Les aventures musicales de deux potes

Les aventures musicales de deux potes

dimanche 16 février 2020

Gang Of Four - Entertainment! (1979)


  Malheureusement, les morts de grands artistes sont trop fréquentes pour qu'on arrive à rendre hommage à tous les musiciens qui nous ont marqués. Cependant, le malheureux décès d'Andy Gill, membre fondateur des Gang Of Four, m'a poussé à accélérer un peu l'écriture de cette chronique qui était en suspens depuis quelques temps. Parce qu'étant amateur de punk, et plus encore de ce qui en a découlé dans la musique populaire, j'ai forcément été happé par ce groupe inclassable, riche de milles influences, tranchant et dansant, radical dans son discours (de gauche, évidemment, vous avez vu la pochette ?), et en particulier par ce disque, qui est probablement un des albums qui revient le plus sur ma platine et dans mon casque ces dernières années.

Gang Of Four - Ether (1979)

  Si ce long format en particulier est celui qui marque, c'est d'abord parce qu'il a la force de frappe musicale des premiers jets. Premier album, plein de rage, d'énergie, d'envie, c'est une suite d'uppercuts rock, de rythmes et de riffs qui claquent, avec presque rien autour, si ce n'est le chant, souvent scandé, régulièrement en question-réponse, et la basse, primordiale, monumentale. Et c'est ensuite, parce que beaucoup était déjà là. Vous n'avez qu'à écouter quelques secondes du premier morceau, le classique incendiaire "Ether", et tout est là. Du rock des années 2000 du Sunshine Underground, Interpol, Strokes, Franz Ferdinand, Arctic Monkeys, The Rapture et cie, en passant par le post-punk des 2010s (Shopping, OMNI, Ought...), les néo-punks minimalistes anglais de Sleaford Mods (voire Baxter Dury), et par des trucs qu'on aime un peu moins par ici mais qui ont à leur tour été très influents (Red Hot Chili Peppers), tout le monde doit un peu à cette formule gagnante riff/basse/beat/chant version Gang Of Four, et tout le monde leur a piqué une idée. Cette manière que la basse a de partir vers des détours jazz ne vous rappelle pas les très actuels Guerilla Toss ? Ce mélange des genres ne vous fait pas penser à Gorillaz lorsqu'il se rapproche du reggae/dub ou LCD Soundsystem lorsqu'il fait danser le punk ? On pourrait continuer longtemps comme ça.

Gang Of Four - Not Great Men (1979)

  Parce que comme le disait le NME, le groupe "semblait avoir compris que le disco s'était produit", et qu'il apportait de la vie dans son punk en y embarquant du funk, des éléments reggae, dub, noise, disco donc, mais aussi presque jazz, il était déjà post-punk dans l'esprit, et ne se contentant pas de détruire l'ordre établi, il tentait de reconstruire derrière. Faire danser sur du punk, sur un texte clairement à gauche, et rendre ça fun, c'est un exploit mais c'est possible ("Natural's Not In It"). Cet esprit punk, presque insurrectionnel ("Guns Before Butter") associé à l'irrésistible attrait de la syncope funk fait des étincelles à chaque morceau, et les classiques s’amoncellent, tous meilleurs que le précédent ("Not Great Men", pas si loin de Devo ou Talking Heads, en plus tranchant). Sur ce dernier comme sur "Damaged Goods", il y a dans la musique un vice, un truc naturellement sexuel, qui vient du fond des âges, du début du rock'n'roll, et d'encore avant, un truc décadent, éternellement jeune, rebelle, transpirant, physique, irrésistible. 

  D'ailleurs, on sent les racines pub-rock du punk sur "I Found That Essence Rare", comme une relecture énergique du rockabilly 50's dans sa composition, ce qui rapproche les GoF d'un autre grand groupe qui a su faire danser et pogoter sur une musique punkoïde à la fois groovy et acérée, les immenses Dr Feelgood. Il y a également un côté très anglais dans "5.45", qu'on peut raccrocher à la glorieuse épopée du rock anglais. 

Gang Of Four - Damaged Goods (1979)

  Le groupe s'aventure lors de courtes incursions (permettant de garder l'accessibilité pop-rock de leur musique tout en en élargissant le champ) sur des terrains limite noisy, atonaux et polyrythmiques ("Glass", "Contract", "Love Like Anthrax"...) et lorgnent parfois vers le dub lors de choix de production bien sentis, par petites touches salutaires (la géniale "At Home He's A Tourist", qui y ajoute une basse et un pied discoïdes pas si loin de Blondie). D'ailleurs, la production, minimaliste comme je l'évoquais, laisse bien la place à chaque instrument, qui se distingue nettement, et est d'ailleurs très claire et propre, ce qui est un choix relativement osé pour du punk, et qui contribue à la fois à l'impact de ces morceaux et leur donne un côté intemporel ("Return the Gift" aurait pu figurer sur les premiers Rapture sans problème). 

  Ce disque est un grand classique, un joyau, un album assez parfait dans son genre, unique, créatif, fondateur. Un chef-d'oeuvre.


Alex


3 commentaires:

  1. Une immense perte que Andy Gill, et pas que pour la musique parce que les tête de GO4...

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