Cette semaine, les disques sortis il y a dix ans déjà, en 2007, sont à l'honneur sur La Pop d'Alexandre & Etienne, avec un album par jour présenté jusqu'à mardi dans le cadre de notre troisième édition de La Semaine De La Pop.
Un gargouillis électronique ouvre l'album. Dans ce chaos synthétique, un ordre se fait, une pulsation, puis la voix d'Avey Tare entre en scène, entre des samples de cris d'animaux. Ce morceau, c'est "Peacebone". C'est le morceau qu'aurait écrit Brian Wilson (ou Todd Rundgren) s'il avait eu 20 ans et prenait des acides en 2007. C'est un petit chef-d'oeuvre de pop, ayant l'intelligence de piocher des idées d'écriture et de production dans tout ce que la pop a fait de meilleur depuis les sixties, depuis la sunshine pop et les Beach Boys en passant par XTC, Brian Eno, les Pixies (ces hurlements façon "Tame"...) et Pavement. Et le vrai génie, c'est bien d'en avoir fait quelque chose de moderne, d'inédit, de jeune et plein de rage et d'urgence.
On l'oublie souvent, mais c'est la guitare l'instrument le plus important sur cet album. Source de la majorité des samples, elle est détournée de toutes les façons possible, comme chez My Bloody Valentine, mais avec un esprit plus proche des inventeurs de l'électro psychédélique des années 50-60. Ça s'entend sur "Unsolved Mysteries", où la flamboyance du chant Avey Tare s'exprime sur une pop-folk psychédélique aquatique et pleine d'une vie inattendue, débordant de toutes les machines et samples. Ces gars-là jouent de l'électronique comme Brian Wilson, Joe Meek, Phil Spector, Barry White ou George Martin jouaient du studio. Pas d'une façon cliché en tous cas, d'ailleurs l'album a été enregistré à Tucson (Arizona), et le groupe le qualifie de "disque de désert" très influencé par son environnement. J'ai dit désert, et pas de dessert, même si la pochette aussi dégueu qu'attirante (photographiée par Avey Tare sur une idée de Panda Bear) a été une base pour définir le son du disque, autant que l'environnement désertique. Pour ce dernier point, s'entend pas à la première écoute, mais quand on le sait c'est génial, parce que ça marche et qu'ils n'ont pas du tout fait dans les poncifs, car comme le dit Brian Weitz (alias Geologist) : "when you think of the desert you think of twangy guitars and morricone soundtracks and jim morrison walking with the ghost of an indian, but we don't really see it that way".
Et puis ce côté néo-hippie fonctionne à merveille sur "Chores" où l'on entend encore toute la pulsation du folk presque tribal de certains albums précédents du groupe. Cet aspect brut, joué live, avec des bruits inattendus, comme joués au coin du feu dans une grande plaine, contraste avec la grande modernité du son et lui donne toute sa profondeur. Et puis quant on chante d'une façon aussi enoesque (cf la fin de morceau), ça ne peut que me plaire.
En plus de ça, aucun morceau n'est en dessous de "vraiment très très bon", et hors "Peacebone", on a plusieurs chef-d’œuvres absolus. "For Reverend Green" et sa guitare façon Johnny Marr des Smiths ("How Soon Is Now"), ces percus rock indé, ces chœurs mélancoliques, et ce chant entre Sinatra, Frank Black, Brian Wilson et Andy Partridge, à la mélodie inoubliable et à la rage salutaire. Et on enchaîne sur une merveille encore meilleure, "Fireworks" et son beat ferroviaire (probablement aussi réalisé à partir d'un son de guitare, mais qui rappelle "Etude aux chemins de fer" de Paul Schaeffer, de 1948) qui propulse tout le morceau, cette mélodie intemporelle qui encore une fois prouve tout le talent d'écriture des mecs, et cette alternance théâtrale dans le chant entre douceur pop et rage punk. L'utilisation du rythme et des samples mêlés à une instrumentation plus classique du rock indé, dans une chanson pop de cette ampleur est aussi remarquable. Et que dire de la mélancolie déchirante de cette chanson, à part que c'est absolument bouleversant ?
Les arpèges oniriques à la Steve Reich de "#1" envoient l'auditeur encore un peu plus haut, tutoyer la douceur cotonneuse des nuages, avant que la mélancolie et la gravité ne resurgissent grâce aux chœurs de Panda Bear, et à ce chant qu'on dirait venu d'une autre fréquence et anormalement capté par la radio par dessus la chanson. Il y a un vrai côté irréel, presque alien dans ce morceau obsédant et hyper personnel (le groupe ne sacrifie sa musique à aucune convention, mais pourtant elle touche facilement grâce à son authenticité).
L'album se termine par l'hyperactivité rythmique de "Winter Wonderland", puis par la douceur de "Cuckoo Cuckoo" qui possède une ligne de piano samplée absolument géniale, la pop enfantine de "Derek" (entre Beach Boys et comptines acides des débuts de Pink Floyd, période Syd Barrett).
Et enfin, sur la version deluxe du disque uniquement, vient "Safer", avec des influences assez marrantes allant du doo wop au jazz vocal, en passant par du rockabilly et du hip-hop notamment. "Street Flash", que le groupe jouait en live avec la quasi intégralité de Strawberry Jam avant de partir en studio, a été enregistré en même temps mais ne sera présente que sur l'EP Water Curses sorti l'année d'après, ces titres assez longs en eux-mêmes allongeant trop la durée de l'album selon le groupe.
Bref, vous l'aurez compris, pour moi ce disque est un chef-d'oeuvre absolu, le genre de disque qui ouvre tout un monde musical entièrement nouveau quand on croyait que tout avait déjà été fait. Et surtout, qui le fait avec un vrai sens de la composition, de la chanson et de la mélodie, en respectant et dépassant en même temps ce cadre. Le groupe est authentique, a une vraie vision artistique qu'il partage sans filtre, et c'est peut-être le plus important.
Alors écoutez absolument ces mecs, ce sont d'authentiques génies pop qui méritent une place au Panthéon du genre
Alex