En ce dernier week-end de novembre, au coeur du festival Culture Bar-Bars, nous avons eu la chance de mixer deux soirs d'affilée. La première fois pour W2G, dont nous nous vous avons précédemment présenté la setlist, et le lendemain, samedi 25/11/17, au bar Le Narcisse, pour la quatrième soirée GMT. Ces soirées ont pour but de faire découvrir des courants musicaux méconnus ou sous-estimés, tout en passant une soirée festive dans un cadre convivial.
Nous avions ce mois-ci décidé de mettre en lumière la musique d'Afrique de l'Ouest des 70's et 80's en abordant l'afrobeat de Fela Kuti et de ses disciples, mais aussi le highlife, l'afrofunk et l'electrofunk pour terminer en warm-up et ainsi passer le relais à Lucas de Méga-Parade. Il a ainsi pu enjailler tout le bar avec un superbe set de disco turque, enchaînant pépites sur pépites. Un magnifique tremplin vers le set de DJ Pépito & DJ Goodil, dont l'irrésistible set Future Funk clôturait cette soirée avec panache, en présentant ces remixes survitaminés de morceaux disco et city-pop 80's.
Un énorme merci à tous ceux qui sont venus partager un moment festif avec nous et qui rendent possible ces soirées, mais aussi à Lucas de Méga Parade qui supervise avec brio toute l'organisation, aux bros Dj Pépito & Dj Goodil, mais surtout au bar le Narcisse pour son accueil généreux ! A bientôt peut être pour une GMT #5 !
A l'occasion du grand retour sur scène du groupe W2G le 24 novembre au bar l'Embuscade à Nantes et dans le cadre du festival Culture Bar-bars, La pop d'Alexandre & Etienne a eu le plaisir de chauffer l'ambiance de la première partie de soirée. Nous avons exploré dans une première partie de set les liens entre bossa nova et french funk 70's, avant d'ouvrir complètement l'horizon musical vers la soul, la pop, le ska, le RnB et le hip-hop, pour ainsi monter progressivement l'ambiance jusqu'au très généreux live de W2G qui a su mettre le feu au bar ! Pour les curieux, voici notre setlist :
Merci à tous pour cette superbe soirée, en particulier au groupe W2G pour nous avoir invités, au bar L'Embuscade pour son accueil enthousiaste et au festival Culture Bar-Bars !
On vous a récemment parlé des deux premiers EP d'artistes français plus que prometeurs. Il y a peu, c'était une mise en lumière du duo nu-funk UTO avec Shelter of the Broken, tandis qu'il était question du producteur Myd tout juste signé chez Ed Banger Records avec All Inclusive au début de ce mois de novembre. Il n'en fallait pas plus pour que les astres s'alignent et que sorte sur le label Pain Surprise un remix du single The Beast par Myd, qui y applique une recette electro-funk de toute fraîcheur. A consommer sans modération !
Aujourd'hui nous abordons un monument du hip-hop américain avec Madvillainy, le premier album de Madvillain, fameux projet du duo MF Doom / Madlib.
Madvillain, c'est avant tout l'histoire deux producteurs ayant fait leur armes durant le golden age du hip hop durant la fin des années 80 et durant les 90's. Ces enfants d'une nouvelle génération black ayant vécu le déclin de la ségrégation raciale, ne souffre pourtant pas moins de ce pays inégalitaire. Ces gars élevés à l'école old-school du sample et des MC ont enfilé les projets et les collaborations, dans un milieu hip-hop underground, loin des Afrika Bambaataa et Public Enemy. Ils se construisent ainsi une solide expérience, MF Doom en tant que producteur, mais aussi de parolier, de songwriter et de chanteur avec son projet KMD et son maintenant célèbre Peach Fuzz. Il s'inspira plus tard du personnage de Marvel Doctor Doom, dont il reprendra le masque, pour se créer sa propre identité visuel, le rendant ainsi reconnaissable parmi tous. Là où l'ancienne génération de musiciens black se rêvait Count (Basie), Duke (Ellington), (BB) King ou Prince, celle-ci se voit en héros, à la manière de Captain Sky, mais bravant l'injustice de cette société et venant à l'aide de cette communauté black. Ce n'est qu'au début des années 2000 et la sortie du film Gladiator, qu'il troquera le masque de Doctor Doom, pour celui de Maximus avec lequel on le connaît maintenant. D'un point de vu du son, il se distingue par une esthétique old-school et son utilisation de samples de vieux films ou émissions TV.
Madlib, beaucoup plus spécialisé sur la production, évoluait lui aussi dans ce milieu hip-hop underground et collabora notamment avec Tha Alkaholiks dont il fut producteur sur leur premier album. Il se plaçait cependant dans une mouvance plus jazz avec son groupe Loot Pack et son très bon Soundpieces: Da Antidote.
Il n'est donc pas étonnant que ces deux producteurs évoluant dans le même milieu musical finirent par se rencontrer et commencèrent ainsi à travailler ensemble dès 2002. Probablement un pic dans leur carrière respective, alors qu'ils avaient acquis assez de maturité musicale, sans avoir encore perdu en fraîcheur et en ambition. Ils sortirent ainsi le premier album de leur collaboration, Madvillainy, en 2004. Le succès est grand et immédiat, les propulsant sur les devants de la scène hip-hop avec leur musique indé et old-school. Pour le resituer dans le style de production très lissée et RnB alors en vogue, sortait la même année R&G (Rhythm & Gangsta): The Masterpiece de Snoop Dogg, avec le légendaire Drop It Like It's Hot en collaboration avec un Pharell Williams qui inondait déjà les charts avec ses productions. On peut aussi citer The College Dropout de Kanye West et son single Through the wire.
Madlib & MF DOOM
Dès le début de l'album, cette production singulière saute aux oreilles, avec l'introductif The Illest Villains, qui utilise l'esthétique de vieux samples tirés du cinéma, propre à MF Doom, pour mettre en scène l'ambiance sombre et violente, tournant à la folie, qui va animer l'album. On notera la discrète contrebasse qui contribue à l'ambiance jazzy, probablement inspirée par Madlib, et donne corps à cette succession de samples. Autre élément singulier, c'est la durée extrêmement courte des morceaux, entre 1 et 3 minutes maximum. Tel un ensemble d'échantillons, les producteurs nous proposent un assortiment de morceaux tournées autour d'un ou deux samples et d'idées simples, développées de façon très minimaliste et concentrée. Ce n'est pas sans rappeller cette manière intense de composer qu'utilisait le punk pour revenir à l'essence du rock et s'opposer au rock progressif en raccourcissant les chansons, tel un bon vieille album des Ramones guitare / basse / batterie / chant. Par analogie, Madvillain arrive ainsi à revenir à l'essence d'un hip-hop rough grâce à cette production qui se contente d'un beat, de samples mélodiques et du flow du rap alors mis en valeur, sans les fioritures d'une production trop riche. La simplicité n'est d'ailleurs pas que l'oeuvre de la production, elle est aussi dans les textes, indemnes de toute marque de voiture ou de "bitch". Elle est même revendiquée, comme sur Accordion "Keep your glory, gold and glitter. For half, half of his niggas'll take him out the picture. The other half is rich and it don't mean shit-ta". Ces titres sont alors entre coupé de nombreuses transitions instrumentales ou de samples, un peu à la manière du récent l'album Orange de Frank Ocean et ses interludes radiophoniques. En ressort une ambiance cartoon, avec des histoires de méchants. MF Doom se pose même en braqueur sur le très bon Curls, contrastant avec le sample très chill de vibraphone.
Les paroles restent cependant sombres, comme sur Shadows of Tomorrow "Yesterday belongs to the dead Because the dead belongs to the past". Musicalement c'est un florilège de références à la soul, au jazz et au hip-hop, sur le flow entrainant et inimitable de MF Doom. Chaque titre y possède une âme propre, comme Accordion et son très éclectique sample de Experience de Daedelus. On remarquera qu'il est assez rare de sampler en morceau sorti si récemment, en 2002 en l'occcurence. Meat Gringer montre lui une facette très jazzy grace à un sample de Sleeping in a jar de Frank Zappa. Raid, autre titre génial de l'album, mélange avec virtuose un sample de Bilan Evans, pour enchainer avec le génial sample du jazz tropical d'Osmar Milito et de son quartet. Je vous parlais aussi du très jazzy 60's Carls et de sa sublime réutilisation de Airport Love Them de Waldir Calmon, qui participe encore à élargir les frontières de cette album. Il faut se rendre compte à quel point ces sons au grain roots et de toutes origines, notamment jazz, sont novateurs et expérimentaux pour l'époque. Des sons que l'ont entendra 10 ans plus tard chez Kendrick Lamar, Flying Lotus ou Thundercat en plus rock. On touche même à des influences plus orientales sur l'inquiétant Shadows of Tomorrow et son sample de Hindu Hoon Main Na Musalman Hoon de Rahul Dev Burman ou sur la transition Do Not Fire! utilisant un thème de Street Fighter.
Figaro est autre exemple de la sombre construction des morceaux, grâce à son sample de In the Begining de Dr Lonnie Smith, en faisant un des meilleurs single de l'album grâce à des paroles saisissantes et un flow extraterrestre, n'étant pas sans rappeller celui du regretté Notorious B.I.G.. Ne passez pas non plus à côté de Supervillain Them, digne des meilleurs génériques de Marvels et probablement le morceau de transition le plus réussi de toute l'histoire du rap. Il résulte pourtant de la simple accélaration en tempo de l'intro d'Adormeceu du groupe brésilien O Terço, mais transcende totalement l'original (allez à 0:15 vous comprendrez). Celui-ci introduisant à merveille le monument All Caps, chef d'oeuvre en ce temple, animé de ce merveilleux sample tirée d'une série TV américaine, Ironside. Sample très coriace à l'oreille de ces génies identificateurs de samples, puisqu'il n'a enfin été identifié que 10 ans après avoir été mis au monde par Madlib. Imaginez un peu la culture du mec! Il illustre à lui seul l'ambiance de l'album et le talent de ce duo hors-norme.
On pourrait ainsi parler en détail de chacun des 22 titres, mais je préfère vous laisser (re)découvrir cette oeuvre d'anthologie.
Sorti cet automne sur le label parisien Pain Surprise, qui rassemble Jacques, Jabberwocky ou encore Futuro Pelo, le premier EP du duo UTO est une vraie réussite qu'on se devait de vous partager sans modération.
Vous aviez peut être déjà entendu la voix de Neysa et les beats de Emile sur leur reprise de Dans la Radiode Jacques, voici donc le leur premier EP, Shelter of the Broken. Imbibé d'influences 90's entre les productions trip-hop de Massive Attack dont ils se revendiquent et la profondeur émotionnelle de Portishead, avec la mélancolique Beth Gibbons, le rendu n'en est pas moins très moderne. Il évoque notamment toute cette vague de chanteuses Nu-Soul/Alternative RnB. Tout comme des Anna Wise avec son The Feminine: Act II ou Nao avec February 15 ou For All We Know, leur musique procède de cette même mise en valeur d'une voix lancinante et détachée, tirant toute sa force dans une habillage électronique où le rythme prépondère à la manière des productions hip-hop. On pense notamment au travail d'A.K. Paul mais surtout à celui de Blood Orange qui lui aussi s'est approprié avec génie l'esthétique late 80's, early 90's dans un utilisation immodérée d'echo, alliant là encore la froideur des boîtes à rythme à la chaleur d'un chant R&B/Soul.
L'EP commence par le hurlement sauvage de The Beat, un magnifique appel onirique aux 90's, n'étant pas sans rappeler le sublime You're Not Good Enoughde Blood Orange avec la somptueuse participation de Debbie Harry. Le travail vocal de Neysa y évoque celui de la chanteuse de Blondie. Une touche onirique qui évoque clairement la pop de Grimes dont les convergences abondent. Un univers qui est aussi mis en valeur par l'illustration ésotérique de l'album inspirée du tarot de Marseille.
S'en suit le voluptueux That Itch laissant se dessiner les références Nu-Soul précédemment citées.
(The) No Song, beaucoup plus rythmique par son utilisation du parlé plutôt que du chant, vient illustrer une certaine influence hip-hop à la manière d'Anna Wise.
Play House, vient alors poser le tout dans une douce ambiance pop évoquant la pop-folk de Cocorosie, avec son album Noah's Ark et tout particulièrement l'inoubliable K-Hole qui l'introduit, tout en y ajoutant le peps joyeux d'une production électro-pop catchy à la manière de groupes tel Passion Pit.
The Hideaways vient clôturer les 5 titres dans un rythme beaucoup plus décousu et une production éparse à la manière d'un Aphex Twin.
Kurt Vile & Courtney Barnett - Lotta Sea Lice (2017)
La collaboration de ces deux-là n'était pas complètement inattendue (lui est très bon avec d'autres), mais pas complètement évidente (son tranchant et son ironie à elle sont bien plus audibles, en un sens sa musique est "plus rock"). Et au final, le résultat est superbe. En entendant le timbre grave de Kurt Vile, on aura du mal à ne pas ressortir les poncifs du duo homme/femme, Hazlewood, Johnny Cash, ou plus récemment Binki Shapiro et Adam Green. Mais c'est vraiment plus que ça. Sur le premier et meilleur morceau, "Over Everything", les deux laissent trainer leurs voix, quelque part entre les exemples précités et Pavement, sur une cavalcade folk-rock irrésistible. Ce morceau était aussi le premier proposé par Vile à Barnett, et il donne à merveille le ton du projet. Et le clip est marrant avec son idée d'inversion des rôles.
Kurt Vile & Courtney Barnett - Over Everything (2017)
Elle est suivie par une compo de Barnett, "Let It Go", dont elle avait écrit la musique il y a quelques années. La collaboration avec Vile lui aura permis d'écrire un texte et de poser leurs voix sur cette superbe ballade power-pop qui aurait pu sortir des moments les plus apaisés du deuxième Big Star. "Fear Is Like A Forest" est un brûlot grunge-folk noisy écrit par Jen Cloher, partenaire à la ville et au boulot de Courtney Barnett (elles ont pas mal joué ensemble et dirigent toutes les deux leur label). Le morceau sonne bien, avec une volonté de faire Crazy Horse, mais même si la direction plus rock est bien sentie, il manque une petite étincelle à ce morceau.
Le focus revient sur Vile sur la country-rock de "Outta the Woodwork", reprise "Out Of The Woodwork" présente sur l'EP de 2013 de Barnett, How To Carve A Carrott Into A Rose, dans une version remaniée par le duo. Et rehaussée par de magnifiques choeurs à la Pixies sur le refrain qui se termine tout en théâtralité avec un piano dantesque et une guitare plus mordante. Un petit air de Velvet des grands espaces, bref c'est excellent. J'aurais adoré que les soli de guitare à 2'10 et 5'05 soit doublé par un saxo, mais on ne peut pas tout avoir, et juste comme ça c'est vraiment excellent. "Continental Breakfast", écrite par Vile,reste dans une veine country-folk / indie rock, en plus apaisé que la précédente, et elle fait du bien par où elle passe.
Courtney Barnett & Kurt Vile - Continental Breakfast (2017)
"On Script" porte la marque post-grunge de l'écriture de Barnett, avec un feeling jazzy dans les guitares et la rytmique, très bon. Et la très fun "Blue Cheese" permet de se régaler en entendant les influences country de Vile ressurgir, et puis ce petit harmonica à la Dylan fait son effet. C'est ensuite au tour de Vile de se faire réécrire un morceau par le duo, son "Peeping Tomboy" adoré par Courtneydevenant "Peepin' Tom" dans cette version. Et ce bon projet se termine sur "Untogether", reprise du morceau de 1993 du groupe power pop Belly.
Autre figure émergente du rock indé, (Sandy) Alex G est un descendant direct de la pop-rock indé expérimentale des 80's (Arthur Russell, Pixies, Flaming Lips, The Smiths) et des 90's (Sparklehorse, Elliott Smith, Radiohead, Pavement, Bonnie Prince Billy). On entend tout ça, ainsi qu'une fascination probable pour la musique des Zelda, dans la pop psyché post-grunge de "Judge", un superbe morceau. On peut même remonter plus loin, chez les Beatles, les Byrds ou Big Star, à l'écoute de "Alina" aux rythmiques presque tropicalistes nous indiquant bien que le musicien a plus d'un tour dans son sac et que tout ce disque est d'une subtilité et d'une variété inouïes. Se méfier donc des comparaisons hâtives et bien garder en tête qu'il est bien plus que la somme de ses influences. D'ailleurs, l'album aura une durée de vie énorme tant on en découvre une nouvelle facette et de nouveaux petits détails à chaque écoute.
Dès le début du disque, on entend un diptyque de chansons pop absolument parfaites qui rappellent effectivement Mark Linkous ("Poison Root"), ElliottSmith et Bonnie Prince Billy ("Proud", et plus loin "Big Fish"). Cette dernière introduit d'ailleurs clairement la direction folk-pop un peu countrysante du disque (suggérée par la pochette). A la manière du Vile & Barnett ci-dessus. L'exemple le plus marquant étant "Bobby", qui aurait presque pu sortir de Lotta Sea Lice avec son duo de voix homme/femme. "Powerful Man" est un très bon single country et pop (j'adore les violons country, au passage), tandis que "Rocket" mélange country, musique irlandaise, pop et un chouia de classique contemporain dans l'utilisation de la tonalité et des dissonances.
D'ailleurs, le musicien étant trop éclectique pour se cantonner à un genre, le disque est extrêmement varié et s'écarte vite de la country-pop. Il a quand même joué de la guitare partout sur le Blonde de Frank Ocean, peut-être l'origine de l'utilisation de l'autotune dans l'improbable "Sportstar", mixant pop à piano, guitare rock et rythme dancehall. Par exemple "County" mêle des claviers oniriques et des voix rêveuses un peu psyché / dream pop et une guitare bluesy et soul, finissant par virer jazzy sur la fin. Une merveille de chanson. De même que "Witch", quelque part entre le "Because" des Beatles et Lonerism de Tame Impala, avec un violon et une utilisation des dissonances rappelant le travail de John Cale au sein du Velvet Underground. Une autre réussite totale.
Encore plus "dépaysantes", "Horse" joue sur les motifs minimalistes répétés et la polyrythmie comme chez Terry Riley, avec un synthé énorme digne des derniers Flaming Lips, tandis que "Brick" mixe post-punk noisy, indus et punk hardcore. C'est encore plus étonnant comparer cette dernière à l'ultime chanson du disque, "Guilty", qui mêle les Beach Boys, la twee pop (Family Of The Year, I'm From Barcelona) et un saxo jazzy inattendu ici.
C'est l'oeuvre totale d'un musicien en pleine ascension et en pleine ébullition créative. D'où le côté patchwork d'un disque qui ne sait se contenir dans un cadre trop étroit. D'un autre côté, ces divagations et ces mélanges de genres parfaitement réussis ouvrent de nouveaux horizons à la musique d'Alex G et à la pop en général, compensant largement le côté décontenançant des changements de style. La forte personnalité de l'auteur aide également pas mal à tracer un fil rouge et donner une cohérence à tout ça, et le côté génie fou partant dans tous les sens, quand c'est réussi comme ici, vous savez que ça me botte (Todd Rundgren, Of Montreal, MGMT, Pavement...).
Après ses deux derniers chef-d'oeuvres, sur une lancée de disques de plus en plus énormes chaque année, et de plus en plus bons pour ne rien gâcher, Kevin Morby a fait un choix judicieux : se poser, revenir sur une écriture intime, autour de New York, et écrire un disque plus dépouillé. C'est salvateur, rien que la présence de la superbement émouvante et personnelle "Come To Me Now" légitimerait l'existence de n'importe quel disque tant elle est excellente. Et cette solitude bizarre causée par la vie dans une grande métropole, entouré en permanence de milliers d'autres humains, est également perceptible dans le minimalisme écorché de "Downtown's Lights".
Mais la ville, c'est avant tout le bruit et l'urgence. L'énergie urbaine pleine de rage de cette musique transpire donc sur "Crybaby", quelque part entre de la folk, de la power pop et les Buzzcocks avec un riff chewing-gum. Ou sur "1234", hommage aux Ramones. "Aboard My Train" rappelle les Dylan les plus urgents et possède encore une fois des arrangements remarquables (ce piano martelé, cette batterie puissante et agile, ces guitares rock très américaines). Dans l'ensemble, le génie de ce disque se révèle lorsqu'on saisit à quel point Morby domine son sujet : il a réussi à synthétiser une musique riche et subtile et l'a réduite à l'essentiel. C'est la plus grande réussite qu'on puisse imaginer pour un musicien pop ou rock : donner l'illusion de la simplicité, de la facilité. En parlant de musique qui coule toute seule, "Dry Your Eyes" se pose là. Dépouillées, elle contient pourtant mille petites choses, des guitares bluesy, rock, soul, des chants folk, gospel et soul, une batterie presque jazzy par moments, une utilisation créative de la stéréo (casque recommandé)... De même que le génial single "City Music", au riff quasi éthiopien, à l'interprétation vocal prenante et aux accélérations fulgurantes.
Mine de rien, Morby a développé un style, on est immédiatement en terrain connu sur "Tin Can" à la griffe inimitable. Qu'il décline en berceuse folk sur "Night Time" ou en dylanerie groovy et psyché sur "Pearly Gates". Mais il sait aussi l'enrichir comme sur "Caught My Eye", morceau de country bâtarde faisant une utilisation unique du mélange entre steel guitar et un chant féminin irréel.
Bref, une nouvelle grande réussite de Morby, moins flamboyante que Singing Saw mais toute aussi bonne dans un genre plus dépouillé et tendu.
Ne jamais se fier aux singles sortis de leur contexte. J'étais circonspect lorsque j'ai entendu ceux de St Vincent avant la sortie de ce LP. J'avais tort. Dans le contexte de cet album, tout fonctionne à merveille. "Hang On Me" fait parfaitement l'introduction, avec ce beat martial, simple, et cette basse insistante permettant la mise en place du chant théâtral d'Annie Clark et de guitares tressant d’intrigants motifs dans une ambiance très Arcade Fire. "Pills" est une magnifique pop-song funky post-Talking Heads et un tube immédiat qui alterne le rugueux et l'accessible avec merveille et se termine en apothéose avec une coda glam imparable (et solo de saxo !). "Savior" possède le même style de petite mélodie inoubliable façon jingle de pub que "Pills", ainsi que de superbes guitares glam-rock, le tout produit avec du goût et un vrai sens de l'espace.
St Vincent - Pills (2017)
La direction électro-pop que je craignais un peu est finalement une très bonne idée, comme sur "Masseduction", où le côté électro-rock rappelle davantage les réussites de Queen que les tartes à la crème des derniers Muse, grâce à des effets vocaux plus Laurie Anderson que Skrillex et à un pont hyper bien écrit également. Et même sur les morceaux les plus industriels comme "Sugarboy", on ne tombe pas dans ce qui peut faire de Peaches une artiste parfois difficile à écouter, puisque tout est hyper bien écrit, on est avant tout devant de la pop plus que de l'électro-clash. Et puis le petit break façon funk spatial post-Prince et post-Dre est génial.
St Vincent - Los Ageless (2017)
Et donc, comme je le disais, les singles à l'électro tapageuse et aux refrains hyper catchy comme "Los Ageless" ou le plus calme "New York", un poil Lorde, font tout à fait sens dans le cadre de l'album. Entre un "Happy Birthday, Johnny" instantanément classique et beau comme du Big Star ou tout ce qui se fait de mieux en pop indé (Tobias Jesso Jr, Andy Shauf, Christopher Owens...), avec un petit côté country fragile (Hank Williams, Johnny Cash, Dolly Parton, Whitney) admirable.
St Vincent - New York (2017)
"Smoking Section" enfonce le clou dans la beauté pop dépouillée, avec de multiples variations toutes plus impressionnantes que les autres, telle une symphonie pop. "Slow Disco", dans un genre proche avec un aspect orchestral en plus, est très sympathique. A la limite, l'indus de "Fear The Future" et le rock de "Young Lover" sont un peu too much pour moi quand même, et surchargent et rallongent un peu inutilement le disque.
Vous connaissez peut-être Danny Ayala, alias Dr Danny, sans le savoir. En effet, celui-ci est le claviériste des illustres petits génies pop The Lemon Twigs et épaule les frères D'Addario en live. D'ailleurs on entend leur patte ici puisqu'ils ont joué de pas mal de choses ici et que l'écriture de Danny est pétrie des mêmes influences qu'eux. Et est toute aussi efficace, en témoigne le single "Nothing But Love", entre Beatles, Zombies et Beach Boys, classique pop instantané. On entend également les frérots sur "What If You Were With Me", une pop song rétro mais fraîche, faite avec goût et plaisir comme chez les MGMT de Congratulations.
Dr Danny - Nothing But Love (2017)
La pop baroque et la sunshine pop font le sel de "Fly Me Back In Time", qui joue sur le second degré façon BO de film de lycée/fac à la Grease et use d'un synthé baveux bien comme il faut. Au passage, vous noterez que la pochette, le clip ci-dessus et son nom d'artiste indiquaient déjà un certain sens de la dérision. Mais les morceaux les plus foufous fonctionnent aussi à merveille, comme "Lay It On me Straight", qui groove comme du funk, est inspirée comme du Pink Floyd, change de direction comme du Foxygen, est malade comme du Eno reprenant Smiley Smile et truffée de synthés pouvant sortir d'une BO d'un jeu de PS1.
Le projet dans son ensemble sonne donc comme une musique vivante, loin de la muséification ou de la redite. L'humour, les petites touches personnelles et l'envie l'emporte sur tous les a priori qui gangrènent parfois l'écoute des musiciens revivalistes. Un très bon EP pour Dr Danny, qui s'avère donc être un songwriter de qualité en plus d'un claviériste très doué. Un jeune homme à suivre absolument dans les années qui viennent.
Avec plus de soul, mais toujours une ambiance psychédélique, Nick Hakim est lui aussi dans un créneau musical piochant allègrement dans l'oeuvre des grands anciens en la pervertissant à sa manière (comme MGMT ou Whitney). Par exemple, l'intro "Green Twins" sonne comme un vieux morceau de soul remixé façon trip-hop et rejoué par un groupe psyché porté sur la dub. Le morceau est plein de soul, richement arrangé et produit, interprété avec sensibilité... C'est un vrai bijou. "Bet She Looks Like You" revisite le blues et le répertoire de Stax comme Dan Auerbach le ferait s'il avait écouté plus de Lee Scratch Perry. Le côté "disque de mes idoles remixé avec plein d'écho, de delay et de réverb" est vraiment marqué sur "Miss Chew", qui pourrait être un remix d'un morceau des sessions de Smile des Beach Boys avec quand même la riche idée d'y adjoindre un aspect free jazz réjouissant. Le genre de partis pris qui donnent de la personnalité au disque, comme la rythmique tropicaliste de la barjot "Slowly" et ses divagations électroniques à la limite du tribal et de la musique concrète (entre Animal Collective et Pierre Henry, co-auteur du "Psyché Rock"auquel les petites cloches rendent un hommage discret mais bienvenu). D'ailleurs, la pochette va drôlement bien à ce son si particulier.
Nick Hakim - Roller Skates (2017)
Ailleurs sur le disque, "Roller Skates", dans sa soul psychédélique, rappelle grandement les travaux d'Unknown Mortal Orchestra (surtout II, un peu Multi-Love) inspirés par Stevie Wonder, Sly Stone, Syd Barrett, les Beatles période Magical Mystery Tour et les techniques de production des années 70 à 90. On pourrait en dire de même pour "TYAF" en un peu plus rock. Du coup, ce mélange inédit des genres et des époques compense largement les influences assez audibles, de même que quelques morceaux plus volontiers modernes, comme "Needy Bees" et "Farmissplease" qui sonnent plus alt-rnb dans la voix, ou "Cuffed" dont la prod électro-pop pioche davantage dans les répertoires plus contemporains de Air ou Tame Impala.
Nick Hakim - Cuffed (2017)
Et puis parfois c'est inclassable, comme "Those Days" avec ses claviers merveilleux, ses voix cotonneuses, sa rythmique insaisissable et encore une fois cet apport jazz salvateur. Ou encore "The Want", entre Shuggie Otis, Smiley Smile, Scientist et Massive Attack. Ou même sur le post-punk industriel et psychédélique post-Animal Collective de la conclusion "JP". Pour résumer tout ça en une phrase : vous n'avez jamais entendu ce disque. Malgré des proximités artistiques évidentes, le mélange des idées et la vision personnelle de Hakim sont assez forts pour l'emporter sur tout ça, et aboutir à un disque solide, dont les qualités d'écriture récompenseront les auditeurs capables d'endurer une prod souvent touffue et exigeante. Et vous pouvez écouter tout ça par là. Et pour une petite expérience live, vous pouvez réécouter son set au Picthfork Festival 2017 là.
Chicano Batman - Freedom Is Free (2017)
Pour terminer, un authentique album de soul-rock des grands espaces, celui des californiens de Chicano Batman. Ils savent convier en même temps les guitar hero, les hippies et les funkateers comme sur la superbe "Passed You By", véritable nouveau Woodstock à elle toute seule. A partir de là, tout va s'enchaîner avec une fluidité totale, de la pop post-Sam Cooke de "Friendship (Is A Small Boat In The Storm)" à la pop psychédélique brianwilsonesque de "Area C" en passant par le néo-Who (période mod) croisé avec Curtis Mayfield de "Angel Child" ou la soul jazzy et funky quasi afrobeat de "Right Off The Back".
Chicano Batman - Friendship (Is A Boat In The Storm) (2017)
Avec comme quasi tube "Freedom Is Free", qui devrait passer sur toutes les radios ayant un DJ compétent. Son énergie fun et communicative est présente également sur l'hispanophone "Flecha Al Sol". Et cette joie, cette célébration folle des musiques populaires (visible sur la pochette) est agréable de bout en bout car aérée par des moments de douceur purs comme le blues-pop de "Jealousy" ou l'interlude psyché-pop "La Jura (Preluda)" qui introduit la superbe "La Jura", une des meilleures chansons du disque, chantée en espagnole. Et souvent, c'est au coeur du même morceau qu'on passe d'une musique apaisée à un rythme funk appelant aux déhanchés, en passant par des passages soul-rock spirituels ("Run", "The Taker Story").
Chicano Batman - Freedom Is Free (2017)
Un album très vivant, organique, festif et profond à la fois, à écouter absolument. Par ici par exemple. Pour en savoir plus sur le groupe, un live dans la super émission Tiny Desk Concert et un autre sur la géniale radio KEXP :
Le label Ed Banger, porte drapeau de la French Touch 00's, en atteignant le rang d'institution en son domaine, semble trop souvent vivre de ses artistes "vedette" et donne ainsi l'image d'un organisateur de soirées pour nostalgiques de leur adolescence. Entreprise à échelle humaine, ils ont ainsi préfèrer signer au compte goûte leurs artistes aux univers musicaux très variés. Dernièrement, on avait pu découvrir le génial Borussia sur son Ep Kinda Love ou plus discrètement Fulgeance avec The Phoenix. Mais c'est bien de leur dernière signature dont il est ici question et le moins que l'on puisse dire c'est que la maison de Pedro Winter à frappé un grand coup, surprenant pas mal de monde avec un Ep où on ne les attendait pas.
Ce grand coup, c'est l'oeuvre de Myd que vous connaissez sûrement comme membre du collectif Club Cheval. Parti de Lille pour Paris avec ses potes, il rencontre, grâce à un manager commun, Brodinski et son label Bromance, malheureusement dissout au début de cette année 2017, avec qui il va enchaîner les productions électro et house. C'était sans compter sur la passion de ce dernier pour le rap, l'emmenant à Atlanta pour concocter des beats pour le gratin état-unien du hip-hop, tel ILOVEMAKONNEN, Young Scooter ou Rae Sremmurd. L'occasion de signer un titre sur son projet solo, ce sera No Bullshit avec Twice et Lil Patt. Il va même collaborer avec Theophilus London pour son anthologique Vibes, donnant le beat à Kanye West sur le très bon Can't Stop. De cette aventure racontée dans la très bonne interview de abcdrduson, en résulte l'album Brava sorti en 2015 et une jolie expérience dans un style que le producteur n'avais jamais pratiqué avant de s'envoler pour les states.
C'est là que ses relations avec Dj Kore, parrain des producteurs du hip-hop français, entrent en jeu. Travaillant en véritable duo, ils vont alors produire pour des artistes comme Alonzo ou Lacrim. Mais on retiendra surtout son travail de beatmaker pour SCH avec leur énorme tube Champ Elysées, rien que ça ! Devenu producteur de hip-hop malgré lui, il s'investit plus encore dans l'aventure Club Cheval, tant en studio qu'en live, tout en ayant 3 EP solo au conteur.
Nous prenant une nouvelle fois à contre pied, l'artiste à très récemment rejoint le club Ed Banger qui a signé son quatrième Ep solo avec All Inclusive sorti en octobre dernier, dans un genre où on ne l'attendait là encore pas. Un style estivale, léger et décalé, aux accents de synth-pop 80's, pour une production qui n'en reste pas moins ambitieuse et géniale. Trois titres étonnants et ravissants qui font écho à la musique pop d'artistes comme Connan Mockasin ou Jakob Ogawa, tout en y apportant cette touche sucrée nu-disco/dance propre au label et à l'artiste, ainsi que les influence d'un certain french funk 80's tendre et mélancolique, pour lequel je ne me lasse de citer le travail de Christophe Laurent sur Lait de Coco. En ce sens, on se rapproche de la composition deNit dont nous vous faisions l'éloge récement sur ce blog.
Le titre racoleur All inclusive nous vend ainsi une croisière entre kitsch et plaisir coupable. Quentin Lepoutre aka Myd assume cette démarche jusque dans son image, mise en scène dans le terrible clip du single éponyme à l'album. Il y a véritablement pris part à une croisière de vacance, accompagné d'Alice Moitié qui signe le clip et l'art work de l'album. Baignant dans l'impertinence et le second degré, il y montre le côté fun de cette culture du kitsch et du revival 80's qui frappe en ce moment le monde artistique et populaire.
Avec The Sun, All inclusive et Bingo c'est aussi l'occasion de prolonger artificiellement un été qui s'est déjà noyé dans le ciel gris et pluvieux de l'automne. Un Ep qu'on se réécoute avec passion et envie.