Le très jeune Bishop Nehru (21 ans), protégé du producteur vétéran MF DOOM, a voulu avec ce disque rap sortir un -je cite- "Pet Sounds hip-hop", faisant référence au chef-d'oeuvre de pop baroque, créative et délicate des Beach Boys. Et honnêtement, même si ça n'est pas du même niveau encore, les instrumentaux sont d'une vraie subtilité, avec une section vents complète sur "Driftin'", très bon morceau sur lequel Nehru pose un flow quelque part entre le néo-boom bap de Joey Bada$$ et le rap plus libre de Tyler, The Creator. On doit cette très bonne production à Kaytranada, qui a mis en musique la première moitié de l'album (l'"Act I : Ascension"), tandis que MF DOOM s'est chargé de la seconde ("Act II : Free Falling"). Ces deux parties, clairement annoncées et délimitées à l'écoute par un thème de synthé les reliant (faisant penser à une BO de Zelda d'ailleurs), se fondent plutôt bien l'une dans l'autre sans qu'on y perde en cohérence musicale. Ceci, grâce aux flows de Bishop ainsi qu'aux prods qui sont étonnamment old school pour un Kaytranada qu'on connait plus futuriste avec d'autres artistes ("No Idea", très bonne également).
Bishop Nehru & Kaytranada - Driftin' (2018)
Concernant cette première partie, de nombreuses petites trouvailles sonores, comme la guitare et le piano de "The Game Of Life", viennent enrichir un son certes minimaliste mais détaillé. Les cocottes funky de "Get Away" satisferont les amateurs des Neptunes, et permettent de mettre en parallèle le travail de Bishop Nehru et ceux d'artistes comme Rejjie Snow, ayant mixé une électro-pop dansante à un rap funky et groovy sur Dear Annie cette année, ainsi qu'à la collaboration entre Gorillaz (dont l'album de 2017 se voulait très funky), et Vince Staples dont il emprunte un peu le flow ici. Seule "Up, up & Away" déçoit un peu dans cet acte 1, tournant en rond malgré un refrain rnb des plutôt bons Lion Babe et quelques bonnes idées musicales (les cordes pendant les refrains, les soli de guitare et claviers).
Bishop Nehru & Kaytranada - Get Away (2018)
L'acte 2, géré par MF Doom, est un poil plus old school, avec de bonnes basses 70's serpentant dans des instrumentaux psychédéliques ("Taserz.") ou psyché-funk (superbe "Potassium", grandiose "Rollercoasting", très cinématographique, presque Curtis Mayfield). Sur la superbe "Again & Again" des sons électroniques de cette époque bénie où la musique concrète (Pierre Henry...) rencontrait le psychédélisme (Fifty Foot Hose, The United States Of America...) et les premiers génies du synthé (Jean-Jacques Perrey, François de Roubaix...). Ce morceau rend vraiment hommage à l'ambition folle de l'album. Enfin, "Rooftops" convoque grâce à ses cuivres toute la Great Black Music, de Duke Elligton à J Dilla en passant par Stevie Wonder et James Brown. Si j'avais à choisir, j'ai une légère préférence pour cette seconde partie d'album, certes plus attendue, dans un style classique pour du MF DOOM, mais absolument impeccable de bout en bout.
Bishop Nehru & MF Doom - Rooftops (Clip, 2018)
Bref, même si ça n'est pas le Pet Sounds du rap, cet Elevators : Act I & II est une vraie bonne claque, un excellent album de hip-hop, grâce aux productions des deux génies qui l'ont composé, mais aussi grâce à Bishop Nehru qui tient solidement sa baraque, avec dextérité, même s'il ne brille pas particulièrement techniquement. Très bon disque, inattendu à ce niveau-là de qualité même si l'artiste avait déjà prouvé sa valeur sur ses précédentes sorties.
Ecoutez le donc par ici sur Youtube, ou bien par là si vous êtes plus Spotify ou par ici si votre truc c'est Deezer
Alex
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