Les aventures musicales de deux potes

Les aventures musicales de deux potes

mercredi 7 mars 2018

JPEGMAFIA - Veteran (2018)


  JPEGMAFIA est un rappeur-producteur, descendant d'une lignée de rappeurs particulièrement inventifs n'en faisant qu'à leur tête et mélangeant tous les sons  qu'ils voulaient à leur hip-hop sans se soucier d'être trop peu accessible ou d'en faire trop. On pense à Ol' Dirty Bastard (samplé ici), qui sur Return To The 36 Chambers : The Dirty Version (dont la pochette est évoquée dans l'artwork) poussait plus loin l'esthétique radicale de Wu-Tang Clan, en injectant un esprit punk et des dissonances atonales quasi bruitistes dans un rap parfois granuleux, parfois très accessible. Ou plus récemment, on peut penser aux papes du rap industriel, les Death Grips, eux aussi portés sur l'électronique dissonante et les influences punk, et capables également de mélanger maelstrom noise et digressions quasi synthpop plus consensuelles. On a de tout ça sur Veteran, dont le titre évoque le fait qu'à 28 ans, il ne se sent plus comme un débutant, ainsi que son appartenance passée à l'armée.
Vous voyez la référence ?
Au-dessus : pochette alternative de Veteran, représentant un faux permis de taxi de JPEGMAFIA
Au-dessous : pochette de l'album d'ODB, représentant un faux coupon d'aide alimentaire


  L'album commence doucement avec "1539 N.Calvert", sorte de trap rêveuse et très propre, proche de la pop électronique la plus douce, à peine pervertie par des samples de voix issus de sources diverses (match de catch...), quelques glitches, puis enfin par le rap sec et affirmé de JPEGMAFIA. Pour le coup, cette magnifique piste, très douce, c'est le calme avant la tempête. Dès "Real Nega", qui sample un bruit de gorge d'Ol Dirty Bastard justement, le côté punk et industriel ressort bien, avec une rythmique agressive et des samples oppressants comme tapis pour un rap toujours rèche et assez punk. Cependant, le morceau se termine sur une note plus nostalgique, avec un sample de voix d'enfants et un son de guitare dream pop plein de reverb.

JPEGMAFIA - 1539 N.Calvert (2018)

JPEGMAFIA - Real Nega (2018)

  Sur "Thug Tears", c'est l'inverse, c'est le morceau qui est doux et autotuné, quasi-rnb, et qui est parasité par des textures IDM proches d'Autechre, des rythmiques saccadées et des flashes de rap. Par contre, pour "Baby I'm Bleeding", JPEG joue entre les limites du supportable et de l'addictif avec  une malice non feinte et un esprit rebelle en répétant et triturant ad nauseum un sample de voix ultradécoupé et en s'en servant comme d'un support pour un rap assez old school au ton revanchard. Et en plus, il en rajoute en perçant le morceau de secousses indus. Mais comme c'est hyper bien construit et qu'on est un peu maso, on en redemande. 

JPEGMAFIA - Thug Tears (2018)

JPEGMAFIA - Baby I'm Bleeding (Clip, 2018)

  Tout l'album oscille entre beauté étrange et brutalité. Côté plus "accessible", on a de l'électro-rap ("Panic Emoji") de l'Aphex Twin croisé avec le rap ("1488""DD Form 214" et son côté soul, "I Cannot Fucking Wait Until Morrissey Dies" et son autotune moqueuse), voire même un croisement entre rap et rock indé ("Macaulay Culkin") ou une prod post-trap moderne à la Travis Scott avec un côté post-punk synthétique et gothique ("Williamsburg", "Rainbow Six").

JPEGMAFIA & Yung Midpack - Rainbow Six (2018)

  D'un autre côté, on a de l'indus exigeante et brutale ("Rock N Roll Is Dead", "Whole Foods") ou moins frontale avec quelques échos trap ("Curb Stomp", ou "Libtard Anthem" qui sonne comme si Young Thug faisait un feat avec Death Grips). Avec quelques sorties de route comme l'électrofunk (on entend des échos lointains de Prince, de P-Funk, voire de Delegation) déglinguée et minimaliste de "Germs".

  L'album n'est pas évident à appréhender, il ne plaira pas à toutes les oreilles, mais c'est une vraie expérience et une putain de réussite en termes d'expérimentation. L'approche "je fais le rap du futur" était ambitieuse, mais avec le nihilisme et le rien à foutre qu'il a injecté dans ce projet, JPEGMAFIA a relevé ce défi dingue, et sorti une oeuvre sans pareil, personnelle et impressionnante tout en étant intellectuelle, viscérale voire sauvage et souvent fun. En un mot : incroyable.

Ecouter sur Spotify ou Deezer ou Bandcamp ou Youtube

Alex


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