figure en haut des affiches des festivals, influence des centaines de groupes, et peut collaborer avec pas mal d'artistes venus d'horizon divers, de la pop (Mark Ronson, Lady Gaga) et surtout du hip-hop (Kanye West, Theophilus London, Travis Scott). Ce qui a à la fois participé à sa renommée (il a été repris par Rihanna), et à sans doute ouvert Parker à d'autres manières de concevoir sa musique.
Finalement, après tant d'albums réussis tout au long d'une décennie de succès publics et critiques, ce quatrième LP commençait à ressembler à un sacré défi. Comment se renouveler ? Que faire ? C'est sans doute le lot de tous les musiciens qui atteignent un succès qui les dépasse, et peut polluer leur appréciation de leur propre musique, en y calquant ce qu'ils pensent qu'on attend d'eux. Ça s'est senti dans la conception de The Slow Rush, dont la sortie a été repoussée d'un an, et dont quelques extraits partagés sur les réseaux et un single, l'excellent et bien nommé "Patience" ont été écartés.
Tame Impala - Patience (2019)
Ce single, bien que finalement rejeté de la tracklist finale, laissait deviner une esthétique entre soft rock classieux, disco richement produite à la Studio 54, et accents prog-rock synthétiques, le tout passés à la moulinette psyché pop du groupe. Malheureusement, il a été reçu assez froidement sur le coup par internet, globalement, alors que c'est le genre de morceaux qui se révèle au fur et à mesure des écoutes. C'est quelque chose d'assez caractéristique de cet album sur tous les plans.
D'abord sur la direction artistique, on est clairement sur cette voix, entre pop psychédélique, prog-rock plus ou moins électronique, disco-funk, et yacht rock. Entre Hall & Oates, Genesis, Ashra, Daft Punk, Supertramp, 10cc, Steely Dan, Pink Floyd, Michael McDonald, Fleetwood Mac, Bee Gees, Earth Wind & Fire, Air et d'autres... Finalement, des influences assez rock FM 70-80 qui ont toujours traversé la musique de Parker, surtout depuis Currents, mais qui sont mises davantage en avant ici. Pas de grande réinvention stylistique, mais une direction artistique assez nette, mise en valeur par des artworks sublimes que n'auraient pas reniés nombre de groupes de l'époque.
Ensuite, sur la réception et la qualité de cet album : presque tous les singles ont été reçus mollement, et finalement, à la sortie du disque, beaucoup sont cités comme les morceaux préférés de pas mal de gens. Cela démontre bien que, comme "Patience", The Slow Rush est un album qui s'apprécie sur la durée, à la réécoute, en laissant ces morceaux faire leur chemin dans votre cerveau. Et finalement, entre la continuité stylistique légèrement déviée vers des influences pas si vendeuses que ça (trop vieilles pour les jeunes, trop pop pour les puristes...), et ces morceaux pas forcément percutants à la première écoute mais qui prennent leur envol au fil du temps, Parker n'a pas choisi la facilité pour cet album, tant on sent qu'un album plus frontalement contemporain, tubesque et tourné vers la pop, l'électronique ou le hip-hop aurait été attendu par pas mal de gens.
Tame Impala - One More Year (2020)
Pour parler plus en détail du contenu du disque, je vais commencer par dire que Tame Impala sait soigner ses intros, et ce sur chacune de ses sorties. Ici, "One More Year" pose d'emblée une ambiance unique, avec son vocodeur trafiqué dans tous les sens et sa prod qui sonne comme un remix par Jamie xx d'un vieux Hall & Oates. Cette dernière caractéristique est d'ailleurs une constante du groupe, amplifiée par ses collaborations électro et rap : Kevin Parker est un producteur qui sait composer un morceau à l'ancienne, dans n'importe quel style musical du passé, et qui ensuite va le sampler, le remixer à sa sauce, rajouter des lignes instrumentales jouées par dessus etc... jusqu'à brouiller les pistes entre sampling, programmation, et jeu.
Ce qui fait de ce groupe bien plus qu'un énième groupe de revival. Aucun des morceaux ici n'est un pastiche, parce que ce clavier qui vous apparaît prog peut virer à l'eurodance en un instant, ce beat qui vous paraît funk part sur de la house en deux secondes, etc. Tous ces éléments sont vraiment utilisés comme des briques, avec lesquelles on peut jouer dans tous les sens, et sont toujours détournées de façon créative, nouvelle, belle et fun, contribuant à brouiller vos repères stylistiques et à vous laisser dans un flou musical assez jouissif.
Tame Impala - Borderline (2020)
Le morceau le plus proche de "Patience" est sûrement "Borderline", sorti juste après et remixé un peu depuis pour lui donner une tonalité plus électrofunk, et un impact finalement assez proche des tubes de Currents. Quelques morceaux disco-pop euphorisants comme "Instant Destiny", "Is It True" et "Breathe Deeper" poursuivent dans cette lignée. Et puis le très pop "Lost In Yesterday" qui part vers des horizons nu-disco avec sa ligne de basse massive et son instrumental funky. Plus frontalement house, "Glimmer" étonne presque et réussit le pari de recontextualiser une électro "à l'ancienne" dans un contexte pop-rock.
Tame Impala - Posthumous Forgiveness (2020)
Dans un style plus rock, "Posthumous Forgiveness" est un morceau de bravoure, une longue épopée électro/prog-rock, passée à la moulinette du sampler pour lui donner des proportions épiques comme l'excellente "Let It Happen" dans l'album précédent. Il y a aussi "Tomorrow's Dust", entre Air et pop post-trip-hop des années 90-2000, portée par une délicate petite guitare, et "On Track", qui sonne autant Lennon que Lonerism, mais là encore avec une électronique davantage mise en avant.
Tame Impala - It Might Be Time (2020)
Mais mon morceau préféré ici, c'est sans doute "It Might Be Time", sorte d'équilibre parfait entre tous les styles de Tame Impala au cours de leur discographie, avec un peu de Supertramp dedans. Un vrai bijou, un classique instantané. Dans la même lignée, la longue et épique "One More Hour" est assez terrassante, avec ses grosses guitares, ses multiples parties qui s'emboîtent, on se croirait chez Pond dans la première partie du morceau, avant une deuxième partie pop angélique devant laquelle on reste béat, cloués par ce bon vieil artifice de coller une guitare saturée en fin de morceau.
The Slow Rush n'est probablement pas le plus percutant des albums de Tame Impala, probablement pas leur meilleur d'ailleurs. Mais c'est tout de même un album plus que solide, fourmillant de détails dans lesquels se perdre lors des réécoutes. C'est une intéressante suite directe à Currents, réussie sur une ligne légèrement différente, et c'est déjà beaucoup.
Mes morceaux préférés : One More Year, Borderline, Posthumous Forgiveness, It Might Be Time, One More Hour
Alex
Chez Laspyke j'explique que c'est ton enthousiasme qui me fait écouter ces styles de pop, contrairement à ton regard dans le rétroviseur, il y a quelque chose de très contemporain qui a fait dire à des auditeurs, disons distraits, que c'était de la "soupe". Cette électro, ces arrangements il y a des codes d'écritures qui sont de maintenant, il suffit de regarder ta liste "Hall & Oates, Genesis, Ashra, Daft Punk, Supertramp, 10cc, Steely Dan, Pink Floyd, Michael McDonald, Fleetwood Mac, Bee Gees, Earth Wind & Fire, Air " un carrefour pop que tu n'aurais pas imaginé au siècle dernier. Continue... même si je fais souvent des infidélités à ce genre (à tous les genres en fait)
RépondreSupprimerIl y a de la modernité dans les associations d'idées entre autres en effet.
SupprimerDans la manière de composer et de choisir ses sons aussi, c'est vraiment de la pop post-sampling
Ceux qui se plaignaient regrettaient l'absence de son courant tel guitare etc... Je pouvais comprendre. Je leur disais que il faut se connaître et ses envies du moment pour écouter, cette musique accompagnerait bien une promenade dans un décor en 3D, dans des quartiers villes nouvelles aux airs de maquette par exemple. Tu n'imagines pas le monsieur dans un bar à cowboy où tu viens juste de commander une bière bien fraîche en attendant que le groupe commence. Question: Il a tant de succès que ça, quand tu parles de grande salle remplie?
RépondreSupprimerOuais par contre je comprends qu'on puisse plus ou moins aimer une direction artistique ou un morceau, et moi-même je le trouve moins marquant que ses prédécesseurs. Mais on ne peut pas demander le "chef-d'œuvre + la réinvention" a chaque album, parfois un petit album qui creuse le sillon c'est bien aussi.
SupprimerC'était une des 3 têtes d'affiche de Coachella en 2019, qui est un des plus gros festoches du monde en terme de renommée
On a le même avis je pense :) moi aussi j'attends beaucoup ce qu'il va sortir a chaque fois, je me demande où il va aller après
RépondreSupprimerMagnifique chronique. Pour ma part, j'ai encore du mal, je le trouve plat, alors que j'aimais le fait qu'il se passe toujours quelque chose (parfois trop) sur ses albums précédents.
RépondreSupprimerMais alors que j'avais été déçu par Patience à sa sortie, je m'étonne à l'apprécier à la réécoute (grâce à ton article). Et puis, j'adore Breathe Deeper qui tourne en boucle depuis quelques jours. Peut-être faut-il que je laisse quelques chances à cet album, le temps que ces titres rentrent dans ma boîte crânienne ?
Je suis d'accord avec toi, c'est pas le plus marquant car un peu plat/mou sur certains titres, mais je trouve dommage que beaucoup l'aient balancé après une première écoute distraite alors que pas mal de titres se révèlent a la réécoute.
SupprimerBon après ça ne fera pas du disque un chef d'œuvre mais pour l'apprécier, même un peu, il demande du temps c'est comme ça