Les aventures musicales de deux potes

Les aventures musicales de deux potes

mercredi 30 mai 2018

Cuco - Chiquito EP (2018)


  Le jeune californien Cuco est à deux doigts de casser la pop, avec son mélange ravageur entre Beach Boys, trap, cosmic funk et électronique, illustré sur des titres comme le single "CR-V" dont on a déjà parlé en bien, et "Lucy", où le rappeur J-Kwe$t vient lui prêter main forte entre deux nappes de synthé irréelles. Ce dernier revient sur la très Brian Wilson voire Animal Collective "Summer Time High Time"

Cuco - CR-V (2018)

  On sent également un gros côté rock indé, entre Weezer, Homeshake et Mac Demarco, avec de petites touches un peu space disco, un peu chillwave, et un peu French Touch dans les claviers ("Dontmakemefallinlove"). D'ailleurs ces claviers sont au centre de l'hispanophone "Mi Infinita", rappelant avec douceur les origines latino de Cuco

  La sunshine pop un peu psyché de "Sunnyside" est une merveille intemporelle, aussi bien écrite qu'un classique 60's et aussi bien mise en son que ce qui se fait de mieux dans le genre pop-rock synthétique (Tame Impala, Still Parade). 

Cuco - Sunnyside (Clip, 2018)

  Cet EP est l'un des trucs les plus frais et les plus excitants que vous trouverez au rayon pop cette année. Cuco écrit des chansons comme les plus grands et les produit avec un son d'une modernité totale, piochant partout des idées et les combinant naturellement en un style fluide et immédiat. Une merveille !

A écouter sur Spotify ou Deezer ou Youtube

Alex


lundi 28 mai 2018

DRINKS - Hippo-Lite (2018)


  DRINKS est un duo formé de Tim Presley et Cate Le Bon. Le premier est un songwriter américain enregistrant sous son nom, caché derrière l'alias White Fence ou avec Ty Segall (Hair en 2012, un album à paraître cette année). La seconde est une musicienne galloise, partageant une même esthétique avant-gardiste, intellectuelle et punk à la fois (qu'on peut résumer par le terme art rock) avec son compatriote John Cale, et qui a marqué les esprits avec le très bon Crab Day (2016). Et même si ces artistes ont créé des choses qui me plaisent (surtout Le Bon), il manquait toujours à leurs œuvres une petite étincelle pour entraîner plus qu'une approbation raisonnée à leur musique. Ce petit truc, ils l'ont trouvé ensemble, en duo, avec cet album (sorti chez Drag City) qui arrive à être bien plus que la somme de ses parties.

  Dans un registre allant de comptines psyché-folk douces à la Syd Barrett ou Kevin Ayers ("Blue From The Dark", "You Could Be Better") jusqu'à un funk-rock déglingué évoquant Nico, Devo, The Sparks, The B-52s et les Talking Heads ("Corner Shops", Real Outside"), ils explorent tout ce que l'art rock a apporté de meilleur, du glam à l'indie rock (le côté Magnetic Fields de "Greasing Up") en passant par le post-punk. En poussant parfois le bouchon de l'absurde, ils atteignent presque le niveau de surréalisme des Residents ("Ducks", hommage au génial Duck Stab de ces derniers ?), et leurs digressions psychédéliques arythmiques à la Frank Zappa ou Captain Beefheart ("Leave The Lights On") voire Brian Eno post-Roxy Music ("Pink or Die") sont en général bienvenues.

DRINKS - Corner Shops (Clip, 2018)

  Avec une mise en son à la fois lo-fi et pure, entrecoupant les morceaux d'interludes synthétiques plaisants, ils optent pour un minimalisme salvateur qui les sauve de la surdose généralisée souvent associée à la démarche avant-gardiste. Quelques instrumentaux simples, apaisés, comme "I The Night King" et son field recording réconfortant, permettent en outre des pauses bienvenues. 

  C'est donc un album réussi de la part du duo Cate Le Bon / Tim Presley, qui arrive à être bien plus que la somme de ses parts et trouve dans un art rock dérangé mais sachant rester minimaliste un terreau fertile à de joyeuses et appréciables expérimentations pop. 

A écouter sur Spotify ou Deezer 

Alex


dimanche 27 mai 2018

King Tuff - The Other (2018)


  Kyle Thomas alias King Tuff, aux nombreux projets, dont le plus récent était la participation aux Muggers de Ty Segall, vient de sortir chez Sub Pop ce disque beau et singulier. Ébranlé par le suicide d'un ami proche, il a appelé ses ex-collègues Ty Segall, Mikal Cronin et Charlie Moothart à la rescousse pour l'aider à enregistrer cet album cathartique, produit par Shawn Everett (The Voidz, The War On Drugs). Cette peine est particulièrement audible dans la magnifique et infiniment triste "The Other", entre désespoir façon Big Star de Third/Sister Lovers (1978), folk psychédélique et pop mise à nue comme chez John Lennon. Un vrai chef-d'oeuvre. 

King Tuff - The Other (Clip, 2018)

  Mais il n'a pas oublié que son personnage foutraque et flamboyant était avant tout une bête de scène glam, et noie ainsi ce chagrin dans d'éblouissantes jam proches du travail de Roy Wood ("Raindrop Blue"), ou Marc Bolan ("Thru the Cracks"), empruntant même parfois des rythmiques funky ("Psycho Star"). Des claviers quasi P-Funk colorent même le psyché "Neverending Sunshine".

King Tuff - Psycho Star (Clip, 2018)

  Le folk-rock un peu fou qui compose son album sur des titres comme "Infinite Mile" évoquera davantage Beck, avec de petits accents glam pas si loin de la période roots d'of Montreal, tandis que "Birds Of Paradise", "Ultraviolet" ou la très Segall "Circuits in the Sand" ont un côté british assez marqué. On retrouve cette intensité rock sur le final "No Man's Land".

  Un bon album, avec quelques très grandes réussites et sans trop de baisses de régime même si tout n'est pas aussi inspiré que "The Other". A écouter si vous êtes client de cette scène californienne constituée autour des Oh Sees et de Ty Segall, ou si vous aimez simplement le rock.

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Alex


vendredi 25 mai 2018

Woody Murder Mystery - Lost In Beaucaire (2018)


  La pop anglophile de Baptiste Rougery, alias Woody Murder Mystery, enchante sur ce disque au sens mélodique aiguisé et à la mise en son parfaite, avec une production chaude et ronde mais pas passéiste. On pense tantôt aux Byrds, tantôt aux Beatles, un peu au premier album de Temples qui était dans la même démarche de réhabilitation d'une pop délicate, cotonneuse au songwriting exigeant avec lui-même ("Interlude", "Near The Dearest World", "White Guy"). Un autre cousinage musical peut être établi avec l'axe Melody's Echo Chamber - Tame Impala - Barbagallo à l'écoute de la pop ambitieuse de "Surface Lactée" et "When will you sleep ?", à la fois céleste et contemplative, proche de la terre et des grands espaces, et légère, aérienne.

Woody Murder Mystery - Interlude (2018)

  En plus des guitares cristallines, les divers claviers  aux textures classieuses ajoutent une touche sonore plus qu'appréciable, surtout sur les lumineux néo-sunshine pop "Lost in Beaucaire" et "Jeannie", aussi beaux que du Dorian Pimpernel et descendant en droite ligne de Sagittarius et des Beach Boys. Plus loin, c'est le chant féminin en français de "Jusqu'au Matin" qui est une lumineuse idée, accentuant parfaitement le côté séduisant et vénéneux de la chanson, dans la lignée du Velvet ou des Jesus & Mary Chain. Qu'on retrouve sur sa soeur anglophone "A1 Navigation" ou sur la très belle "Red Garden", empreinte de folk et de psychédélisme tranquille. 

  On penserait presque à Mac Demarco ou Real Estate sur l'interlude "Roses", tandis que le groupe arrive à surpasser Bertrand Burgalat sur son propre terrain pop sur le slow postmoderne de "La Première Fois"

  C'est un excellent album, belle sortie du très affuté label clermontois Freemount Records, que je vous recommande absolument.

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Alex



mercredi 23 mai 2018

Parquet Courts - Wide Awake! (2018)


  Le combo rock Parquet Courts émerveille une fois de plus avec un album assez formidable. Urgence punk façon Ramones, intensité et curiosité des Clash, chaleur du son rappelant The Saints, folie des Talking Heads, tout ça est un condensé d'une somme d'influences jamais envahissantes mais toujours utilisées à bon escient ("Total Football"). 

  Le chanteur Andrew Savage est particulièrement mis en avant sur ce disque, ayant passé un cap en termes de confiance en lui et de charisme. Ecoutez "Violence" pour vous en convaincre. Au passage, les influences afro-funk (Francis Bebey, William Onyeabor, Mammane Sani), l'utilisation de claviers intensive et le son rond à la chaleur vintage sur ce morceau et sur "Before The Water Gets Too High" sont probablement à créditer à Danger Mouse (Gnarls Barkley, Norah Jones, The Black Lips, The Black Keys...) qui produit le disque. Ces influences afrofunk, mêlées à un zeste de Talking Heads, de dub et un beat discoïde (un poil disco-punk façon DFA) sur "Wide Awake" donne un résultat étonnamment cousin du dernier Arcade Fire (Everything Now,  2017), l'urgence en plus. 

Parquet Courts - Wide Awake! (Clip, 2018)

  Mais le groupe n'est absolument pas en retrait, c'est même tout l'inverse. La basse est bien mise en avant dans le mix, habilement complétée par une batterie puissante, et les guitares sont aussi agiles que féroces. Ils explorent tous ensemble une pop 60's psychédélique et virtuose, proche des débuts des Pink Floyd est pas si éloignée d'Ariel Pink ("Mardi Gras Beads"), créent une pop hybride entre funk, dub et psychédélisme invoquant à la fois Franz Ferdinand, Gorillaz et Syd Barrett ("Back To Earth"), mixent les Beatles de Sgt Pepper, Weezer et les Clash ("Freebird II"). Les Parquet Courts et Danger Mouse jouent aux sorciers de la pop ("Death Will Bring Change"), un peu à la manière d'un Beck ou du groupe Blur, et c'est sur ce terrain qu'ils offrent leurs meilleurs morceaux. Cf pour vous en convaincre la pop post-Motown de "Tenderness" montrant le groupe dans un registre aussi inattendu que jouissif. 

Parquet Courts - Mardi Gras Beads (Clip, 2018)

  Mais ils n'en oublient pas le mix de punk ironique et de post-punk psychotique aux inclinaisons slacker qui a fait leur réputation ("Almost Had To Start a Fight / In And Out Of Patience", "Normalization" avec un côté presque Rage Against The Machine mâtiné de Gil Scott Heron et d'idées rythmiques venues de la jungle). Qu'ils mêlent ce style bien maîtrisé à un poil de rockabilly et de funk ("NYC Observation") ou à une pop-punk véloce réminiscente des Buzzcocks ("Extinction"), ces chansons ne sont probablement pas les meilleures de l'album mais elles restent efficaces. 

Parquet Courts - Almost Had To Start A Fight / In and Out of Patience (Clip, 2018)

  Avec ce disque riche, au son fouillé et aux morceaux captivants, les Parquet Courts charment lorsqu'ils s'aventurent sur des territoires plus pop ou funk, et passent un cap en montrant toute l'étendue de leur musique, gagnant en densité sans perdre en intégrité. Un excellent disque qu'on n'attendait pas aussi tôt dans leur carrière, prouvant ainsi tout leur talent. 

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Alex


lundi 21 mai 2018

Idris Ackamoor & the Pyramids - An Angel Fell (2018)


  Idris Ackamoor est le leader (saxophoniste et mutli-instrumentiste) du mythique groupe d'afro-jazz The Pyramids, actif dans les années 70 puis dissout et reformé à de nombreuses occasions, notamment pour l'enregistrement du monumental We Be All Afrikans (2016). Ses influences riches, entre free jazz façon Sun Ra, afrobeat ghanéen et musiques latines (il a rendu hommage à Cuba sur un album entier en 2004), ainsi que sa longue expérience en font un musicien unique en son genre. Et ce dernier album, An Angel Fell,  sorti en cette année 2018 sur Strut, en est le poignant témoignage. 

Idris Ackamoor & The Pyramids - An Angel Fell (2018)

  Les trois influences majeures que je viens de citer se combinent sur la bouillonnante "Tinoge", qui se conclut sur une partie de violon étonnante aux origines intraçables (cajun ? tzigane ?), qu'on doit à Sandra Poindexter, et qui marquera l'album de son empreinte. Cette partie de cordes, très mélodique et immédiatement identifiable, donne le ton d'un album extrêmement mélodique, comme le prouve la chanson-titre, "An Angel Fell". Claviers  et guitares psychédéliques, chant obsédant, rythmique obscure et tribale, on est proche de groupes psyché 60's comme les United States Of America ou Fifty Foot Hose. Là encore, des motifs marquant sont répétés par les claviers, les cordes ou les voix, formant un tout très accessible, presque pop. "Soliloquy for Michael Brown" enfonce cette veine psychédélique dans un registre instrumental plus méditatif et grave, dû à son sous-texte chargé et engagé. Le parfait équilibre entre cette délicatesse psyché digne des premiers Pink Floyd et l'afro-jazz de Fela Kuti est atteint sur la merveilleuse "Sunset"


  Sur "Land Of Ra", c'est une influence davantage reggae/dub, avec des cuivres un poil cumbia, et toujours ce violon quasi-cajun, qui vont former le cœur de ce morceau très rythmé là encore immédiatement mémorable. Grâce notamment à la production impeccable du londonien Malcolm Catto, par ailleurs membre de l'impeccable groupe de jazzmen psychédéliques The Heliocentrics, qui a enregistré les Pyramids pour cet album lors d'une intense session à Londres ayant duré seulement une semaine. 

Idris Ackamoor & The Pyramids - Message To My People (2018)

  On retrouve le violon de Poindexter sur "Papyrus", qui a un côté jazz classe, mélancolique et romantique de la côte Est, et une rythmique caribéenne intéressante débouchant sur une coda pleine de charme latin. On retrouve cette musique centre-américaine, en bonne compagnie de hard rock plein de soul, sur la géniale "Message To My People". Le côté rock est très présent sur l'accrocheuse "Warrior Dance", pas si éloignée que ça d'un Frank Zappa & The Mothers Of Invention

  Cet album est un véritable triomphe, un incroyable disque de jazz ouvert à tous les vents, au sens mélodique imparable et au charme unique. Les influences venues de l'afrobeat, de la musique cubaine, du rock psychédélique, de la soul ou de la dub colorent le jazz déjà riche du flamboyant multi-instrumentiste de génie et de son groupe de fous furieux. Une perle rare.

A écouter sur Spotify ou Deezer ou Bandcamp


Alex


samedi 19 mai 2018

Beach House - 7 (2018)


  Le duo Beach House est, à raison, un des chouchous des amateurs de pop élégante. Au long d'une carrière parfaite jalonné d'albums impeccables, ils se sont imposés comme un des grands groupes de leur génération. Après une période prolifique (2 albums en 1 an suivi d'une compilation d'inédits), le duo s'est recentré et a cherché à sortir de sa zone de confort en allant chercher de nouveaux sons, de nouvelles méthodes d'écriture. Et pour cela, ils ont fait appel aux talents de producteur de l'ex-Spacemen3 Sonic Boom, ayant déjà fait des merveilles avec MGMT notamment. 

  Et la démarche du groupe s'entend. Alors qu'ils ont toujours eu un son assez dense, le disque possède une profondeur dans ses textures et ses reliefs encore inédite chez eux. Un côté propulsif nouveau, également, grâce à des rythmiques davantage mises en avant, comme sur l'introductif "Dark Spring", croisant leur dream pop à la new wave expérimentale façon Bowie, ainsi qu'au rock épique du Arcade Fire période The Suburbs. Comment ne pas fondre à l'écoute d'un titre aussi magistral que "Drunk In L.A.", avec son intro irréelle tant elle est belle. Ce morceau est un écrin parfait pour le chant de Victoria Legrand qui captive grâce à la pureté grave de sa voix et grâce à sa diction expressive, tandis qu'Alex Scally tresse des motifs de guitare inoubliables en fond.

Beach House - Dark Spring (Clip, 2018)

  Comme je le disais, le groupe qui se forçait à composer et produire des chansons pouvant être reproduites en live s'est davantage autorisé à expérimenter pour cet album, et sur des titres comme "L'Inconnue", au parfum inattendu de Françoise Hardy voire Charlotte Gainsbourg, cette volonté d'ailleurs fait mouche. Ce charme mystérieux, un peu européen, un peu américain, se retrouve sur "Last Ride", un peu Nico avec son piano triste, et sur "Dive", qui inscrit sa beauté pure dans le sillage des girls band 60's, du Velvet Underground, de Suicide et de Mazzy Star, et qui finit plus rock, quasi indus. Un petit côté psyché-folk aussi, façon Tame Impala ou Melody's Echo Chamber, qu'on retrouvera sur "Lose Your Smile" et ses guitares à la Ratatat

Beach House - Dive (2018)

  Leur principale force, c'est avant tout d'écrire des chansons aussi immortelles que "Pay No Mind", qui est aussi belle et essentielle que du Jesus & Mary Chain des deux premiers albums, ou "Lemon Glow" dont la production virtuose (ces synthés acides....) ne doit pas faire oublier le songwriting qui a tout du génial. Le psychédélisme doux et intriguant de ce titre se retrouve sur l'obsédant "Black Car", dont le mixage et le mastering sont marquants par leur utilisation assez inédite de l'espace et des volumes.

Beach House - Lemon Glow (2018)

Beach House - Black Car (2018)

  Entre pop gothique lumineuse et néo-80's, "Woo" émerveille par sa délicate simplicité et ses belles harmonies, tandis que le slow cosmique "Girl Of The Year" dévaste par sa puissance évocatrice proche de leur merveilleuse "Space Song" sur Depression Cherry (2015), avec une mélodie vocale d'une qualité quasiment jazz et d'énormes accords d'orgue invoquant le grandiose, épicés par une guitare déchirante, davantage dans le registre de l'intime. 

  Lorsqu'un des meilleurs groupes de la décennie voit grand et sort l'un des meilleurs (si ce n'est LE meilleur) album de sa discographie, ça donne forcément des étincelles, et c'est exactement ce qu'il s'est passé avec 7. Un monument de dream pop signé Victoria Legrand et Alex Scally, co-produit par Sonic Boom. Des chansons immortelles, une production éblouissante. Un paradis pop.

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Alex

  

jeudi 17 mai 2018

Hinds - I Don't Run (2018)


  Hinds est un groupe de garage pop lo-fi, exclusivement féminin, basé à Madrid. Et c'est un excellent groupe, donc dire de I Don't Run qu'il est encore meilleur que leur premier album, c'est dire beaucoup sur la qualité de ce disque.

Hinds - New For You (Clip, 2018)

  Entre un esprit Black Lips, une pincée de Demarco, et surtout une grosse double influence (Strokes et Ty Segall), le groupe émerveille avec des singles pop narquois comme "The Club", à l'élégance rock indiscutable. Marquée notamment par une basse post-punk et un truc un peu alien, imperceptible, à la Television. Ce côté nasillard, brailleur, très punk, associé à une musique d'une beauté mélodique impressionnante, comme sur "Soberland", fait penser à une version 2018 de la démarche des Ramones qui pervertissaient leur amour des Beach Boys avec malice et détermination. Ce côté gamin espiègle, très Black Lips là encore, atteint son apogée sur "To The Morning Light" et surtout "New For You", qui rappelle bizarrement les chorales  twee pop de I'm From Barcelona, de façon détournée. 

Hinds - New For You (Clip, 2018)

  Cette énergie décuplée vient du double rôle (guitare et voix) de deux des membres : Carlotta Cosials et Ana Garcia Perrote, dont le jeu comme le chant se répondent dans une partie de ping pong ininterrompue (écoutez les croiser le fer et les voix sur "Finally Floating", c'est virtuose et jouissif dans le genre). C'est notamment sur la tranquillement funky "I Feel Cold But I Feel More" qu'Ade Martin peut briller à la basse, tandis que la batterie au jeu simple mais toujours impeccable d'Amber Grimbergen rythme l'album de façon discrète mais indiscutablement parfaite, à la manière du jeu de Ringo Starr chez les Beatles, constituant une partie majeure du son et sous-estimée.

Hinds - Finally Floating (Clip, 2018)

  Mais parfois, on s'éloigne un peu de ce côté garage punk, pour une pop-rock californienne un peu funky, comme sur "Linda", dont le songwriting intemporel est marqué par les grands anciens du renouveau rock (Christopher Owens de Girls, Julian Casablancas, ou pour revenir plus loin Black Francis des Pixies). De gros échos classic rock participent également à faire de ce disque un classique immédiat, comme sur "Echoing My Name", dont le sens de la concision est pourtant très moderne. On a même quasi du hard psychédélique, sombre et obsédant à la Black Sabbath sur  le pont de "Tester", par ailleurs plutôt sous influence punk. 

  Autre gros point fort du disque, la production chaude et claire du disque (sur "Rookie" par exemple), qui gorge de soul et de soleil le moindre coup de baguette, la moindre étincelle de guitare et rend le groove du groupe si irrésistible. Et autre changement de ton notable, l'ultime morceau "Ma Nuit" est une ballade mélancolique de folk lo-fi, très touchante dans son genre grâce notamment à de magnifiques harmonies vocales.

  Les Hinds ont frappé très fort avec cet album très pop et très rock, rempli de tubes insolents et mélodiques, à la production impeccable et à l'authenticité totale. Elles ont su développer un son unique à partir de leurs influences et à le canaliser dans des chansons inoubliables. Un grand disque plein de fun et de talent. 

Ecouter sur Bandcamp ou Spotify ou Deezer

Alex


mardi 15 mai 2018

Arctic Monkeys - Tranquility Base Hotel + Casino (2018)


  En voilà un qui divise. Après leur conquête des US grâce au rock de stade de l'inégal AM (2013), plutôt solide, doté de quelques singles alléchants mais un peu gras dans l'ensemble, le groupe a acquis une dimension internationale nouvelle, notamment outre-atlantique donc (Amérique du Sud comprise). Une tournée triomphale plus tard, ce groupe qui a toujours été "gros" en Europe se retrouve donc à sortir un disque immédiatement classé parmi les albums les plus attendus de l'année, une grosse pression que le groupe admet avoir ressentie, notamment le chanteur, guitariste et compositeur Alex Turner, qui a eu un "syndrome de la page blanche" en essayant de créer un "AM partie 2", puis en ne trouvant pas immédiatement de nouvelles directions après avoir réalisé que ce serait une impasse.  

  Pour trouver cette nouvelle décision, il a fait des choix radicaux. Premièrement, plus de chansons d'amour, thème dont il pense avoir fait le tour pour le moment, mais des textes narratifs, racontant des histoires situées dans un univers de science fiction dystopique, un hôtel/casino au luxe décadent, situé sur la Lune et réservé aux ultra-riches (concept inspiré par le cinéma et la littérature SF). Ces textes, très libres et directs, sont truffés de digressions aux accents personnels ou vaguement politiques dans une structure très peu rigide, ce qui amène Turner à comparer ces textes avec ceux du premier album des Monkeys. Ils ont également influencé le visuel du disque, avec une patine rétro-futuriste vintage, et le look du groupe façon rockstars décadentes, assez affreux mais adapté, belle preuve de second degré.

Arctic Monkeys

  Deuxième choix, des influences plus pop (Pet Sounds des Beach Boys), voire jazz, soft rock, glam, prog, soul vintage, pop orchestrale à la Scott Walker ou lounge. Matérialisée très concrètement dès la composition puisque pour la première fois, Turner a tout composé au piano plutôt qu'à la guitare. Le rendu est plus proche de l'autre groupe du chanteur, les Last Shadow Puppets, et notamment du charme vintage et chatoyant de leur dernier album, l'excellentissime Everything You've Come To Expect (2016). Autre particularité : cet album aurait pu être un disque solo de Turner au départ, mais ce dernier a fait écouter ses démos au autres Monkeys, qui ont jugé après une longue réflexion que ces chansons pouvaient être leur futur album, et ont donc été impliqués plus tardivement dans sa conception, ce qui peut là encore les rapprocher du travail des Beach Boys qui eux aussi découvraient en rentrant de tournée des œuvres quasi finies de Brian Wilson qu'ils allaient réinterpréter en groupe. Autre particularité, l'excellent batteur Matt Helders ayant moins à faire techniquement derrière ses fûts (même si son travail ici est une merveille de subtilité), il a également pris le nouveau rôle de claviériste, qu'il tient également à merveille.  

Alex Turner

  Et c'est avec la magnifique "Star Treatment" que cet album démarre. Les inspirations sont claires : easy listening 70's, sunshine pop sophistiquée (à la Sagittarius) soul aérienne tranquille (Curtis Mayfield, Isaac Hayes, Minnie Riperton...), et vocalement, l'idole de toujours du groupe de Sheffield, le plus grand crooner de notre siècle, Richard Hawley. Le morceau est magnifique, le texte drôle, la production et le son gratifiants, un titre digne du plus smooth des Last Shadow Puppets en somme. Qui me permet d'introduire une constante de l'album : la basse d'O'Malley est un énoooorme point fort, son jeu est d'une justesse et d'une finesse peu communes. D'ailleurs, on sent musicalement que le groupe s'est éclaté sur ce morceau en particulier, et c'est très agréable. 


  La très pop "One Point Perspective" et son piano sautillant, très Brian Wilson, est également un gros point fort : la basse est énorme, et avec la guitare élégante de Cook, elles mettent en valeur la diction unique de Turner, dans un registre étonnamment rnb, avec un côté irréel presque Amy Winehouse. Dans un registre plus glam, proche de Bowie, avec un petit côté psychédélique, "American Sports" est également une réussite totale, prolongée dans l'esprit par la superbe "Tranquility Base Hotel & Casino", durant laquelle Turner expérimente de façon réussie avec son chant, lui donnant un côté blues blanc assez intéressant. Ce début d'album est un sans faute dans cette nouvelle direction.

  Pas aussi incroyable mais tout de même sympathique, le milieu d'album ne démérite pas, que ce soit "Golden Trunks", magnifiée par une guitare charismatique, le très Pet Sounds "The World's First Ever Monster Truck Front Flip", la psychédélique et instable "Science Fiction". C'est "Four Out Of Five" qui sort du lot, avec son côté Gainsbourg à la fois sombre et hyper accrocheur, et des légères touches de la flamboyance d'Iggy Pop vocalement, faisant écho au dernier album de ce dernier (Post Pop Depression, 2016) produit par le collaborateur régulier des Arctic Monkeys, Josh Homme.

Arctic Monkeys - Four Out Of Five (Live, Tonight Show, 2018)

  La fin de l'album est plus sombre, et assez mémorable, avec le glam noir et décadent de la plus que sympathique "She Looks Like Fun", le piano grandiloquent et les synthés rétrofuturistes syncopés, entre funk, blues et prog, de l'excellente "Batphone", et pour finir la ballade de crooner définitivement très Hawley et plutôt bonne, "The Ultracheese", pas très originale ni intense mais sympathique également.

  Pour conclure, c'est un album globalement très réussi, loin de ce qu'on a pu lire dans les commentaires d'une presse américaine ayant souvent découvert le groupe en 2013 et n'ayant rien compris aux Last Shadow Puppets, ou dans les avis de fans de rock qui voulaient les mêmes gros riffs d'AM encore et encore, et glorifient cet album qui pourtant est sûrement le moins bon du groupe (même s'il reste bon et que je l'aime bien globalement). La direction easy listening est étonnante pour le groupe, mais logique lorsqu'on connaît les autres projets de Turner en solo, à la production du disque d'Alexandra Savior, ou avec Miles Kane et les Puppets, et même en omettant cela, le côté crooner était finalement bien annoncé par les ballades du précédent album. Les influences soul font mouche grâce à des vocalises classes et une basse imparable, la coloration pop avec ses nombreux claviers et ses cordes apportent une densité sonore bienvenue, et la noirceur glam du piano et de la guitare achèvent de rendre ce disque bien intéressant. Et dire ça, c'est oublier que le chant de Turner ainsi que ses textes valent encore le détour. Alors certes, ce n'est probablement pas le meilleur disque des Arctic Monkeys, mais c'est une grande réussite, un virage pris avec talent, loin de ce qu'on a pu lire ici ou là. Mais faites vous votre avis par vous même (et donnez le nous en commentaire tant qu'à faire !), grâce aux liens d'écoute ci-dessous :

Ecouter sur Spotify ou Deezer

Bonne écoute, merci pour votre lecture et vos commentaires

Alex

dimanche 13 mai 2018

Ras G & the Afrikan Space Program - Stargate Music (2018)


  Difficile de qualifier la musique de Ras G. Son abstract hip-hop s'accommode en effet de psychédélisme, d'IDM, de musique concrète, de noise, de classique contemporain, de jazz, d'électrofunk, de soul, de dub, de hip-hop plus "classique"... Le californien, rattaché au label Brainfeeder de Flying Lotus dont la démarche artistique est relativement proche, cet autodidacte le déclare lui-même, il ne sait pas comment il fait sa musique, il n'a jamais appris ça nulle part, il utilise uniquement sa sensibilité pour savoir si c'est bon au fur et à mesure des tâtonnements. Je l'ai découvert avec le formidable Back On The Planet, sorti en 2013, un classique personnel, un disque de chevet quelque part entre DJ Shadow, Tangerine Dream, Boards Of Canada et Sun Ra. Et il a tout récemment sorti chez Leaving Records un disque tout aussi réussi sous le nom de Ras G & The Afrikan Space Program, dont on va parler aujourd'hui. Ce disque, Stargate Music, référence au film du même nom, à l'esthétique afro-futuriste proche de celle de Ras G, est une métaphore de l'utérus qu'il décrit comme "La porte des étoiles (Stargate) de l'humanité", l'endroit magique par lequel toute femme et tout homme arrive sur cette Terre. Ce disque a donc pour but de nous faire revivre le voyage mystique et corporel de notre propre naissance, rien que ça.  


  Ca paraît fumeux comme ça, mais même si la musique de Ras G peut paraître un peu déconstruite aux personnes les moins familières avec une électronique plus aventureuse, son côté autodidacte et son oreille sûre permettent à l'ensemble de garder un côté charnel et sensoriel qui la rendent relativement accessible. Après une intro psychédélique en 3D, "Primordial Water Formations 1" (rappelée plus loin sur "Infinite Possibilities"), c'est une boucle de cloches d'Eglises et d'un grincement (une voix ?) qui guident "Water Broken (The Opening Of The Stargate)", hypnotique morceau qui vire électrofunk saturé, quasi acide, d'une richesse telle qu'on entend à chaque ré-écoute de nouveaux détails saisissants. Cet électro-funk expérimental est également la base du cosmique et funky "Quest To Find Anu Stargate", qui est tellement bonne qu'elle sonne un peu comme du Dâm-Funk. Le planant "Is It Lust Of Luve" poursuit la démarche.

  Les morceaux les plus chill, ayant le potentiel de plaire à une plus large audience, comme "Intimate Reconnection", ou "The Arrival", plus soul/gospel et un poil pop, émerveillent également par leur beauté apaisante. Tout comme "The Nector of Stargate (taste)", bouclant une soul à la mélodie enchanteresse dans une démarche plus classique de production hip-hop. 

Ras G & The Afrikan Space Program - The Arrival (2018)

  C'est dans un fourmillement sonore luxuriant et labyrinthique que le gospel mystique, tribal, intriguant et inquiétant de "Heaven is between her legs... (Initiate the return)" ouvre la fin de l'album. Introduisant la deep house afro de "The Great Return (racing seed)", et les nappes de "Primordial Water Formations 2", bouclant ainsi la boucle, l'enfant conçu en introduction devenant père si vous avez suivi l'histoire racontée par les titres.

  Et concluant au passage cet album obsédant, prenant, magnifique et à la personnalité très forte. Ras G est un producteur sans pareils, son approche autodidacte et radicale en font une voix unique et précieuse dans le paysage musical moderne, comme le prouve cet album incroyable, que je vous recommande absolument.

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Alex


vendredi 11 mai 2018

Rae Sremmurd - SR3MM, Swae Lee - SWAECATION & Slim Jxmmi - JXMTRO (2018)


  Le duo Rae Sremmurd, composé des deux frères originaires de Tupelo dans le Mississippi, Swae Lee et Slim Jxmmi, a été repéré et est produit par le producteur visionnaire Mike WiLL Made-It, ils sont d'ailleurs une des premières signatures de son label Ear Drummer (d'ailleurs le nom Rae Sremmurd, c'est Ear Drummer's à l'envers...). Mike WiLL Made-It fait partie de ceux, avec Metro Boomin et Zaythoven notamment, qui ont participé à faire de la trap d'Atlanta le style dominant du hip-hop voire de la pop, puisqu'il a cosigné plusieurs hits comme "Humble." de Kendrick Lamar, "Formation" de Beyoncé ou encore "Black Beatles" du duo. Après le succès de leur deuxième album et ce fameux numéro 1 qu'il a attendu depuis des années, le producteur n'ayant plus rien à prouver décide de faire ce qui lui tient en tête et se lance un nouveau défi : produire rien de moins qu'un triple album pour ses protégés, mettant en valeur un des deux frères sur chaque face, et le duo sur la troisième. 

  La logique est la même que celle de Speakerboxx/The Love Below d'Outkast, grosse référence du rap sudiste aventureux, mais avec en plus ce disque réalisé en duo puisqu'il n'y a pas de dissensions internes et que Mike sait bien que c'est ce que les fans attendent, avant deux hypothétiques carrières solo qui se profilent. Et le plus fort, c'est que grâce à son talent et à celui des deux frères, il est arrivé à créer 3 albums qui non seulement se tiennent mais qui ont des approches assez différentes musicalement : trap sombre aux accords dissonant pour le duo, électro-pop planante pour Swae Lee le "chanteur" et trap plus rythmée pour Jxmmi le "rappeur" (ces rôles sont souvent vérifiés mais la frontière est plus souple que ça). Et l'objectif de faire davantage connaître le groupe et surtout les sensibilités de ses deux membres est plus qu'atteint. Nous allons décortiquer tout ça plus en détail, disque par disque.


Rae Sremmurd - SR3MM

  Et commençons d'abord par l'album commun. La production trap lente et dissonante de "Up In My Cocina" injecte de la tension dans une ambiance parfois mélancolique, pas si éloignée de "Black Beatles" que ça, mais en plus intéressant, ainsi qu'une coloration psychédélique assez surréaliste, accentuée par le rap de Swae Lee qui fait penser à des MGMT version hip-hop. Le couplet éraillé de Jxmmi achève d'en faire un grand morceau. D'ailleurs, "Perplexing Pegasus", sortie en avance, est tout autant plombée et psyché, elle permet de  comprendre et faire le lien avec les influences rap du dernier (et excellent) album des Flaming Lips, Oczy Mlody (2017).

Rae Sremmurd & Travis Scott - CLOSE (Clip, 2018)

  L'ambiance nocturne et sombre se poursuit avec un maître du genre, autre grand sorcier de studio, Travis Scott, sur "Close". Swae Lee se fend d'un refrain chanté marquant, et le morceau décolle dans un rnb futuriste très pop, évoquant néons et ville sous la pluie façon Blade Runner. Ce côté rnb tubesque ce retrouve sur "Bedtime Stories", appuyé par un piano grandiloquent et la voix de velours d'Abel Tesfaye alias The Weeknd. Les percussions mélodiques, le chanté-rappé autotuné agile et mélodique de Jxmmi évoquant Young Thug à son plus émotif, le chant immaculé de Swae, tout est encore réuni pour un très bon morceau. Des influences rock FM ainsi qu'une synthpop minimaliste se mêlent à ces influences sur "Rock N Roll Hall Of Fame", permettant à Swae Lee de dévoiler toute sa palette vocale sur des violons sirupeux, une guitare guimauve et des bleeps extatiques.

Rae Sremmurd - T'd Up (2018)

  Mais malgré ces détours pop, le ton de l'album reste bien dark avec un énorme banger trap, "Buckets" en présence d'un Future très en forme sonnant tellement caverneux qu'il en deviendrait presque mystique. Toujours menaçante mais plus vicieuse, "42" sonne comme la BO trap d'un Zelda déviant et fait une utilisation de la saturation obsédante. Un poil plus pop, "T'd Up" claque tout de même bien comme il faut, avec des hits d'orchestre fantôme bien mis en valeur.

Rae Sremmurd, Mike WiLL Made-It, Juicy J - Powerglide (Clip, 2018)

  Et puis il y a le single absolu "Powerglide", dont on a déjà parlé en longueur ici, et qui a été notre single du mois

  Après cette réussite en duo, attaquons nous maintenant aux deux disques solo des frères. 


Swae Lee - SWAECATION

  A commencer par Swaecation qui, vous vous vous en doutez, sera plus pop, aérien et chanté. On peut d'ailleurs classer ses morceaux en plusieurs catégories. D'abord, il y a les hymnes rnb très rythmés, proches dans leur démarche de Starboy et Beauty Behind The Madness de The Weeknd. Abandonnant les rythmiques trap et cherchant davantage dans un 4/4 parfois discoïde, parfois slow rock, la production de Mike WiLL se diversifie avec brio. Je pense à des morceaux comme "Touchscreen Navigation", le single "Hurt To Look", "Lost Angels" ou "What's In Your Heart", mettant en valeur les instincts mélodiques du chanteur et aboutissant à des morceaux tubesques, très accessibles et pourtant assez denses pour qu'on y revienne avec plaisir. 

Swae Lee - Hurt To Look (Clip, 2018)

  Le deuxième groupe de morceaux, davantage inspiré par le raggaeton et les musiques caribéennes et sud-américaines en général, semble suivre le thème empreint d'exotisme suggéré par le titre de l'album (proche de "vacations"), avec des morceaux comme "Heartbreak In Encino Hills", merveille accolant une guitare de rock indé pleine d'une mélancolie soul sur une rythmique syncopée et solaire. Rarement un morceau aura aussi bien mis en son la solitude adolescente écrasée par le soleil des vacances d'été, heureuse et mélancolique à la fois. "Heat Of The Moment" arrive à rendre un synthé flûte de pan élégant, grâce à un sens mélodique et harmonique ébouriffant, là encore c'est un single potentiel. Tout comme la nostalgique "Offshore", avec un Young Thug plus en forme ici qu'en solo, ou comme la magnifique "Guatemala", tube pop vers lequel on revient inlassablement. 

Swae Lee, Slim Jxmmi - Guatemala (2018)

  Le sommet de cette langueur estivale, très rnb, c'est le très chill "Red Wine" qui l'atteint, avec un registre étonnamment sensuel, presque Miguel dans l'approche, et Nao dans le son. Dans tous les cas, un excellent titre.  

  En tous cas l'approche est maîtrisée et l'album est une merveille d'électro-pop aérienne, rêveuse, solaire et teintée de rnb et d'influences 80's. Un superbe successeur direct au meilleur de l'approche pop de The Weeknd. 


Slim Jxmmi - JXMTRO

  C'est une trap plus rythmée qui ouvre JXMTRO avec "Brxnks Truck", premier single porté par une diction véloce, un synthé lead très rythmique, des start-stops incessants de la prod, et une basse acide. Dans un genre devant beaucoup à Gucci Mane, "Players Club" tabasse avec un piano enfantin, une prod engluée dans son vice et un flow entre le pâteux et l'agile. Comme "Cap", avec Trouble, l'autre protégé de Mike WiLL Made-It, même si cette dernière est moins originale. 

Slim Jxmmi - Brxnks Truck (2018)

  Toujours dans le même style, Jxmmi s'essaie à un style proche des bangers de Ty Dolla Sign sur le répétitif mais efficace "Chanel", assisté par Pharrell Williams. On retrouve les influences soul, gospel et rnb de Ty sur la belle "Keep God First", qui jouit d'une prod subtile et enchanteresse, et sur "Growed Up", qui doit aussi beaucoup à Future et Travis Scott"Juggling Biddies", avec Riff 3X, est un bon exemple de prod trap intelligente avec pas mal de variations par rapport au canon du genre : rythme rapide, orgue d'église, vibraphone... Cet aspect collage, cet assemblage de micro-samples et de motifs, est toujours aussi efficace lorsqu'il est aussi bien réussi (penser à "Face To Face" de Daft Punk en 2001).

Slim Jxmmi, Swae Lee, Pharrell Williams - Chanel (2018)

  Une des bonnes idées de ce disque, c'est l'utilisation de basses venues de l'électronique au sens plus large, et surtout la voix féminine de Zoë Kravitz dans un registre proche de M.I.A. sur l'excellente "Anti-Social Smokers Club". Autre bonne idée, les guitares et la basse de "Changed Up" et leur ambiance soul-rock mettant en valeur un excellent flow. 

  Même si ce dernier disque est sans doute le moins essentiel des trois, il contient assez de singles trap solides pour pouvoir être qualifié de bon album, et constitue une excellente première entrée pour sa future carrière solo. 


  Pour faire court, ces trois albums sont de vraies réussites dans leurs genres respectifs : JXMTRO pour la trap "classique", SWAECATION pour une pop électronique teintée de rnb, volontiers planante, et SR3MM combinant ces deux approches avec une ambiance sombre et dissonante. Un vrai tour de force de la part du producteur Mike WiLL Made-It et de ses deux protégée Swae Lee et Slim Jxmmi, qui arrivent à pondre un triple album intéressant de bout en bout, gavé de grandes chansons, avec trois approches différentes et complémentaires. 

A écouter sur Spotify ou Deezer

Alex



mercredi 9 mai 2018

Iceage - Beyondless (2018)


  Le groupe post-hardcore danois Iceage nous avait laissé en 2014 son magnum opus, le magnifique Plowing Into The Field Of Love, sur lequel leur son s'était volontiers fait davantage post-punk, entre touches de glam et noirceur gothique. C'est dans cette veine plus accessible mais tout autant vénéneuse, si ce n'est plus encore, que se situe ce Beyondless

  Entre poésie noire et punk référencé, "Hurrah" fait penser à Johnny Thunders & The Heartbreakers mais surtout aux Saints aventureux d'Eternally Yours, et sa suite "Pain Killer" utilise les cuivres sur du punk comme les australiens le faisaient en 1978 sur "Know Your Product". Mais "Pain Killer" n'est pas que ça, ce croisement entre fureur, classic rock, chaleur Motown et chant pop grâce à la présence vocale de Sky Ferreira, permettant d'assouvir le double penchant avoué du chanteur Elias Bender Ronnenfelt pour l'underground sombre et lettré et pour la flamboyance des plus grosses rockstars. Un peu à la manière de Nick Cave, qui réalise la synthèse des deux mondes. 

Iceage & Sky Ferreira - Pain Killer (2018)

  Ces cuivres sont réutilisés avec brio sur la très Stooges période Fun House "The Day The Music Dies", d'abord comme contrepoint soul-rock au garage limite psyché, avant de virer free jazz (une des influences déterminantes de l'album, amenant cette instrumentation nouvelle). 

Iceage - The Day The Music Dies (Clip, 2018)

  Sur "Plead The Filth", le blues et la folk dénaturés par le groupe voient également les instruments inhabituels (piano, guitare folk, xylophone) se succéder dans le maëlstrom formé par la guitare, la basse et la batterie, servant de tapis (d'échardes) au chant de Ronnenfelt décidément très Iggy Pop par moments. La quasi country/folk bluesy et déviante de "Thieves Like Us" opère de la même façon, dans un registre plus proche des Doors, ambiance que l'on retrouve sur la pop de saloon absurde de "Showtime", étrangement cousine, d'une façon indirecte, du travail de Foxygen

  Plus loin, c'est entre un folk oblique à la XTC, un chant à la Robert Smith de The Cure (influence déterminante tout au long de l'album), une no wave bruitiste et agressive à la Sonic Youth et un free jazz en roue libre qu'il faut chercher les inspirations de la déstabilisante et géniale "Under The Sun", véritable petit monument qui claquerait le bec à n'importe quel passéiste du genre et petit miracle d'équilibre créatif. Cette veine de psychédélisme sombre et de romantisme gothique s'épanouit à merveille sur "Catch It", mélancolique, prenante et belle. 

Iceage - Catch It (Clip, 2018)

  C'est au shoegaze planant et dense de My Bloody Valentine qu'on pensera sur la plombée "Beyondless" et sur "Take It All" (et à la musique irlandaise un peu également sur cette dernière), preuve de l'immense source d'influences digérées par le groupe et de la variété incroyable de leur son. Cette vitalité et ce bouillonnement sont particulièrement bien illustrés sur la pochette, entre coupe histologique, magma d'une composition inconnue, et art contemporain.

Iceage - Take It All (2018)

  C'est un album volcanique, empli de fureur, de mélancolie, d'urgence et de beauté qu'on doit à Iceage, confirmant la belle lancée du groupe après la réussite du précédent en 2014, et asseyant et sa place parmi les groupes de rock les plus intéressants et les plus essentiels de la décennie. A écouter absolument.

Ecouter sur Spotify ou Deezer

Alex