En voilà un qui divise. Après leur conquête des US grâce au rock de stade de l'inégal AM (2013), plutôt solide, doté de quelques singles alléchants mais un peu gras dans l'ensemble, le groupe a acquis une dimension internationale nouvelle, notamment outre-atlantique donc (Amérique du Sud comprise). Une tournée triomphale plus tard, ce groupe qui a toujours été "gros" en Europe se retrouve donc à sortir un disque immédiatement classé parmi les albums les plus attendus de l'année, une grosse pression que le groupe admet avoir ressentie, notamment le chanteur, guitariste et compositeur Alex Turner, qui a eu un "syndrome de la page blanche" en essayant de créer un "AM partie 2", puis en ne trouvant pas immédiatement de nouvelles directions après avoir réalisé que ce serait une impasse.
Pour trouver cette nouvelle décision, il a fait des choix radicaux. Premièrement, plus de chansons d'amour, thème dont il pense avoir fait le tour pour le moment, mais des textes narratifs, racontant des histoires situées dans un univers de science fiction dystopique, un hôtel/casino au luxe décadent, situé sur la Lune et réservé aux ultra-riches (concept inspiré par le cinéma et la littérature SF). Ces textes, très libres et directs, sont truffés de digressions aux accents personnels ou vaguement politiques dans une structure très peu rigide, ce qui amène Turner à comparer ces textes avec ceux du premier album des Monkeys. Ils ont également influencé le visuel du disque, avec une patine rétro-futuriste vintage, et le look du groupe façon rockstars décadentes, assez affreux mais adapté, belle preuve de second degré.
Arctic Monkeys
Deuxième choix, des influences plus pop (Pet Sounds des Beach Boys), voire jazz, soft rock, glam, prog, soul vintage, pop orchestrale à la Scott Walker ou lounge. Matérialisée très concrètement dès la composition puisque pour la première fois, Turner a tout composé au piano plutôt qu'à la guitare. Le rendu est plus proche de l'autre groupe du chanteur, les Last Shadow Puppets, et notamment du charme vintage et chatoyant de leur dernier album, l'excellentissime Everything You've Come To Expect (2016). Autre particularité : cet album aurait pu être un disque solo de Turner au départ, mais ce dernier a fait écouter ses démos au autres Monkeys, qui ont jugé après une longue réflexion que ces chansons pouvaient être leur futur album, et ont donc été impliqués plus tardivement dans sa conception, ce qui peut là encore les rapprocher du travail des Beach Boys qui eux aussi découvraient en rentrant de tournée des œuvres quasi finies de Brian Wilson qu'ils allaient réinterpréter en groupe. Autre particularité, l'excellent batteur Matt Helders ayant moins à faire techniquement derrière ses fûts (même si son travail ici est une merveille de subtilité), il a également pris le nouveau rôle de claviériste, qu'il tient également à merveille.
Et c'est avec la magnifique "Star Treatment" que cet album démarre. Les inspirations sont claires : easy listening 70's, sunshine pop sophistiquée (à la Sagittarius) soul aérienne tranquille (Curtis Mayfield, Isaac Hayes, Minnie Riperton...), et vocalement, l'idole de toujours du groupe de Sheffield, le plus grand crooner de notre siècle, Richard Hawley. Le morceau est magnifique, le texte drôle, la production et le son gratifiants, un titre digne du plus smooth des Last Shadow Puppets en somme. Qui me permet d'introduire une constante de l'album : la basse d'O'Malley est un énoooorme point fort, son jeu est d'une justesse et d'une finesse peu communes. D'ailleurs, on sent musicalement que le groupe s'est éclaté sur ce morceau en particulier, et c'est très agréable.
La très pop "One Point Perspective" et son piano sautillant, très Brian Wilson, est également un gros point fort : la basse est énorme, et avec la guitare élégante de Cook, elles mettent en valeur la diction unique de Turner, dans un registre étonnamment rnb, avec un côté irréel presque Amy Winehouse. Dans un registre plus glam, proche de Bowie, avec un petit côté psychédélique, "American Sports" est également une réussite totale, prolongée dans l'esprit par la superbe "Tranquility Base Hotel & Casino", durant laquelle Turner expérimente de façon réussie avec son chant, lui donnant un côté blues blanc assez intéressant. Ce début d'album est un sans faute dans cette nouvelle direction.
Pas aussi incroyable mais tout de même sympathique, le milieu d'album ne démérite pas, que ce soit "Golden Trunks", magnifiée par une guitare charismatique, le très Pet Sounds "The World's First Ever Monster Truck Front Flip", la psychédélique et instable "Science Fiction". C'est "Four Out Of Five" qui sort du lot, avec son côté Gainsbourg à la fois sombre et hyper accrocheur, et des légères touches de la flamboyance d'Iggy Pop vocalement, faisant écho au dernier album de ce dernier (Post Pop Depression, 2016) produit par le collaborateur régulier des Arctic Monkeys, Josh Homme.
La fin de l'album est plus sombre, et assez mémorable, avec le glam noir et décadent de la plus que sympathique "She Looks Like Fun", le piano grandiloquent et les synthés rétrofuturistes syncopés, entre funk, blues et prog, de l'excellente "Batphone", et pour finir la ballade de crooner définitivement très Hawley et plutôt bonne, "The Ultracheese", pas très originale ni intense mais sympathique également.
Pour conclure, c'est un album globalement très réussi, loin de ce qu'on a pu lire dans les commentaires d'une presse américaine ayant souvent découvert le groupe en 2013 et n'ayant rien compris aux Last Shadow Puppets, ou dans les avis de fans de rock qui voulaient les mêmes gros riffs d'AM encore et encore, et glorifient cet album qui pourtant est sûrement le moins bon du groupe (même s'il reste bon et que je l'aime bien globalement). La direction easy listening est étonnante pour le groupe, mais logique lorsqu'on connaît les autres projets de Turner en solo, à la production du disque d'Alexandra Savior, ou avec Miles Kane et les Puppets, et même en omettant cela, le côté crooner était finalement bien annoncé par les ballades du précédent album. Les influences soul font mouche grâce à des vocalises classes et une basse imparable, la coloration pop avec ses nombreux claviers et ses cordes apportent une densité sonore bienvenue, et la noirceur glam du piano et de la guitare achèvent de rendre ce disque bien intéressant. Et dire ça, c'est oublier que le chant de Turner ainsi que ses textes valent encore le détour. Alors certes, ce n'est probablement pas le meilleur disque des Arctic Monkeys, mais c'est une grande réussite, un virage pris avec talent, loin de ce qu'on a pu lire ici ou là. Mais faites vous votre avis par vous même (et donnez le nous en commentaire tant qu'à faire !), grâce aux liens d'écoute ci-dessous :
Ecouter sur Spotify ou Deezer
Bonne écoute, merci pour votre lecture et vos commentaires
Alex Turner
Et c'est avec la magnifique "Star Treatment" que cet album démarre. Les inspirations sont claires : easy listening 70's, sunshine pop sophistiquée (à la Sagittarius) soul aérienne tranquille (Curtis Mayfield, Isaac Hayes, Minnie Riperton...), et vocalement, l'idole de toujours du groupe de Sheffield, le plus grand crooner de notre siècle, Richard Hawley. Le morceau est magnifique, le texte drôle, la production et le son gratifiants, un titre digne du plus smooth des Last Shadow Puppets en somme. Qui me permet d'introduire une constante de l'album : la basse d'O'Malley est un énoooorme point fort, son jeu est d'une justesse et d'une finesse peu communes. D'ailleurs, on sent musicalement que le groupe s'est éclaté sur ce morceau en particulier, et c'est très agréable.
La très pop "One Point Perspective" et son piano sautillant, très Brian Wilson, est également un gros point fort : la basse est énorme, et avec la guitare élégante de Cook, elles mettent en valeur la diction unique de Turner, dans un registre étonnamment rnb, avec un côté irréel presque Amy Winehouse. Dans un registre plus glam, proche de Bowie, avec un petit côté psychédélique, "American Sports" est également une réussite totale, prolongée dans l'esprit par la superbe "Tranquility Base Hotel & Casino", durant laquelle Turner expérimente de façon réussie avec son chant, lui donnant un côté blues blanc assez intéressant. Ce début d'album est un sans faute dans cette nouvelle direction.
Pas aussi incroyable mais tout de même sympathique, le milieu d'album ne démérite pas, que ce soit "Golden Trunks", magnifiée par une guitare charismatique, le très Pet Sounds "The World's First Ever Monster Truck Front Flip", la psychédélique et instable "Science Fiction". C'est "Four Out Of Five" qui sort du lot, avec son côté Gainsbourg à la fois sombre et hyper accrocheur, et des légères touches de la flamboyance d'Iggy Pop vocalement, faisant écho au dernier album de ce dernier (Post Pop Depression, 2016) produit par le collaborateur régulier des Arctic Monkeys, Josh Homme.
Arctic Monkeys - Four Out Of Five (Live, Tonight Show, 2018)
La fin de l'album est plus sombre, et assez mémorable, avec le glam noir et décadent de la plus que sympathique "She Looks Like Fun", le piano grandiloquent et les synthés rétrofuturistes syncopés, entre funk, blues et prog, de l'excellente "Batphone", et pour finir la ballade de crooner définitivement très Hawley et plutôt bonne, "The Ultracheese", pas très originale ni intense mais sympathique également.
Pour conclure, c'est un album globalement très réussi, loin de ce qu'on a pu lire dans les commentaires d'une presse américaine ayant souvent découvert le groupe en 2013 et n'ayant rien compris aux Last Shadow Puppets, ou dans les avis de fans de rock qui voulaient les mêmes gros riffs d'AM encore et encore, et glorifient cet album qui pourtant est sûrement le moins bon du groupe (même s'il reste bon et que je l'aime bien globalement). La direction easy listening est étonnante pour le groupe, mais logique lorsqu'on connaît les autres projets de Turner en solo, à la production du disque d'Alexandra Savior, ou avec Miles Kane et les Puppets, et même en omettant cela, le côté crooner était finalement bien annoncé par les ballades du précédent album. Les influences soul font mouche grâce à des vocalises classes et une basse imparable, la coloration pop avec ses nombreux claviers et ses cordes apportent une densité sonore bienvenue, et la noirceur glam du piano et de la guitare achèvent de rendre ce disque bien intéressant. Et dire ça, c'est oublier que le chant de Turner ainsi que ses textes valent encore le détour. Alors certes, ce n'est probablement pas le meilleur disque des Arctic Monkeys, mais c'est une grande réussite, un virage pris avec talent, loin de ce qu'on a pu lire ici ou là. Mais faites vous votre avis par vous même (et donnez le nous en commentaire tant qu'à faire !), grâce aux liens d'écoute ci-dessous :
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Bonne écoute, merci pour votre lecture et vos commentaires
Alex
Si Rebecca Manzoni n'avait pas présenté sur France Inter l'album (29/5 matin) je pense que je ne m'y serais pas attardé et comme j'avais loupé votre papier. Les références assumées par le compositeur et par elle et vous: Bowie, Gainsbourg. Mais aussi d'après encore le chanteur François De Roubaix.. ouahhh, pour les petits gimmick, la mise en sonorité. Bien entendu le "gag" des Strokes. Richard Hawley, oui comme héritier de la croone à la Bowie. Lentement mais sûrement Bowie voit son héritage grossir. Je pensais ajouter ABC ou Orange Juice/Edwyn Collins. Résultat, j'écoute ce disque comme je découvrais "this is Hardcore" de Pulp. Un truc entier qui se tenait. Un bel objet.
RépondreSupprimerDonc votre chronique (à 4 mains? Ou au moins après échange à 2?) + Rebecca et toyt a changé
À 2 mains, Étienne n'est pas friand du groupe et je ne connais pas son avis sur ce disque s'il l'a écouté ! Je suis d'accord avec toi, la comparaison avec Pulp est pas mal ressortie et c'est vrai que ce disque a un côté british et européen au sens large, davantage que le très américain AM, ce qui a un peu déconcerté la presse US.
SupprimerUne vraie perle qui gagne en intérêt à chaque écoute !
Merci pour ton commentaire comme toujours très pertinent
Oui je suis phase chrysalide depuis quelque mois et pour encore quelques semaine, préparation de concours oblige, mais j'espère que les 4 mains arriveront vite ! Effectivement je ne suis pas un amateur du groupe, notamment pour son côté rock de stade pour ado en manque rébellion dont tu parles. Et bien je viens l'écouter et c'est une heureuse surprise. Je les découvre beaucoup plus mature, dans un exercice plus confidentiel, avec des influences blues affirmées, enrobé dun sucrage balade pop à la Beatch Boys dont tu parles. Le tout se rapproche assez des balades blues rock de Timber Timbre dont je raffole qui usent eux aussi de ce côté crooner dont vous faites mention.
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