Cette semaine, les disques sortis il y a dix ans déjà, en 2007, sont à l'honneur sur La Pop d'Alexandre & Etienne, avec un album par jour présenté jusqu'à (aujourd'hui !) mardi dans le cadre de notre troisième édition de La Semaine De La Pop.
On a abordé pas mal de "gros" albums, disons des classiques modernes, ou au moins des disques ayant reçu un accueil critique (et souvent populaire aussi) très favorable à leur sortie. Il est donc temps de dégainer LE disque sous-estimé de 2007 selon nous, notre petite obsession perso. Et ce disque, c'est la BO du film Steak, réalisé par Quentin Dupieux alias Mr Oizo. Déjà, le film en lui-même est un petit bijou, malheureusement 95% des gens sont passés à côté car ils s'attendaient à voir une comédie d'Eric & Ramzy, alors qu'on avait là un authentique film d'auteur au cynisme mordant et subtilement dénonciateur et à l'esthétique impeccable (qu'on retrouve ici sur la pochette). Et la BO, tout aussi géniale, est un peu passée à la trappe aussi. On va réparer cette injustice.
Pour quasiment tout petit mec ou petite meuf de notre âge, déjà voir réunis ces trois génies de la pop et de l'électronique française que sont Mr Oizo, Sébastien Tellier et SebastiAn cause immédiatement une montée de salive. D'autant plus que leurs esthétiques musicales sont complémentaires, avec toutes une part de premier degré poétique et naïf, presque exagérée, et de fantaisie absurde. De putasserie hyper accrocheuse et de profondeur cachée.
Comme le film, dystopique et situé dans un futur proche, la musique se fera proche de la notre, mais avec cette touche inquiétante et légèrement futuristique, prenant pour base les années 2000 plutôt que de plonger dans un rétro-futurisme usé jusqu'à la corde (même si on l'entre-aperçoit parfois comme sur les beaux et naïfs "Letrablaise" et "Itea", ou sur le très théâtral "Victimo"). A l'image de l'intro "Arrival", qui est une version musclée de la musique de SebastiAn, Justice et des Daft Punk de Human After All, où l'on retrouve un électro-rock presque prog et très théâtral également, inquiétant dans ses dissonances, au son saturé et compressé, et surtout très synthétique (pour le côté futuriste).
Enchaîné direct avec le funk électronique tubesque de "Skatesteak", aux sonorités hachées (et donc modernes, dans un monde post-sampling), ça met direct dans l'ambiance. Ce titre est absolument génial, et dans le film on s'imagine bien un futur (assez désirable pour le coup) dans lequel cette musique syncopée et absurde inspirée de Wendy Carlos serait "La" pop music radiophonique (cf également "Exploités", ou le prenant "Bonhomme" pour la référence à Carlos). De même pour la nu-disco hyper catchy de "Chivers As A Female" qui sonnait vraiment futuriste à une époque où MGMT et Lady Gaga venaient à peine de sortir quelques morceaux. Tout est là, le côté à la fois implacable, groovy et mélancolique de la French Touch, souligné par la mélodie lancinante et le chant émouvant et drôle à la fois de Tellier.
On entre donc dans un monde où la techno se serait branchée sur les synthés à la tonalité cheloue de Mr Oizo et sur les basses slappées et les boîtes à rythme qui claquent de SebastiAn, comme sur "Ringardos". Où la synthpop doit plus à David Lynch, Cerrone et Moroder qu'à Guetta et Duran Duran ("Plug It"). Et où le soft rock presque bluesy de Tellier, accompagné de kazoo et de "ouh ouh ouh" remplace les ballades trop sucrées et hyperproduites à la radio, et où la country-folk idiote et faussement martiale de "Construction" est possible.
Un monde où le dernier tube à la mode est la merveilleuse et absurde électro-country de "Hashisvers", chantée par Tellier sur un tapis de banjos hyperactifs, de trompettes jouées au synthé, de congas de jeu vidéo et de boîtes à rythmes mastoc. Un mélange des synthés métalliques de Sessions de Tellier et d'une boîte à rythme Prince passée en accéléré, associé à un chant faux et faussement d'opérette de Tellier ? C'est possible, c'est "Toizelle", et le pire, c'est que ça fonctionne.
Et puis on a les petits coups de folie de Mr Oizo, qui plongent dans l'univers du film comme "Chuck", le flippant "Xschmidt", le funk futuriste très découpé de "Wetshirt" vu comme une extension de ce que l'oreille humaine sera capable d'écouter quand elle aura digéré les musiques d'Aphex Twin, Autechre et SebastiAn.
Dans le même genre, on a "Top50", qui imagine une humanité accro au funk délirant de Oizo mêlé à l'électro-pop déchirante du Sexuality de Tellier, pas encore sorti à l'époque. Et puis "C.H.I.V.E.R.S", qui est un banger absurde mais prenant, vu comme une version pop du "Stress" de Justice pour une génération habituée au zapping, à la vitesse et à la violence des stimulations auditives et visuelles, tant dans l'art que dans la pub qu'on lui fait gober au kilomètre, et qui régurgite cette absurdité en créant une musique qui embrasse ces codes consuméristes, les pousse jusqu'au bout de leur logique pour les boursoufler et les faire éclater de façon subversive et libératrice.
Malgré toutes ces facéties, qui sont justifiées sur le fond et la forme (puisqu'elles sont toutes très réussies musicalement), le disque se tient notamment grâce aux interludes comme le sucré "Kinder", ou la lourde, triste et menaçante "Bleue", et il se dégage une vraie unité d'ensemble, avec une réelle osmose de la musique des trois artistes. Globalement, Mr Oizo apporte la folie et le côté inquiétant, SebastiAn le rythme groovy et violent, et Tellier arrondit les angles avec une pop plus instrumentale, mais dans le détail les rôles s'inversent, se mélangent, et tout n'est pas si simple que ça, on a souvent du mal à distinguer qui a fait quoi. En somme, c'est davantage le travail s'un groupe (un supergroupe même dans ce cas) que de trois individualités.
Bref, ce disque est vraiment particulier, mais pour ceux qui arrivent à comprendre la démarche et donc à l'apprécier à sa juste valeur, c'est une pépite musicale et conceptuelle absolument géniale, délicieuse et profonde (voire grave) à la fois. Une vraie oeuvre d'art et un authentique chef-d'oeuvre électro-pop.
PS : Merci de nous avoir suivis, lus et commentés tout au long de cette semaine, c'est toujours un plaisir immense pour nous de vous faire (re)découvrir des albums de chevet.
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A très bientôt sur LPAE !
Alex